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L'avis des libraires - 151ème chronique : Dîner à Montréal

L'avis des libraires - 151ème chronique

Dîner à Montréal de Philippe Besson :

A nos amours manquées, à nos liaisons déçues...

Dix-huit ans après les événements survenus dans Un certain Paul Darrigrand, le narrateur retrouve son ancien amour à Montréal. S'ensuit un dîner au restaurant où Paul arrive accompagné de sa femme Isabelle et Philippe au bras d'Antoine, le jeune homme qui partage sa vie depuis quelques mois. Le repas s'annonce quelque peu mouvementé...


Troisième opus de la série autobiographique initiée par Arrête avec tes mensonges et poursuivie par Un certain Paul Darrigrand, Dîner à Montréal se présente comme la conclusion aux amours manquées de Paul et Philippe.

Les anciens amants se retrouvent ensemble au Québec, à l'autre bout du monde, à des kilomètres (et des années) des terres françaises qui ont vu naître leur relation. Leurs existences ont pris des chemins radicalement opposés, divergents, inconciliables. Pourtant, Paul force le destin et se glisse à nouveau dans l'existence du romancier à l'occasion d'une séance de dédicaces. Le temps écoulé n'a guère apaisé leurs rapports et la proposition d'un rendez-vous autour d'un souper, le soir même, menace d'embraser une situation déjà complexe.

L'action se concentre ainsi sur un délai très court et semble pourtant curieusement s'allonger, en l'espace d'un dîner interminable où pèsent le poids des années, des non-dits, une certaine tension, un espoir un peu f(l)ou sur les attentes de chacun. L'épouse souhaite sans doute être rassurée et s'imposer une nouvelle fois victorieuse dans cette confrontation avec celui qui aurait pu lui soustraire son mari ; le fringuant petit ami suit le spectacle avec un intérêt non dérobé, mettant à jour un pan de la vie de son compagnon qu'il n'envisageait pas ; Philippe cherche à comprendre le naufrage d'une relation qui l'a laissé profondément détruit. Quant à Paul... Paul reste secret, mystérieux, insaisissable. Monsieur Darrigrand demeure - presque - inchangé, avec l'ambition, l’orgueil, la retenue qui le caractérisent.

C'est un jeu des plus dangereux auquel se prêtent les quatre protagonistes, où se mêlent les conséquences du présent, le fardeau du passé et l'incertitude du futur, où chacun cherche à interpréter l'autre. Durant ces retrouvailles inopinées resurgissent les cachotteries un peu mesquines, les regrets amers, la course de ce temps qui n'épargne personne - ni les corps, ni le cadavre d'une relation enterrée depuis presque deux décennies. Subsistent aussi une vague espérance et les fantômes du désir. Toujours le besoin viscéral de comprendre. Les réponses exigées par Philippe lui sont distillées au compte-goutte et il se trouve incapable de savoir si elles ne sont pas drapées dans un pieu mensonge, si Paul ne camoufle pas la vérité par crainte de voir son existence bien réglée voler en éclats. Dîner à Montréal dissèque une passion perdue, décortique les résidus d'un amour, délivre une fine analyse des rapports humains.

C'est également une introspection virulente du rapport à l'écriture, des conséquences pour un auteur de se livrer à travers ses ouvrages et de se voir mis à nu au moment où il s'y attend le moins. La thérapie des mots, son absolue nécessité, se retourne ainsi contre Besson - chaque proche peut analyser ses lignes, s'y percevoir, deviner une trajectoire de vie, combler les trous laissés béants par la séparation. Paul prend ainsi d'emblée l'avantage sur Philippe, tout comme Isabelle et Antoine qui analysent les choix de l'auteur sans l'avoir réellement lu, n'hésitant pas à dresser le parallèle entre réalité et fiction. Quand la thérapie littéraire vire à l'autopsie publique, le choc est rude, le malaise d'autant plus - il est palpable ici, la gêne de l'écrivain suinte à chaque fois que sa vie se met en parallèle à son oeuvre.

Le roman, malheureusement, ne suscite ni l'addiction d'Arrête avec tes mensonges ni la mélancolie langoureuse noircie par la maladie d'Un certain Paul Darrigrand. La trame pêche régulièrement par excès d'égocentrisme, un travers que l'auteur avait pourtant su éviter auparavant. Se faisant, il ne paraît pas toujours sympathique, encore moins touchant, curieusement lointain - un défaut qui était absent de ses précédentes œuvres. On peut dès lors craindre que ses tribulations intimes finissent par tourner en rond, par perdre en intérêt de publication en publication.

Difficile toutefois d'être hermétique à la plume, à ce fameux Darrigrand, à la vision pertinente de l’exercice autobiographique. De résister, enfin, à cette analyse intime et curieusement universelle des amours déçues.

 

~ La galerie des citations ~

« [...] j'ai compris que je ne pourrais plus continuer comme avant, que c'était fini, avoir un contrat de travail des horaires aller au bureau, les responsabilités, que ça avait volé en éclats, qu'il faudrait laisser toute la place à l'écriture, toute la place, quoi qu'il en coûte, les gens m'expliquaient que j'étais fou, que je ne devais pas renoncer à la sécurité, que c'était aléatoire l'écriture, que c'était illusoire la reconnaissance, et je savais qu'ils avaient raison, leurs arguments je ne les contestais pas, mais c'était plus fort que moi, il fallait que je le fasse, que j'abandonne la vie d'avant, que je l'abandonne complètement, que je m'en débarrasse, pour qu'il ne reste plus que ça : être seul avec le texte à écrire, cette folie, cet emportement et c'est ce que j'ai fini par faire quelques mois après. Ce n'est pas du courage, pas du tout, ç'aurait été du courage si j'avais eu le choix. »

~ p 53 / Philippe Besson

 

« Me reviennent alors les instants de 1989, quand l'amour était occulte, quand notre jeunesse était un sauf-conduit, quand l'inconscience nous guidait, quand les étreintes étaient ce qui importait le plus, quand les possibles l'emportaient sur les devoirs ; tout était plus simple, même si nous dansions au bord de l'abîme. »

~ p 89 / Philippe Besson

 

« La douleur ressemble à celle infligée par la feuille de papier qui nous coupe, c'est la même rapidité, la même stupidité, et la même promesse d'une brûlure durable. »

~ p 151 / Philippe Besson

 

Philippe Besson : Dîner à Montréal aux Éditions Julliard. 198 pages. 19 €

Chronique parue en version écourtée dans le Pays Briard le 12.11.19

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