Chloé
Cinâexpress : Dellamorte Dellamore
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Dellamorte Dellamore
đŹ de Michele Soavi â avec Rupert Everett, Anna Falchi, François Hadji-Lazaro đ Sortie : 1994

A peine une minute dâĂ©coulĂ©e et dĂ©jĂ , le spectateur comprend dâinstinct que ce Dellamorte Dellamore sera loin de tout ce quâil a dĂ©jĂ pu voir : un OVNI poussĂ© Ă son paroxysme, une histoire dont il ne sera Ă aucun moment sĂ»r de tout comprendre, un chef-dâoeuvre trouble dâune virtuositĂ© visuelle transcendante⊠SignĂ© Michele Soavi et adaptĂ© dâun roman de Tiziano Sclavi, le synopsis du film retient lâattention : un jeune homme associable qui, une fois la nuit tombĂ©e, rĂ©tabli lâordre dans son cimetiĂšre profanĂ© par des morts ayant la fĂącheuse manie de revenir squatter notre monde, en quĂȘte de chair fraĂźche, sept jours aprĂšs leur trĂ©pas⊠Mais le rĂ©sultat dĂ©passe toutes les attentes, tant il se plaĂźt Ă effleurer des genres radicalement diffĂ©rents pour les rĂ©unir en un seul et mĂȘme film. Des Ă©lĂ©ments horrifiques â volontairement kitsch â qui rappellent la dimension surnaturelle de lâintrigue, un humour noir dĂ©tonnant, des personnages plus Ă©tranges, malsains ou burlesques que jamais (Gnaghi, le fidĂšle muet qui accompagne Francesco dans sa lutte contre les revenants, a la palme des trois catĂ©gories. Avouez quâun amour inconditionnel vouĂ© Ă une tĂȘte Ă quelque chose de lĂ©gĂšrement dĂ©rangĂ© !)⊠A cela, pourquoi ne pas mĂȘler Ă©galement une rĂ©flexion sur la Vie et la Mort, ainsi quâune histoire dâamour â ou plutĂŽt la quĂȘte dâun amour â prĂ©sentĂ© comme absolu ? Dans Dellamorte Dellamore, la sociĂ©tĂ© est descendue en flĂšche et la totalitĂ© des personnages en prennent pour le grade : le rejet de la diffĂ©rence, la capacitĂ© Ă encaisser le regard des autres, la dĂ©votion amoureuse bĂąclĂ©e, la petite bourgeoisie italienne habituĂ©e Ă ce quâon lui passe tous ses caprices, le moyen dâexploiter un drame pour sâattirer la renommĂ©e⊠Et, au milieu de cette foule perturbĂ©e, un (anti-)hĂ©ros inhabituel, lâun des plus dĂ©routants du monde artistique : Francesco Dellamorte, aussi tĂ©nĂ©breux que marginal, philosophe Ă ses heures qui disserte sur (ou avec) la Mort entre deux coups de plombs bien placĂ©s. Dellamorte, câest aussi cette image de romantique macabre, profondĂ©ment imprĂ©gnĂ© dâELLE, cette veuve mystĂ©rieuse qui lui a Ă©tĂ© arrachĂ© et sa quĂȘte pour la retrouver. Par deux fois, il croira lâavoir et par deux fois elle lui Ă©chappera *spoiler : la premiĂšre dans une pathĂ©tique esquisse de niaise abstinente, la derniĂšre avec une prostituĂ©e aux motivations purement financiĂšres.[/spoiler] Jamais il ne parviendra, au travers de ses deux copies, Ă atteindre la perfection quâElle reprĂ©sentait Ă ses yeux lors de la premiĂšre rencontre. Ses Ă©changes avec Elle sont dâailleurs le prĂ©texte Ă des scĂšnes dâune sensualitĂ© troublante et funĂšbre, prodigieuse vision de deux vies qui se rĂ©unissent dans la mort, comme cette sublime et macabre scĂšne de baiser sous un linceul, dans un ossuaire ou celle, charnelle, qui unie les corps Ă la lumiĂšre de feux follets sur une tombe cernĂ©e de lys. Ce romantisme sombre, dĂ©rangeant, hante presque chaque scĂšne, dans de longs plans saisissants entre des anges de pierre, des tombes recouvertes de bougies et lâĂ©clat grenat du sang⊠DerriĂšre les images Ă la beautĂ© sĂ©pulcrale se cache la profondeur dâun scĂ©nario labyrinthique, extravagant par moment, qui sâassume de bout Ă lâautre en abordant, parfois, des thĂšmes plus complexes quâil nây parait telle que la folie, la schizophrĂ©nie et la lassitude face Ă la Vie. La question qui hante Dellamorte, jusquâau dernier moment, sera : le monde existe-t-il par-delĂ ce que lâon connait ? Est-il possible dâenvisager une vie ailleurs ou sommes-nous toujours prisonniers de ce que nous cherchons Ă fuir ? La rĂ©ponse, symboliquement mise en scĂšne lors du dĂ©nouement, offre les intonations mĂ©lancoliques et pessimistes qui manquaient Ă cette Ă©trange compilation. Dellamorte voit un Ă©ternel recommencement, dans la Vie comme dans la Mort â « Je donnerais ma vie pour ĂȘtre mort ». Si le scĂ©nario est donc exploitĂ© dâune main de maĂźtre par Soavi, son Ă©quipe est tout aussi remarquable : la musique de Riccardo Biseo et Manuel De Sica accompagne les dĂ©cors gothiques du cimetiĂšre, soulignant avec intensitĂ© les moments forts du film ; quant au casting, il bĂ©nĂ©ficie dâun trio dâacteurs principaux plutĂŽt talentueux. A commencer par Rupert Everett, dans le rĂŽle de Dellamorte, dont Sclavi, lâauteur original, est un fan inconditionnel : son flegme naturel, son regard mĂ©lancolique et sa capacitĂ© Ă jouer sur la complexitĂ© de son personnage sont saisissants. Puis, dans le rĂŽle du trĂšs peu parlant et mentalement perturbĂ© Gnaghi François Hadji-Lazaro et dans celui de la sensuelle et mystĂ©rieuse Elle, la belle Anna Falchi, saisissante en femme mystifiĂ©e. Un Ă©trange malaise sâempare progressivement du spectateur au fur et Ă mesure quâil dĂ©couvre ce chef dâoeuvre dĂ©dalĂ©en oĂč se mĂȘlent philosophie, critique sociale, poĂ©sie sombre, sensualitĂ© macabre aux combats sanguinolents et Ă lâhumour sombre de Dellamorte. Sâil ne fera Ă©videmment pas lâunanimitĂ©, gageons que cette traversĂ©e du cimetiĂšre de Buffalora ne laissera personne indiffĂ©rent.


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