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L’avis des libraires - 263ème chronique : Sang d'écume

L’avis des libraires - 263ème chronique

Sang d'écume de Magali Lefebvre

Sombres abysses

« La mer fut ton berceau, elle sera ton tombeau. »

Cette mise en garde sordide, Mélie l'endure depuis son plus jeune âge. D’autres mamans chantonnent des comptines à leurs enfants, sa mère la lui récite tel un mauvais augure – la litanie, menaçante, a rythmé chaque instant de sa vie.

Devenue adulte, pour contrer ce présage funeste et échapper à sa génitrice, la jeune femme s’est engagée dans la Marine. Elle entretient un rapport amour-haine avec l’océan, une passion endeuillée par les souvenirs et les secrets.

Embarquée pour une nouvelle mission, Mélie voit ses cauchemars resurgir. Tapie sous les vagues, quelque chose la guette. Pour affronter sa « malédiction », la jeune navigante devra défier sa mère…


Dès le lancement de sa collection F. nigripes, à l’automne 2021, le Chat Noir a su enrichir son catalogue de novellas particulièrement accrocheuses ! Après les excellentes Miranda de Nina Gorlier ou Quand vient le dégel de Jayson Robert Ducharme, l’éditeur propose cette fois une virée en eaux troubles.

Avec Sang d’écume, Magali Lefebvre signe un roman palpitant aux frontières de l’horreur, sur fond de mystères familiaux. Comme toujours, son texte s’avère très efficace en termes d’ambiance – l’atmosphère est exploitée avec talent, immergeant d’emblée le lecteur dans l’histoire. Narrée à la première personne, elle parvient à rendre une sensation d’étouffement et de paranoïa croissante. Les phrases sont parfois longues, cadencées par une ponctuation aléatoire ; d’autres courtes, presque cinglantes : elles retranscrivent à la perfection l’agitation de l’héroïne, les pensées ricochant dans sa tête et les idées qu’elle tente de mettre en ordre.

De fait, depuis La captive de Dunkelstadt, la plume de Magali Lefebvre a gagné en assurance. La romancière offre un travail poussé autour du lexique de la mer, jouant sur le vocabulaire maritime et les métaphores aquatiques. Dès les premières pages, la passion dévorante que voue Mélie au large est évidente. Son être tout entier aspire à vivre sur les flots, malgré la crainte et le deuil.

L’assurance de l’écrivaine se ressent aussi dans la construction des personnages : elle ne cherche pas à rendre Mélie aimable. C’est une protagoniste froide, déterminée, souvent détachée de ce qui l’entoure. Pour sa survie, son salut mental, elle n’hésite pas à se montrer dure, voire calculatrice. Contrairement à son collègue Eliott, lequel est focalisé sur les émotions, elle mise sur la raison. Le tandem fonctionne par sa dualité, se révèle plutôt attachant. Malgré un développement limité, l’évolution de leurs rapports reste réaliste et bien pensée.

Si le style s’est affiné – ou plutôt affûté – les thèmes de prédilection restent intacts : une demeure familiale aux allures de prison ; une excursion dans le folklore local ; une jolie romance ; des références culturelles pertinentes… Mais, surtout, une figure maternelle ambiguë.

Véritable cœur de la narration, la mère, tantôt protectrice tantôt délétère, hante chaque page. Plus encore que la créature dont Mélie suspecte la présence, sa génitrice incarne une menace oppressante, d’autant plus dangereuse qu’elle est concrète. L’emprise toxique qu’elle maintient sur sa fille est palpable, de même que les tentatives de cette dernière pour s’y soustraire. Les liens entre Mélie et sa mère s’imposent en point d’ancrage pour la trame. Cette relation particulière, dévoilée au gré des chapitres, s’avère une immense réussite.

L’intrigue oscille habilement entre le thriller psychologique et le registre fantastique, sans jamais prendre parti entre la rationalité ou le surnaturel. Si de nombreuses questions restent en suspens, ce parti-pris laisse chacun libre d'interpréter la conclusion comme il le souhaite. Le format court permet à l’autrice de passer outre d’interminables explications (lesquelles auraient été fatalement décevantes) pour se focaliser sur ses thématiques viscérales.

Si l’on peut regretter une fin idéalisée et un peu trop convenue, Sang d’écume offre une plongée mémorable dans de sombres abysses. La folie vous entraîne dans son étreinte tentaculaire, gare à ne pas vous noyer…


« Ma mémoire a rouvert ses portes
mais la peine qui s'en est déversée me submerge,
comme la mer. »

Sang d'écume de Magali Lefebvre, Editions du Chat Noir, 96 pages, 12€.

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