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L’avis des libraires - 106ème chronique : Le Bois-Sans-Songe

L’avis des Libraires : 106ème chronique

Le Bois-Sans-Songe de Laetitia Arnould

Ole, le Beau au Bois Dormant

Unique rescapé du génocide qui a frappé le peuple magicien de Skovhjem, le prince Lennart Leifsen réclame vengeance. Il tisse, jour après jour, une terrible malédiction sur le Royaume de Modighjem, patrie des meurtriers, condamnant le peuple à vivre un cauchemar éveillé et éternel. Pourtant, une Modig semble échapper au sortilège : elle se prénomme Liv et n’est autre que la princesse héritière de Modighjem ! Entre les deux jeunes gens, se vouant une haine farouche, la situation se complexifie inexorablement...


Il y a dans les contes de fées quelque chose d’indéniablement fascinant et terrifiant à la fois : une peur primaire, nimbée de nostalgie enfantine, entoure ces histoires immortalisés par les Grimm, Hoffmann ou Aymé. Les contes envoûtent petits et grands, tant ils peuvent être lus à chaque époque de notre vie, découverts d’un œil innocent puis analysés à l’âge adulte. Il n’est pas rare que des contemporains s’attèlent à leur réécriture : l’exercice est certes tentant mais délicat car remanier des histoires que chacun connaît sans en trahir la substance constitue déjà un enjeu de taille.

Aux Editions Magic Mirror, Laetitia Arnould a pourtant relevé le défi par deux fois : dans un premier temps avec Ronces Blanches et Roses Rouges puis avec l’ouvrage au cœur de cette chronique - Le Bois-sans-Songe. Ce roman contient toutes les thématiques anciennes, chères aux contes, couplé à la modernité d’une jeune auteure talentueuse. Arnould confère à son histoire un cadre de dark fantasy sombre et mystique, un univers d’une richesse incroyable, une intrigue dense, des personnages aussi nébuleux qu’attachants…

Elle mêle habilement, sans que le rythme ou le sens n’en soient altérés, deux réécritures : celle de la célèbre Belle au Bois Dormant de Perrault et du méconnu Ole Ferme-l'Œil d’Andersen. L’écrivain combine références et inspirations fantastiques avec un plaisir évident. Elle réussit étonnamment à tromper le lecteur, joue sur ses connaissances pour mieux le surprendre ; les rebondissements sont en effet nombreux, pourtant elle prend soin d’instaurer une véritable ambiance à son intrigue, d’installer la situation et de développer ses protagonistes.

Et quels protagonistes ! On retiendra surtout un écureuil blanc comme la neige, une princesse au fort tempérament, des étranges devineresses aux motivations troubles, un prince tourmenté incapable de trouver sa place en ce monde… Lennart Leifsen est incontestablement l’un des anti-héros les plus captivants de la scène fantastique actuelle : au fil des pages, il sera détestable, touchant, cruel, inconstant, incompréhensible, charmant, terrifiant, charismatique, doux, violent… Un personnage dense et complexe, sombre et secret, à l’image du Bois-sans-songe qu’il a patiemment érigé, muraille végétale imprenable et imprévisible, dotée d’une vie qui lui est propre.

Le plaisir de la découverte se couple ici aux différents niveaux de lecture qu’on peut discerner, à commencer par une critique virulente de la xénophobie, cette peur exacerbée de la différence, l’aveuglement des puissants, la manipulation des foules face à un bon orateur… Enfin, notons que le roman avance une émancipation féminine cohérente en la personne de Liv, princesse couvée à l’écart des réalités qui perd sa naïveté au contact du monde extérieur, seule chance de salut non seulement pour le Royaume de Modighjem mais aussi pour Lennart. La réflexion sur le Bien et le Mal, notamment après la guerre où les vainqueurs sont les seuls à écrire l’Histoire, est également captivante à suivre. Bien qu’ancrées dans un univers médiéval, les thématiques du roman n’en restent pas moins modernes et aux antipodes du manichéisme. Cela rend le tout encore plus appréciable à suivre, d’autant que les idées sont distillées avec subtilité.

La trame doit évidement beaucoup à la plume d’Arnould, raffinée et soignée, poétique mais sans grandiloquence. Son art de la description est ici couplé à des dialogues toujours percutants et un véritable sens du suspense.

Le Bois-sans-Songe est incontestablement une grande réussite, tour à tour passionnant, haletant, déchirant, sublime… Et Laetitia Arnould, une conteuse d’exception.

Un coup de cœur féerique !

 

~ La galerie des citations ~


« Rien ne sèche plus vite que les larmes. Tu verras, le temps qui passe essuie les pleurs et atténue les peines. »

~ p 11 / Ombreuse

« D'un geste autoritaire de la main, Lennart ordonna à la porte d'entrée de tourner d'elle-même sur ses gonds. Docile, elle obéit instantanément et avec un claquement sec, elle isola le maître des lieux du reste de cette humanité qu'il avait fini par abhorrer. Elle le laissa seul dans son manoir, avec son écureuil, son parapluie éteint, son rouet, ses regrets et cette magie qu'on avait vainement tenté de soustraire au monde. »

~ p 45

« Qui était-il ? Que faisait-il à la lisière du Bois-sans-Songe ? Pourquoi tenait-il à occuper ce manoir, tel un veilleur de mondes détruits, qui s'obstine à occuper sa place malgré tout. »

~ p 139 / Liv à propos de Lennart

« Il avait le visage à quelques centimètres de celui de Liv et elle pouvait décrire chacun de ses traits, voir frémir ses narines et déceler le camaïeu de bleus de ses yeux. L'amertume qui brûlait au sein de son regard glacial octroyait à sa physionomie une beauté fourbe. Délicate. Intemporelle. La beauté étrange et sombre d'un ange déchu. »

~ p 140 / Liv à propos de Lennart

« Elle tressaillit lorsque la porte se referma sur lui et lorsqu'il fut hors de sa vue, elle se demanda si c'était le personnage en lui-même ou sa soudaine fascination pour lui qui la dégoûtait le plus. »

~ p 240 / / Liv à propos de Lennart

« Le Bois-sans-Songe n'avait rien d'ordinaire [...] A l'image de son créateur, il était sombre, capricieux, énigmatique et destructeur ; il lui apparaissait comme une déchirure entre deux mondes et elle ne douta pas que les corbeaux qui tournoyaient au-dessus le voyaient tel une plaie sombre et boursouflée qui meurtrissait les terres. »

~ p 244-45 / Réflexion de Liv

« Certaines blessures sont invisibles, mais elles ne guérissent jamais. [...] Elles nous changent, nous façonnent différemment. Et savez-vous qui sont les artisans de l'être sans cœur que vous avez devant vous aujourd'hui ? Ce sont les vôtres et rien que les vôtres ! Votre peuple ! Vos garantes ! Vos soldats... ! Vos parents ! »

~ p 317 / Lennart à Liv

« J'étais parfaitement incapable de me réjouir de la mort. Quelle qu'elle soit. »

~ p 321 / Liv

« Elle ressemblait à un ange de lumière, assoupi au cœur des ténèbres. Elle était magnifique. »

~ p 190 / Lennart sur Liv

« Vous êtes forte et courageuse. [...] Vous êtes le contraire de ce que je suis. Là où je ne vois que la nuit, vous voyez la lumière. Là où je ne pense qu'à la vengeance, vous savez faire preuve de pardon. C'est ça le vrai courage. »

~ p 360 / Lennart à Liv


« Quand il l'embrassa à son tour, Liv eut l'impression de recevoir le baiser de deux hommes en perpétuelle lutte.

L'un éperdu et affectueux. L'autre impitoyable et imprévisible. Aucun ne parut prendre l'avantage.

Ni l'attentionné, ni l'indomptable. »

~ p 366

 

Le Bois-sans-Songe de Laetitia Arnould, paru aux Éditions Magic Mirror, 456 pages, 18€.


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard du 04.12.18

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