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L’avis des libraires - 160ème chronique : Juliette

L'avis des libraires : 160ème chronique

Juliette d'Anne Fortier

Héritière shakespearienne

Au décès de sa tante chérie, Julie hérite d'une lettre, d'une mystérieuse clef et de l'adresse d'une banque à Sienne. Résolue à éclaircir ce mystère, la jeune femme gagne l'Italie. A l'arrivée, une découverte incroyable : celle de la relation passionnée qu'entretenait son ancêtre, Juliette Tolomei, avec un jeune homme... Un certain Roméo.

Troublée par les similitudes entre son histoire familiale et les personnages de Shakespeare, Julie décide de poursuivre ses recherches...


Dix ans... Cela fait une décennie que l'ouvrage d'Anne Fortier attend patiemment son heure sur mes étagères ! Sans que je ne sache vraiment pourquoi, il est resté sagement dans son coin, relégué dans une PAL qui n'en finissait plus de grandir, cantonné au statut d'achat compulsif jamais feuilleté depuis. Il s'est rappelé à mon bon souvenir en 2017 : sa sortie en poche aux Editions Charleston m'a remémorée cette trouvaille oubliée de mon adolescence.

Le mois des amants maudits étant l'occasion idéale pour le sortir de ma bibliothèque, je reviens avec vous sur cette envie livresque de longue date, mille fois repoussée depuis. Alors après dix ans, l'attente est-elle à la hauteur de Juliette ?

Autant l’avouer : non. Cette enquête entre l’an de grâce 1340 et notre époque n’est pourtant pas dénuée de qualités… C’est ce qui rend sa lecture d’autant plus décevante ! En effet, d’emblée, on sent le potentiel d’une trame pareille, l’implication de la romancière et sa vibrante passion pour Shakespeare sont évidentes. Les admirateurs les plus aguerris du Barde d’Avon prendront ainsi plaisir à (re)découvrir la genèse de sa pièce, des légendes moyenâgeuses aux œuvres antérieures ayant nourries sa vision de Roméo et Juliette, créant du même coup les amants les plus populaires de la sphère théâtrale. L’auteure se permet d’ailleurs de nombreuses allusions à la pièce originale, allant jusqu’à introduire des citations bienvenues pour débuter chaque chapitre. Retrouver les envolées de Shakespeare est toujours jouissif et Anne Fortier en use à bon escient. Au-delà de cette genèse, l’ensemble du travail accompli est tout simplement incroyable : la reconstitution historique du XIVème siècle et du régime des Neuf régnant sans partage sur la cité siennoise ; la description de la culture, de la gastronomie et de l’architecture italiennes ; l’exaltation ressentie lors de la fameuse course du Palio ; la beauté et la richesse des paysages transalpins ; la retranscription de l’ambiance contemporaine de la Toscane… De quoi s’offrir un voyage au cœur de ce « bel paese » à l’éclat immuable ! Toutefois, s’il n’y a rien à redire sur les recherches de Fortier et l’immersion totale proposée dans ces contrées, sur le fond comme sur la forme, beaucoup d’éléments pêchent. Julie, pour commencer. Notre personnage féminin principal s’avère être une godiche naïve et prude, curieusement vénale, incapable de réfléchir plus loin que le bout de son nez, au caractère versatile, dont le principal signe distinctif est d’être en opposition constante avec sa sœur Janice – autrement plus intéressante et débrouillarde mais hélas souvent cantonnée au statut de garce nymphomane ! Et, malheureusement, Julie n’est pas la seule à agir comme une gourde de soap opera ! Les héroïnes s’avèrent cruches, les protagonistes masculins d’une niaiserie confondante… Au-delà de cela, ils sont aussi inconsistants qu’inconstants, prennent souvent des décisions catastrophiques et aucunement justifiables vis-à-vis des péripéties. Ils changent brusquement d’état d’esprit, passent d’une relation glaciale aux accolades émues, leurrent effrontément pour avouer leurs mensonges trois lignes plus loin… Au demeurant, ils sont tout simplement mal écrits, en dépit des belles promesses avancées. La palme revient à Giulietta : l’aïeule de Julie est présentée comme une femme forte, combattive et intelligente, prête à assassiner ses ennemis au besoin, mais elle cumule les mauvais choix et finit par se suicider bêtement alors qu’elle pouvait aisément user de la ruse pour s’en sortir… Oui, le beau sexe est malmené au sein du livre – de maladresse en maladresse, les femmes présentées comme positives ne le sont, au final, jamais ! On passera sur le slut-shaming et le relooking de la narratrice en bombe répondant aux diktats sexistes habituels – clichés misogynes quand tu nous tiens ! Au final, le mystérieux Umberto, Roméo et le Frère Lorenzo (auquel Fortier rend un vibrant hommage) sont les seuls à réellement tirer leur épingle du jeu. Las ! Leurs apparitions restent très limitées. Les personnages, peu attachants, évoluent dans un scénario abracadabrantesque, asphyxié dans des rebondissements improbables et des délires mystico-religieux de plus en plus prégnants au fil des chapitres. Clairement, l’intrigue se pense plus futée qu’elle ne l’est. Résultat : on peine à avancer et on s’ennuie ferme, pas franchement captivé par les aventures familiales alambiquées et les malédictions qui fleurent bons le téléfilm moisi sur SyFy. C’est d’autant plus fastidieux que la forme est malhabile, la qualité de la plume aléatoire… Ces difficultés stylistiques se ressentent particulièrement lors des dialogues, lesquels tombent régulièrement à l’eau, s’avèrent confus et n’ont parfois que peu de sens ou d’impact. Il est de temps à autre très laborieux de saisir le sens d’une conversation, y compris lorsque des éléments clés sont révélés. Curieusement, Fortier semble plus à l’aise lorsqu’elle prête ses mots à la noblesse moyenâgeuse que lorsqu’elle s’essaie à des diatribes plus modernes. Voici une lecture loin du coup de cœur attendu et c’est un doux euphémisme ! Même si, contrairement à ce que cette chronique a pu laisser entendre, Juliette n’est pas un torchon médiocre : il tient plus du divertissement maladroit et inoffensif que du véritable fiasco. Reste que, avec un tel postulat et les recherches titanesques qui ont accompagnées sa rédaction, on pouvait légitimement s’attendre à beaucoup mieux. A vous de vous laisser tenter… Ou pas.

 

~ La Galerie des Citations ~


« Nous traversions d'immenses vignes protégées par l'infinie cape bleue du ciel. Je suis née au cœur de ce paysage, pensai-je. Pourtant, je me sentais totalement étrangère, telle une intruse frappant à la porte pour réclamer quelque chose qui ne lui avait jamais appartenu. »

~ p 44 / Julie

 

« La nuit appartenait aux audacieux, aux fous et aux artistes, qui sont souvent les mêmes. »

~ p 77 / Maître Ambrogio

 

« Face à la mort, les hommes deviennent les amoureux les plus transis. Si seulement ils témoignaient de la même ardeur quand leur bien-aimée est en vie ! »

~ p 80 / Frère Lorenzo

 

Anne Fortier​, Juliette aux Éditions Michel Lafon. 394 pages. 20€29. Egalement disponible en format poche Éditions Charleston. 576 pages. 8€90.

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