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  • Photo du rédacteurChloé

L’avis des Libraires - 217ème Chronique : Mary pirate

L’avis des Libraires : 217ème Chronique

Mary pirate d’Ella Balaert

De quoi Read est-il le nom ?

A bord du Sans Mercy, l’équipage de Jack Rackham célèbre une énième victoire. Allongée à l’écart des festivités, Mary Read voit la belle Anne Bonny s’approcher d’elle.

Comme Mary, Anne est une flibustière travestie. Comme Mary, Anne a décidé de sa vie. Toutes deux ont embrassé leurs ambitions, dissimulé leur féminité sous des fripes masculines, intégré une bande de pirates dans le plus grand secret et arraché le respect au fil de l’épée.

Read sent la présence de Bonny. Il ne lui en faut pas plus pour basculer entre le passé, le présent et le futur, naviguer au fil de ses souvenirs, explorer son âme, témoigner son ascension et apercevoir sa chute… Pour nous dévoiler le destin incroyable de Mary, pirate.


Pour inaugurer ce mois Hissez le pavillon noir ! attardons-nous sur l’une des icones majeures de la piraterie : Mary Read. Quiconque s’est intéressé au sujet a déjà eu vent de ce nom. Aux côtés de la lionne bretonne Jeanne de Belleville, de la redoutable femme d’affaires chinoise Ching Shih et bien sûr de sa comparse Anne Bonny, Read compte parmi les flibustières les plus célèbres. Cette personnalité indomptée, emblème d’aventures et d’insoumission, a inspiré tous les pans culturels – on la retrouve protagoniste de films, personnage de jeux vidéo, rôle fort du théâtre, muse des chanteuses ou héroïne de romans.

C’est par ce dernier prisme qu’Ella Balaert nous relate Mary Read. Une novella pour une vie tout aussi brève et un roman terriblement marquant pour un destin d’exception interrompu au bel âge. La forme répond au fond, le ton est donné dès les premières pages.

Le texte est solidement documenté, il reprend chaque étape connue dans le parcours chaotique de ce « Diable de femme ». Il y aurait là de quoi écrire des péripéties à foison, des histoires sordides de champs de bataille et d’abordages sous les couleurs d’un pavillon noir. Pourtant, sous la plume de Balaert, l’intrigue passe outre le récit de cape et d’épée. Elle favorise une tournure moins épique.

La romancière se distingue d’emblée de ses prédécesseurs. Le mythe ne l’intéresse pas : elle veut la Mary intime, humaine, obscure, à la frontière des genres. Sauvage, animale presque, fascinée par le sang, la fureur du combat. Aussi préfère-t-elle se couler vers la tragédie existentielle, explorer la psyché trouble d’un être en pleine quête personnelle, à la construction aussi hasardeuse qu’harassante.

Via ses mots, la figure légendaire dévoile un portrait contemporain, à la complexité troublante. Avant d’être une énigme pour ses proches et les historiens qui se pencheront sur son sort, Mary est un mystère pour elle-même. Perdue dans son corps et son genre, elle est pourtant d’une détermination farouche. Sa méconnaissance de son moi profond est compensée par une seule certitude, un unique crédo : vivre comme elle l’entend. La survie ancrée en elle, Mary agit d’instinct, suit ses désirs, mène ses combats, répond à chaque défi lancé par son quotidien. Sensualité à fleur de peau, liberté à fleur de lame.

 

Attention :

Spoilers sur la vie de Mary Read

 

La pirate, pour Balaert est prétexte à évoquer le statut de la femme, l’identité et le genre, le poids du deuil, la culpabilité de survivante, la construction d’un tempérament rompu au mensonge dès ses jeunes années. Devenue homme par la force des choses et non par réelle volonté, elle est consciente des privilèges offerts par le statut masculin, seul moyen d’arracher l’égalité et la décence à cette société qui repose sur le privilège de la naissance et la préséance du sexe mâle ; Mary, en pantalon, se sent libre et prisonnière à la fois, trahison nécessaire et seule planche de salut. Elle partage sa chair et son âme avec le spectre envahissant d’un frère trépassé avant sa naissance, un aîné dont elle endosse l’identité et qu’elle s’imagine porter encore en son sein.

La femme est au centre du texte. Aucun nom, à l’exception de ceux des pirates, n’est mentionné. Comme si Mary n’appartenait qu’à ce monde, sur la Terre comme sur les flots. Qu’elle avait pris en épousailles le Jolly Roger et nul autre. Les hommes de passage dans la vie de Read ne sont jamais désignés.

Seul son dernier amant, pirate aussi, sera nommé. Il s’agit de Thomas Dylan – personnage tressé pour la trame. Un garçon gracile, juvénile, rêveur. Inversion des codes, des stéréotypes attribués à la physiologie : l’homme devient femme, la femme devient homme, l’identité se confond sous le titre d’amour. Peut-être parce qu’il est le premier – et le dernier – à lui rappeler qu’elle restera un membre du beau sexe, envers et contre tous, malgré son entourage et malgré elle. C’est par lui qu’elle sera mère. La pirate expirera à l’aube de la trentaine, d’un trépas abominablement féminin : en couches.

Quant à sa relation trouble avec Bonny, son ultime compagne et là aussi son exact opposé en dépit de leurs similitudes, l’autrice jette un voile pudique. Serait-elle frileuse à l’idée d’évoquer les passions saphiques ? Non, on préfèrera y voir un mystère de plus, une amitié-amour dont Anne et Mary sont les seules à avoir le fin mot de l’histoire.

Le style de Balaert opte pour la prose, s’imprègne d’un ésotérisme féroce. Répond à la nature de sa Vénus sortie de la fange en modulant ses phrases d’une grâce cruelle. Le texte est d’une beauté à couper le souffle, exigeant et emporté, libre et lyrique. Il arbore une narration déstructurée, labyrinthique, tord le temps pour conter son intrigue tout en restant d’une clarté absolue.

Mary pirate ressemble à s’y méprendre à la mer si chère à son héroïne éponyme. Tempétueuse, imprévisible, violente, sibylline, meurtrière, apaisante, poétique, changeante. Calme jusqu’à ses débordements de fureur, inaccessible y compris à ceux qui se jettent à corps perdu dans ses flots.

Belle à sa manière, certainement. Captivante, toujours. Read n'a pas fini de subjuguer les artistes de tous bords...


Mary pirate d’Ella Balaert aux Editions Zulma, 125 pages.

Aussi disponible en format poche, 123 pages.

Tirage épuisé, uniquement disponible d’occasion.



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