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L’avis des libraires - 88ème chronique : Chère Mrs Bird

L'avis des libraires : 88ème chronique

Chère Mrs Bird de AJ Pearce

2nde Guerre Mondiale & bagatelles

1941. Emmy, jeune londonienne, n’a qu’une seule ambition : devenir reporter. Las ! C’est un poste dans un journal féminin qu’elle se voit octroyer : la voilà en charge du courrier des lectrices adressé à Mrs Bird, la taciturne et conservatrice rédactrice en chef. Les critères de sélection sont rigoureux et seules les lettres les plus chastes se voient accorder une réponse. Mais Emmy compte bien adresser quelques mots réconfortants à ces dames esseulées…


Face à un tel résumé, comment ne pas être emballé ? A.J Pearce nous promettait une histoire formidable, avec pour thèmes le journalisme au XXème siècle et l’émancipation féminine, le tout sur fond de Blitz !

Problème ? Le contenu ne remplit pas la moitié des promesses du synopsis…

Si les lettres sont bel et bien un élément récurrent du roman, elles ne sont en aucun cas centrales et se révèlent étonnamment prudes et innocentes – curieux car à l’époque, la Grande-Bretagne connaissait déjà le mouvement des Suffragettes et la mode des Garçonnes ainsi que l’usage du vibromasseur, inventé dans le but de soulager les douleurs musculaires mais rapidement détourné pour pratiquer la masturbation… Quant au domaine de la presse, il n’est que rapidement effleuré.

Au lieu de se focaliser sur ces thématiques fascinantes, l’auteure choisit de centrer l’intrigue sur les déboires sentimentaux et les tergiversations de son héroïne Emmy – héroïne qui se révèle niaise, futile, égocentrique… bref, fortement agaçante. Il est impossible de s’attacher à elle, ce qui rend la première partie à peine digne d’un roman Harlequin, alors que la seconde vire dans un insupportable mélo, à coup de ficelles bien rôdées qui tombent allègrement dans le pathos ! D’autant que, s’il cherche à rattraper le coup avec un rebondissement bien trouvé, le livre ne retranscrit jamais l’ambiance d’angoisse et d’horreur propre à la 2nde Guerre Mondiale : les privations sont à peine évoquées, chacun se moque des alertes à la bombe, les souffrances de la population sont survolées durant les 150 premières pages… Privilégiées, Emmy et son amie Bunty passent plus de temps à flirter, à parler fanfreluches et garçons que des véritables problèmes causés par le Blitz. Le tout évoque un passage dramatique de l’Histoire vu de façon frivole, inepte et vide, sans profondeur, avec des protagonistes très manichéens – Mrs Bird est une tortionnaire qui ne se remet jamais en question, Emmy une idéaliste cruche incapable de réfléchir aux conséquences de ses actes avant le drame… Et, à sa manière, tout aussi moralisatrice que Bird, ce qui est un comble !

La trame est de plus enfoncée par le style maladroit de Pearce, les dialogues improbables (on passe de répliques ampoulées à un langage familier contemporain) et les descriptions peu approfondies : difficile dans ce cas de se plonger dans l’atmosphère de l’époque. Il n’empêche que le livre se lit rapidement, comme tout bonne chick-lit qui se respecte, la plume pétillante et truculente en moins.

Parmi les quelques atouts de l’ouvrage, soulignons ces personnages secondaires forts (William, Bunty, Thelma) et surtout… Mr Collins. Collins est auteur de romance fleur-bleue, cynique et désabusé mais doté d’une gentillesse hors-norme. Ce protagoniste atypique entre deux âges est nettement plus digne d’intérêt que notre héroïne. Emmy le qualifie d’homme « excentrique, lunatique, caustique et héroïque » - seule remarque pertinente que je peux lui accorder. Enfin, il semble évident que Pearce a effectué de nombreuses recherches sur la culture des années 40. Côté cinéma, on cite Le Signe de Zorro avec Tyrone Power et on loue la chevelure de la magnifique Dorothy Lamour. Il y a des références à l’actualité politique, à la musique, aux établissements en vogue à l’époque. Notamment Le Café de Paris, lieu emblématique du West End, ouvert depuis 1924 et toujours populaire de nos jours, qui a vu défiler un panel impressionnant de célébrités telles Marlene Dietrich, Louise Brooks, Judy Garland, Josephine Baker, Frank Sinatra, Ava Gardner, David O. Selznick ou encore Grace Kelly. Dans les 40’s, le jazz est à la mode et le Café compte un prestigieux orchestre, anecdote retranscrite dans Chère Mrs Bird.

Mais ces quelques points ne suffisent pas à rattraper un livre qui, à mes yeux, s’avère au mieux décevant au pire insultant !

En conclusion, si vous avez envie de comédie romantique, lisez Tiphaine Hadet, Sophie Kinsella, Isabel Wolff, Jane Austen... Si vous voulez vous attarder sur des romans ancrés dans la 2nde Guerre Mondiale, plongez-vous dans Expiation d’Ian McEwan, La Mer à l’aube de Volker Schlöndorff, Max de Sarah Cohen-Scali, Les Cerfs-volants de Romain Gary, Le tombeau d’étoiles de Maxence Fermine, La mandoline du Capitaine Corelli de Louis de la Bernière ou Toute la lumière que nous ne pouvons voir d’Anthony Doerr.

Mais dans les deux cas, évitez cette Mrs Bird.

 

« Aujourd’hui, la capitale s’était réveillée sous un ciel bas et gris, comme si un écolier avait lancé son pull-over en l’air et recouvert accidentellement tout le West End. »

~ p 14

« Compte tenu de l’idée que Mrs Bird se faisait de la dépravation, Sodome et Gomorrhe pouvaient dormir sur leurs deux oreilles. »

~ p 39

« C’est pour ça que je m’en tiens à la fiction. Les histoires inventées sont un peu plus faciles à gérer que les histoires réelles. »

~ p 52 / Mr Collins

« Cela fendait le cœur de voir des immeubles aplatis et des églises calcinées, alors qu’elles étaient là depuis des siècles, mais on éprouvait presque un sentiment de triomphe en constatant que des monuments et des statues, et même des parcs et des grands magasins étaient restés intacts. La Luftwaffe avait beau essayer de nous noyer sous une avalanche de bombes, nous tenions bon. Quand on voyait qu’elle n’avait même pas écorné Big Ben et que nous les avions empêchés de brûler St Paul, il y avait de quoi reprendre du poil de la bête. »

~ p 88

« Et puis les larmes sont arrivées. Un flot de larmes. D’où viennent-elles, toutes ces larmes, et comment débordent-elles aussi rapidement ? Sont-elles toujours là, en attente d’un malheur ? Quel sale boulot que le leur. »

~ p 186

 

Chère Mrs Bird de AJ Pearce aux Editions Belfond, 360 pages, 21€.

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