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L’avis des Libraires - 220ème Chronique : Louves de mer

L’avis des Libraires : 220ème Chronique

Louves de mer de Zoé Valdés

Chasseresses des flots

Aux prémices du XVIIIème siècle, deux femmes vont s'élever au-dessus de leur condition et s'arracher au carcan du genre. Sous couvert de vêtements masculins, l'une deviendra marin, l'autre soldat.

Après avoir connu l'aventure et la liberté, l'amour et la mort, elles seront réunies sous le Jolly Roger, pavillon du Capitaine Jack Rackham.

Unies dans la piraterie, elles vont marquer l'Histoire de leur nom : Mary Read et Ann Bonny.


~ Avant-propos ~

Après quatre semaines à bourlinguer aux côtés des forbans, nous voici arrivés au terme de notre voyage. Mais, pour notre dernière escale, doublée du 220ème avis des libraires sur ce site, j'avais envie de vous présenter un titre particulier à mes yeux : Louves de mer. Soit un retour nostalgique sur une découverte survenue il y a près de dix ans... J'ai dévoré le roman de Zoé Valdés à l'aube de ma majorité - le coup de cœur avait été brutal et inattendu, à l'image de l'oeuvre. Tant et si bien qu'il me tardait de le redécouvrir via un regard d'adulte. Je vous emmène avec moi pour une (re)lecture mémorable.

 

Pour clore le mois dédié à la piraterie, quoi de mieux qu'un roman ayant trait à Mary Read, par qui ce cycle a débuté ? Lui rendre un dernier hommage est en effet un juste retour des choses ! Embarquons sans plus tarder dans le sillage de ces flibustières impitoyables.

Valdés nous emmène sur la légende de deux destins intrinsèquement liés : ceux de Mary Read et Ann Bonny, femmes pirates les plus célèbres de la culture populaire. Au fil de ces deux-cents pages, l'autrice cubaine va s'employer à leur parcours hors-norme. Si la documentation ne fait aucun doute, la romancière prend des libertés, comble les vides laissés par l'Histoire. Le tout, néanmoins, regorge d'anecdotes véridiques qui le rendent plaisant à suivre. Les aficionados de la piraterie reconnaîtront quelques faits bien connus.

De même, Valdés ne prétend pas rendre avec exactitude le quotidien des écumeurs des mers. Elle concorde d'avantage aux fantasmes, à la vision exacerbée qu'ont pu en avoir les gratte-papiers d'une certaine époque. Soit l’exact opposé des rêveurs idéalistes modernes. Ici, pas de romantisation à outrance, c'est même tout l'inverse ! Les personnages sont superbes, porté par leur nature intrépide, mais rivalisent de cruauté et d’ambiguïté. Plus fascinants qu'attachants. Ann surtout paraît inaccessible, là où Mary se révèle plus sympathique.

Et cette cruauté se ressent jusqu'aux entrailles de l'ouvrage. Louves de mer est cru et implacable, souvent charnel jusqu'à la névrose, parfois gore jusqu'à la répulsion. Les scènes de sexe revendiquent leur obscénité, l'érotisme frôle parfois la pornographie - la sexualité est souvent laide, dérangeante, ne s'embarrasse pas de préliminaires. Celles d'abordage et de combats tiennent du charnier, impitoyables et fulgurantes, à peine atténuées par un certain ésotérisme. Ici, on pense d'emblée la présence spectrale de Jeanne de Belleville, égérie des impératrices pirates, et de ses deux rejetons diaboliques. Alors qu'Ann croise le fer, elle semble comme protégée par l'esprit de la Lionne bretonne. De même, la présence d'un vaisseau fantôme et du don de clairvoyance ajoutent une touche surnaturelle au récit.

Il y a du Paul Verhoeven dans les péripéties que la créatrice instille à ses pages, elle en est presque le penchant littéraire. Comme lui, elle cultive ce style unique, prompt à dérouter. Tous deux semblent choquer par plaisir, se moquer éperdument de la bien-pensance. De fait, si la forme déplaît, le fond est souvent imprégné d'un sous-texte captivant.

La plume de Valdés ne ressemble à nul autre. Le langage moderne, rustre et âpre, presque anachronique, côtoie la beauté des descriptions, la sublimation des corps guerriers - Mary, Ann et Jack, sur un pied d'égalité. Si son goût immodéré pour la métaphore prête parfois à sourire, surenchère d'images très décalées, elle danse toujours à la frontière du mauvais goût. Sitôt que l'on pense la limite franchie, sitôt rattrape-t-elle la chute par la plus jolie formule. Il en va de même pour son intrigue. Elle ne se prive pas d'aller dans le grand-guignolesque, d'épouser pleinement les aléas ridicules de la vie pour ensuite s'accorder un aparté lyrique, une trêve poétique. Un style qui, au final, se prête bien aux personnalités flamboyantes et féroces qu'elle se plaît à décrire.

Elle profite de ses entorses au réel pour imprégner le texte de ses revendications, ses idéaux et sa philosophie. Ainsi, elle distille dans ses écrits son amour de la culture enracinée à la Tierra Caliente* et sa rage contre un gouvernement gangrené. La plus cubaine des parisiennes ne s'en pas assagie. Son interdiction de séjour l'a rendue plus indomptable encore. Exilée de sa terre natale depuis 1995, elle a rédigé ses Lobas de mar en 2003, ne cesse de bousculer ses lecteurs avec des parutions controversées.

Zoé Valdés, à l'image de ses protagonistes, ne connaît ni cage, ni règle. Pirate des mots, louve du texte.


Louves de mer de Zoé Valdés aux Editions Gallimard, 232 pages.

Tirage épuisé, uniquement disponible d’occasion.


*Terre brûlante, surnom donné à Cuba

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