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L’avis des libraires - 245ème chronique : Miranda

L’avis des libraires - 245ème chronique :

Miranda de Nina Gorlier

Mélancolie spectrale


Miranda végète dans une maison austère, à l’écart du monde et du temps. Aux yeux d’autrui, la vieille bâtisse est source de frayeurs, de nombreuses médisances. Mais pour elle, cette demeure reste son refuge – l’unique endroit qu’elle n’ait jamais connu.

Timide et rêveuse, l’adolescente manifeste peu d’intérêt envers les locataires éphémères qui se succèdent chez elle. Pourtant, lorsque la famille Stanford emménage sur place, Miranda voit son quotidien vaciller. Le fils du couple, Allen, brise sa monotonie.

Qu’importe qu’il l’ignore, qu’il n’ait aucune interaction avec elle. Miranda le sait : il est son âme sœur. Et pour faire comprendre à Allen l’évidence, la jeune fille sera prête à tout…


Après trois romans axés autour de la réécriture de contes, Miranda incarnait un défi majeur pour Nina Gorlier. Une nouvelle maison d’édition, un autre genre, une narration à la première personne et, surtout, un format atypique : la novella.

Caractérisée par sa brièveté et son unique trame narrative, située entre la nouvelle et le roman, la novella aurait pu brimer la jeune autrice. Cette dernière nous a en effet habituée aux univers foisonnants, riches en rebondissements ou intrigues alambiquées. Des épopées qui se prêtent donc aux récits denses.

Or, Miranda est une réussite en tout point. Mieux, elle incarne un certain renouveau, à la fois si singulière dans le parcours de Nina et porte d’entrée idéale vers ses précédentes publications. De fait, toutes ses thématiques phares sont réunies ici, condensées avec une efficacité et une tension redoutables. Petit chef-d’œuvre au charme mortuaire, sa parution traite avec brio de la condition féminine, la sororité, la solitude, la famille, la folie, la complexité des rapports amoureux, le tout porté par des personnages mémorables.

Comme toujours avec la romancière, les femmes ont la part belle. A la matriarche autoritaire et révérée répondent Marion, l’alliée de toujours, et Daisy, rivale malgré elle. Aux yeux de Miranda, Daisy et Marion incarnent la beauté, l’indépendance, la volupté des sens. Tout ce qu’elle voudrait être sans l’oser, tout ce qu’elle convoite sans l’admettre. Malgré les décennies qui les séparent, l’une et l’autre jouissent d’un caractère analogue, semblent se répondre à travers les époques. Amoureuses sans perdre leur bon sens, rationnelles sans rejeter la fantaisie, brillantes chacune à leur manière, elles témoignent d’un tempérament fort et insoumis... Elles sont déterminées à agir selon leurs envies, la première en épousant pleinement sa carrière, la seconde en s’opposant au mariage de convenance. La mère, l’amie et la concurrente jouent un rôle prépondérant, figure oppressive ou disciple lumineuse.

Puis, tout en clair-obscur, se dessine l’héroïne éponyme. Fascinant portrait de l’adolescence dans ses pulsions les plus extrêmes, Miranda est une protagoniste à fleur de peau, rongée par la solitude et son passé. Une figure féminine marquante comme les affectionne sa créatrice. Ni détestable, ni admirable mais férocement attachante, elle est l’un des points clefs de la novella, surprend par son caractère complexe et imprévisible.

Là où l’on pouvait redouter une romance vue mille fois, il n’en n’est rien. Si Miranda jette son dévolu sur Allen, c’est pour ce qu’il incarne et non pour ce qu’il est. Obnubilée par cet idéal qu’elle fantasme, le béguin mièvre tourne à la tentation inquiétante. Bien vite, il l’obsède, comble le vide de son existence. Sans le savoir, le garçon attise en elle des sentiments qu’elle pensait éteints à jamais et qu’elle s’évertue à vouloir ressentir à nouveau. Même là, l’autrice parvient à déjouer les attentes, à donner au « couple maudit » une évolution inattendue.

L’action respecte une unité de lieu ininterrompue, présente brillamment le passage du temps sans donner pourtant le moindre détail. Tout se devine, tout se comprend. La résidence victorienne, comme sa curieuse propriétaire, sont une indication constante pour le lecteur. Un point de repère permanent mais trouble et faillible. On ne quittera ni les murs souillés de secrets, ni la jeune fille condamnée à y résider. Plus l’une dévoile ses mystères, plus l’autre s’embourbe dans son obsession, plus le spectateur sent croître son malaise. A son tour, il sera prisonnier des corridors et ne devra faire qu’un avec Miranda, ses lubies, ses doutes et sa rage éplorée. Une plongée impitoyable dans l’esprit d’une victime devenue vengeresse. Page après page, chapitre après chapitre, nous voilà gagnés par un sentiment de claustrophobie, d’exiguïté. La psychose s’infiltre à travers les lignes, trahit une conclusion sinistre. Ainsi, l’enjeu n’est pas de savoir quel sera le dénouement mais comment celui-ci arrivera.

L’histoire se noue dans une ambiance inquiétante, moite et suffocante. La campagne australienne, brûlante et lointaine, fait office de purgatoire pour l’héroïne. Le lyrisme macabre exsude au gré des réflexions de la narratrice. Si le fond est solide, la forme reste travaillée et s’avère des plus plaisantes, joliment tournée et férue d’images marquantes.

Vibrant hommage au Southern Gothic, la novella tend aussi vers le thriller psycho-fantastique, Shirley Jackson et Henry James en tête. En résulte un huis-clos à la mélancolie spectrale, oppressant et sublime. Miranda n’a pas fini de vous hanter.


Miranda de Nina Gorlier, Éditions du Chat Noir, 119 pages, 12€.

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