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L'avis des Libraires - 211ème Chronique : Les Fées de Cottingley

L'avis des Libraires : 211ème Chronique

Les Fées de Cottingley

de Sébastien Perez & Sophie de La Villefromoit

Un sombre conte inspiré d’un canular sensationnel

La jeune Francès Griffiths quitte l’Afrique du Sud en compagnie de ses parents. Direction l’Europe, plongée en pleine Première Guerre Mondiale. Son père rejoint le front en France, tandis qu’elle-même et sa mère trouvent refuge à Cottingley, petit village niché dans le comté verdoyant du Yorkshire. Là, elles sont accueillies chez la Tante Polly, en compagnie de l’Oncle Arthur et de leur fille, Elsie Wright.

Elsie est une jolie adolescente, renfermée, secrète, à l’imagination florissante, en rébellion contre toute forme d’autorité. Bien vite, une relation très forte se noue entre les cousines. Elsie entraîne alors sa cadette à la rencontre de son amie Katherine, une mystérieuse fugueuse cachée dans les bois. Kate, qui prétend côtoyer le petit peuple, exerce bientôt une fascination sans borne sur les damoiselles. Elle l’affirme : Francès et Elsie pourront bientôt rejoindre les fées… Mais à quel prix ?

Sur l’affaire…

Au début du XXème siècle, une affaire insolite secoue l’Angleterre : Elsie Wright et Francès Griffiths, deux jeunes cousines du Yorkshire, affirment avoir vu le Petit Peuple de très près ! Et elles ont des preuves : cinq photographies, les montrant pour la plupart en compagnie de fées ou de gnomes.

Très vite, l’opinion publique s’emballe. Le célèbre romancier Arthur Conan Doyle accorde du crédit aux filles, de même que l’occultiste Edward Gardner. Les anglophones sont partagés face à ce fait divers sans précédent, les sceptiques et les rêveurs s’affrontent sans relâche. Qu’importe, les filles font la tournée des salons, répondent aux interviews, puis s’éloignent du tapage médiatique.

L’affaire, d’année en année, se tasse. Au fil des décennies, les progrès techniques mettent à jour la supercherie. Au début des 80’s, Elsie et Francès, alors octogénaires, déclarent que les photographies sont fausses. Les fameuses fées ne sont que des figurines en carton découpées dans un livre d’enfants.

Francès, jusqu’à son dernier souffle, maintient pourtant que la cinquième et dernière photo (voir ci-dessous) est authentique. Fait troublant : de nombreux spécialistes contemporains ne s’expliquent toujours pas comment ce trucage-ci a pu être réalisé…

Sur sa postérité…

Les fées de Cottingley appartiennent aujourd’hui à la culture populaire. Le petit village est devenu une destination touristique prisée, les scientifiques et les spiritualistes sont toujours en débat, des dizaines de textes analysent l’ampleur du phénomène, les experts s’interrogent encore sur l’aspect psychologique de l’affaire

En effet, on peut aisément se questionner : comment des adultes, supposément sensés et sans attrait pour l’elficologie, ont accordé crédit aux histoires de deux fillettes ? La plupart affirme que le contexte historique (en pleine première Guerre Mondiale, époque terrible dépourvue de fantaisie) poussait tout simplement les gens à y croire. De nombreux défenseurs de l’affaire ont accordé foi à cette histoire parce qu’elle était belle, fabuleuse. Ils voulaient qu’elle soit vraie. Plus l’époque est difficile, plus la population se tourne vers la spiritualité : religions, croyances ésotériques ou, hélas, sectes. Un besoin crucial de se raccrocher à l’immatériel quand le quotidien, l’accessible, est trop difficile ou trop terne.

Les artistes ne sont pas en reste et se sont très vite intéressés au potentiel d’une telle intrigue. Dès que l’affaire est portée à la connaissance de tous, les clins d’œil dans les œuvres culturelles se multiplient… Quand elle n’en est pas le cœur même.

En 1997, pour honorer le 80ème anniversaire de l’affaire, deux films sortent : d’abord le méconnu Forever, inspiré vaguement des faits, avec Toby Stephens en tête d’affiche ; puis Le Mystère des fées, long-métrage familial détournant l’Histoire au profit d’une jolie fable fantastique où Peter O’Toole campe Sir Arthur Conan Doyle et Harvey Keitel l’illusionniste Oudini.

La littérature, évidement, n’est pas en reste. Les romans et albums dédiés sont légion. Aujourd’hui, revenons sur l’un d’eux.

Sur ce roman illustré…

Lorsque, petite fille, j’ai découvert Le Mystère des fées et l’affaire qui s’y rattachait, j’ai aussitôt développé un engouement infini sur le sujet ! Pour cette seconde chronique du Joli Mois, évoquer avec vous un texte ayant trait à ce cas était donc une évidence.

Paru dans la prestigieuse collection Métamorphose des Editions Soleil, Les Fées de Cottingley est né de la collaboration entre Sébastien Perez et Sophie de La Villefromoit : le premier a la charge du texte, la seconde des illustrations.

Le style de Perez, souvent sobre et dépouillé de fioriture, retrace avec une certaine candeur les pensées de Francès, sa nature enfantine et crédule, ainsi que les violences auxquelles elle doit faire face. La simplicité ingénue du texte se heurte à l’Art nébuleux qui l’accompagne. La plume de l’auteur n’est jamais tant magnifiée qu’en compagnie d’artistes au style très prononcé – si Benjamin Lacombe est son acolyte de longue date, il travaille aussi avec Justine Brax ou Marco Mazzoni. Sans surprise, le tandem s’est donc parfaitement trouvé. L’art sombre et poétique de l’artiste donne une tout autre ampleur à l’intrigue originale. L’ensemble est somptueux, regorge de détails surprenants ou dérangeants, étoffe les pages de texte avec de nombreux dessins époustouflants… Les gouaches et aquarelles de La Villefromoit n’accompagnent pas seulement les mots, elles font partie intégrante de l’intrigue. Ainsi, plusieurs illustrations oniriques évoquent les cauchemars subis par Francès, nous immergent dans le subconscient de la fillette.

La beauté de l’ouvrage, les illustrations de La Villefromoit comme tant de tableaux à admirer encore et encore, tiennent sans nul doute une place majeure dans l’appréciation de l’œuvre. Sur la forme, celle-ci est irréprochable. Mais qu’en est-il du fond ?

Comme évoqué plus tôt, la trame se raccroche aux mystères entourant Francès, Elsie et leurs prétendues rencontres avec le Petit Peuple. Contrairement à de nombreux romans inspirés par l’affaire de Cottingley, les fées et les photographies sont ici plutôt secondaires. L’imaginaire s’insinue là où on ne l’attend pas. Si le fantastique est bel et bien présent, il n’occupe guère une place prépondérante – les éléments surnaturels rôdent tels des ombres nébuleuses sur nos héroïnes, dangereux et fascinants, s’esquissent au fil des pages mais sans certitude. Les quelques légendes relatées par Kate au fil du récit rappellent toute la brutalité inhérente aux contes d’Andersen, Perrault ou Grimm.

Jusqu’au dénouement, le lecteur dérivera entre les canulars des cousines, les états d’âme de Francès, la révolte d’Elsie, les intentions troubles de Kate... Incapable de saisir, de comprendre, où s’arrête la réalité et où commence la fiction, sans savoir s’il doit prendre le parti d’une lecture réaliste ponctuée de divagations ou, au contraire, affronter des créatures extraordinaires bel et bien présentes. La vérité et la mystification, plus que jamais, s’imbriquent étroitement.

Car ce sont bel et bien ces thématiques qui intéressent Perez. Les éléments fantastiques (si fantastiques il y a, chacun en sera juge) ne viennent jamais entraver une réflexion beaucoup plus violente sur l’être humain et ses travers. Sa fable est impitoyable et sa cruauté a déniché le terreau idéal : l’adolescence.

Il n’est pas tant question de fées, de gnomes ou de fantômes que de la culpabilité, de l’engrenage de la notoriété, des relations toxiques ou de la souffrance liée au monde adulte. Du fait de grandir, tout simplement. Perez évoque aussi, avec beaucoup de talent, l’engrenage du mensonge et l’incapacité du menteur à s’en extraire.

Francès subit l’absence d’un père qu’elle adore, avec lequel elle est très complice ; Elsie ne parvient pas à communiquer avec le sien, autoritaire, pragmatique et dévot. Toutes deux sont captives d’un univers où elles se sentent démunies, à l’étroit, où l’on attend d’elles une attitude qu’il leur est impossible d’arborer. A savoir : être une enfant sage et discrète, un modèle docile, une incarnation de la gamine parfaite revendiquée par leur époque.

Une solitude désespérée qui va les pousser à se tourner vers une figure inquiétante et absolue – Kate, la fille sauvage, la créature cruelle, la grande sœur réconfortante, voleuse, menteuse, manipulatrice, émancipatrice, sensuelle, libre. Est-elle réelle ? Est-elle fée ? Est-elle monstre ? Est-elle un être à part entière ou une incarnation des plus sinistres penchants des héroïnes ?

Les différentes interprétations de l’histoire la rendent d’autant plus captivante à découvrir. On ne peut qu’être ensorcelé par Kate et comprendre l’attraction qu’exerce cette dernière sur les cousines. Pour autant, il est difficile d’éprouver autre chose que de l’agacement envers Francès ou Elsie, ce qui est sans doute le gros défaut du roman. La première est d’une naïveté confondante et manque de caractère, si bien que ses accès de brutalité semblent improbables, s’assimilent davantage à de la facilité scénaristique. L’auteur semble chercher à la rendre sympathique, sans réellement y parvenir. Elle reste désespérément fade et plate durant toute l’intrigue. Quant à Elsie, elle promettait d’être une excellente protagoniste ! Elle est déterminée, résolue à ne pas se plier aux exigences ou à la foi de son père, possède un goût certain pour la photographie et un réel talent de mise en scène. Son caractère fougueux et intransigeant aurait pu être un bon compromis entre la douceur conformiste de Francès et la tyrannie marginale de Kate… Mais elle n’est hélas qu’une ado boudeuse en quête de reconnaissance, voire de célébrité, avec toutes les pleurnicheries et les coups de nerfs associés à cet âge. C’est d’autant plus regrettable que les véritables Elsie et Francès, dans les témoignages qu’elles nous ont laissées, apparaissent comme autrement plus profondes et attachantes !

Enfin, dernier défaut majeur qui ne concerne cette fois que l’éditeur : le texte est truffé de petites fautes de frappe et de ponctuation. Guillemets mal placés, chiffres qui sortent de nulle part entre deux mots… Encore une fois, on peut aisément passer outre lorsque l’ouvrage provient d’une petite maison, nettement moins lorsque la collection en question est dirigée par une grosse entreprise, à savoir les Editions Soleil, filière du groupe Delcourt !

Toutefois, inutile de bouder son plaisir. Les Fées de Cottingley est un magnifique écrin dédié à une bonne histoire, un sombre conte inspiré d’un canular sensationnel. On se laisse aisément charmer par son obscur envoûtement, à défaut d’y succomber tout à fait.


Les Fées de Cottingley de Sébastien Perez & Sophie de La Villefromoit, paru aux Éditions Soleil, 152 pages, 22€95. Dès 13 ans.

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