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L’avis des libraires - 230ème chronique : Le Royaume sans Ciel

L’avis des libraires : 230ème chronique

Le Royaume sans Ciel de Charlotte Ambrun

Fantastique trio

Il y a dix ans, un dôme terrifiant s’est abattu sur le royaume. Ses habitants, retranchés loin du monde, étouffent sous le joug de deux souveraines tyranniques, ressentent le mal sournois qui couve en leurs terres.

Neieli, Chaneh et Aylis ont grandi sous cette voute malfaisante, à l’écart de tout et de tous. Légitime héritière, la superbe Neieli a été écartée du pouvoir, maltraitée par sa belle-mère et recluse entre les murs du château. Chaneh, unique rescapée d’une famille dissidente, est contrainte de se terrer au cœur de la forêt pour échapper au courroux impitoyable de la reine. Avec ses cheveux si clairs, ses grands yeux pâles, sa maladresse maladive et sa curiosité rêveuse, Aylis fait office de souffre-douleur pour les autres enfants de l’orphelinat.

Elles ne se connaissent pas, ne se sont jamais vues, rien ne les unie. Pourtant, entre les bois nébuleux de Sombrak et les jardins dédaléens de Mirabilia, les destins de ces trois jeunes filles vont irrémédiablement se lier…


En l’espace d’une demi-décennie, les Editions Magic Mirror nous auront proposées de merveilleuses réécritures de contes, tour à tour envoûtantes, poétiques, audacieuses, sombres, trépidantes… A l’heure où la maison souffle sa cinquième bougie, pas moins de quatre projets ont jalonné 2021. Parmi eux, un ouvrage très ambitieux et première publication pour sa jeune autrice Charlotte Ambrun : Le Royaume sans Ciel.

A la seule lecture du résumé, sans doute avez-vous noté la complexité du postulat. Rien d’étonnant à cela car Charlotte a choisi d’entremêler Les Aventures d'Alice au pays des merveilles de Lewis Caroll, Blanche-Neige des Frères Grimm et enfin Le Petit Chaperon Rouge de Charles Perrault. Trois contes pour trois héroïnes emblématiques. De ces fables du temps jadis, elle a su extraire le meilleur comme le pire. On y retrouve l’imagination débridée d’une contrée aux sucreries mortelles, les messages sous-jacents entourant une certaine princesse à la peau « blanche comme neige », la cruauté inhérente au mythe du grand méchant loup. Tant de classiques qui se dévoilent par un prisme contemporain, au gré d’un univers fantasy ciselé à la perfection.

Par Aylis, Chaneh, Neieli mais également ses antagonistes Saakat et Carmina, l’autrice dresse des portraits féminins modernes. Des figures fortes, complexes, attachantes ou détestables mais toujours fascinantes, réunies dans leur quête identitaire et la volonté d’un accomplissement intime. Tout au long du livre, il est question de violence et de souffrance, de la façon dont l’une et l’autre sont acceptées pour se construire, s’émanciper, se forger en tant qu’adulte. Les racines, le milieu social, sont également primordiaux dans le parcours des héros. Chacune de ces femmes s’avèrera d’une détermination sans faille. C’est cette résolution qui les caractérisera, toutes, au fil des péripéties, qu’elles agissent pour le bien commun ou par pur intérêt personnel. Loin du manichéisme redouté, la morale n’oppose pas la brutalité à la douceur mais souligne plutôt la façon dont l’équilibre se fait entre ces deux extrêmes. En ce sens, Chaneh, à la fois proie et chasseresse, femme et bête, est en permanence sur le fil. De toutes ces héroïnes marquantes, Neieli est pourtant celle qui connaît la plus belle évolution : si Blanche-Neige a connu moult réinterprétations, au point qu’il est difficile de s’en distinguer, Charlotte propose une variation intéressante, celle d’une jeune fille en parfaite symbiose avec la nature. Ses joutes verbales avec son raton laveur, Glout, ajoutent d’ailleurs un humour bienvenu au récit.

On peut noter une dualité sur la quasi-totalité des personnages, une volonté d’abroger les stéréotypes et de réinterpréter les codes. Une décision qui se ressent également vis-à-vis des protagonistes masculins, lesquels échappent au carcan des sempiternels héros chevaleresques. Par exemple, le « chapelier fou » Isgaë est d’autant plus exceptionnel qu’il n’est semblable à aucune de ces représentations antérieures, souvent enfermées dans le grotesque, le charme sournois ou la psychopathie. Il en va de même pour les nains, tous bien établis et identifiables. Les concernant, il y a davantage de Tolkien que de Perrault ! De fait, tous les rôles parviennent à s’émanciper du matériel original, sans le trahir.

Et puis, bien sûr, il y a ce monde, cette mythologie qui palpite à chaque page ; l’histoire fascinante de ces lieux ; sa faune, sa flore et ses peuples qui s’étoffent de chapitre en chapitre. Rien n’a été laissé au hasard. Le Royaume sans Ciel est non seulement remarquable par sa capacité à invoquer Carroll, Grimm ou Perrault mais aussi dans sa manière de les réunir dans un même univers. Le rendu est aussi unique qu’addictif, savamment pesé, entre féerie éclatante et épouvante gothique. Des furetins (les créatures les plus adorables qui soient !) aux inquiétantes créatures du Manoir de Croquevig en passant par la traître demeure de la Reine de Cœur, Charlotte Ambrun invoque son lot de merveilles et d’horreurs. Un fond soigné qui doit également beaucoup à sa forme.

Dès les premières lignes, le constat est sans appel. Il y a ici du style, du caractère dans les mots, une abondance du vocabulaire et une application toute particulière accordée aux tournures. Cette plume pleine de personnalité, c’est là la patte d’une grande romancière en devenir.

Pour métamorphoser la réussite en coup d’éclat, sans doute manque-t-il une certaine prise de risques, peut-être aurait-il fallut oser davantage et aller au paroxysme des idées proposées – y compris dans les thématiques les plus noires, les plus cruelles. Cette retenue offre un dénouement étonnamment tiède, loin des morceaux de bravoure qui jalonnaient jusqu’alors la trame. La fin paraît précipitée, des moments clefs que l’on aurait aimé voir apparaître sont à peine mentionnés, l’accent est mis sur Neieli et Chaneh au détriment d’Aylis, les rôles masculins semblent soudain très superflus. Si la conclusion est cohérente et n’a rien d’honteux, elle frustre par son épilogue trop abrupt.

Mais peu importe finalement… Ne dit-on pas que le périple importe davantage que la destination ? Or l’autrice nous a offert le plus enchanteur des voyages ! Une fresque féerique, foisonnante, riche, maîtrisée, habile et inspirée. Une excursion imaginaire qu’il nous tarde de prolonger dans un prochain roman : à n’en pas douter, Charlotte Ambrun n’a pas fini de nous dévoiler son talent.


Le Royaume sans Ciel de Charlotte Ambrun, Editions Magic Mirror, 374 pages, 19€50.

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