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L’avis des libraires - 139ème chronique : Les mémoires d'un chat

L'avis des libraires : 139ème chronique

Les mémoires d'un chat d'Hiro Arikawa

Nana & Satoru, une balade bouleversante...

Félin errant un brin asocial, c’est par hasard que notre narrateur à quatre pattes fait la connaissance de Satoru, un "dingue de chats". Pour notre héros, pas question de s’enticher d’un être humain ! Pourtant, entre Satoru et lui, c’est le coup de foudre. Le voilà officiellement animal de compagnie de ce garçon rêveur et baptisé d’un nom quelque peu surprenant : Nana.

Les années passent, prospères et épanouissantes, jusqu’au jour où Satoru est obligé de se séparer de son cher chat.

Débute alors un road-trip au cœur du Japon, à la rencontre des proches susceptibles d’accueillir Nana...


Il est des lectures qui tombent comme des coups de cœur, comme des évidences - on les adopte, on les chérie, on les laisse bouleverser notre quotidien comme un animal recueilli à la fantaisie du hasard.

Les mémoires d’un chat est de celles-là : une jolie histoire débarquée à pattes de velours du Pays du Soleil Levant, imprévisible, percutante et terriblement juste, telle que la littérature nippone sait si bien nous en offrir.

On y suit le voyage de Satoru et Nana, leurs escales et leurs découvertes. Leur périple à travers l’Archipel, de Tokyo à Fuji en passant par Hokkaidō, est l’occasion pour le lecteur d’en apprendre d’avantage sur le passé de Satoru et les répercussions que le jeune homme, d’une gentillesse désarmante, a eues auprès de ses amis.

De tribulations en tribulations, d’anecdotes en anecdotes, le chat, observateur finaud, va lui aussi retracer le vécu de son maître. Au cours de l’ouvrage, le félin fera à son tour la rencontre de personnalités radicalement différentes, maîtres comme animaux. Parmi les plus emblématiques, citons un agriculteur rustaud mais généreux accro à son chaton malhabile, une tante à la maladresse touchante, une chatte précieuse d’un certain âge baptisée Mme Momo ainsi qu’un chien écervelé du nom de Toramaru... C’est à travers le regard de Nana que nous est relatée la trame, entrecoupée par le témoignage des personnages secondaires. Le parti-pris est aussi intéressant que savoureux. Car l’ex minet de gouttière, avec son caractère bien senti, son entêtement à toute épreuve et son bagou décomplexé, est un narrateur de premier ordre !

Les pérégrinations de nos deux héros donnent lieu à toute une palette d’émotions exploitée à merveille par l’auteure, transcendée par la poésie d’une plume hors-norme. Rarement le rire et les larmes n’auront été si étroitement liés. L’éloquence insolente du félin fait mouche à coup sûr ; les rapports entre les protagonistes sont explorées dans toute leur complexité ; le drame se dévoile avec beaucoup de pudeur au fil des chapitres sans jamais tomber dans le pathos ; le poids du deuil est magnifiquement évoqué, de même que les relations animaux/humains...

Au delà de tout cela, le livre d’Hiro Arikawa conte un pan de vie, une rencontre survenue au bon moment et au bon endroit. Plus encore, une amitié : celle, improbable, d’un duo diamétralement opposé mais naturellement uni. Nana est un chat des rues à la verve citadine, indépendant, arrogant et brillant, volontiers ironique ; Satoru s’avère lunaire, altruiste, social et optimiste, d’une abnégation sans borne. Sous ses dehors de matou mal léché et cynique, Nana va montrer envers son humain une dévotion et un amour absolus. Cette relation forte est l’un des nombreux atouts de ce roman – outre les qualités déjà soulignées au préalable, avançons l’excellente traduction de Jean-Louis de La Couronne et la très belle couverture signée Irina Garmashova-Cawton.

Les mémoires d’un chat est un livre coup de cœur, chaleureux comme un ronronnement, percutant comme un coup de griffe, magnifique et imprévisible comme un félin… Cette chronique de vie, hilarante et triste à la fois, illustre à la perfection le genre : elle explore ce qu’est la vie au fil de ses rencontres, de ses bonheurs fugaces, de ses grandes tragédies, de ses petits riens qui prennent toute leur importance.

Le roman s’adresse bien entendu aux "dingues de chats". Il y a fort à parier que beaucoup de maîtres se reconnaîtront entre ses lignes, non sans un pincement au cœur. Au-delà de ce public conquis d’avance, Hiro Arikawa a réussi la prouesse d’écrire un road-trip intimiste sur la maladie, l’acceptation et le deuil, une balade accessible à tous, dédiée à l’ensemble des lecteurs.

Une histoire de matou ? Oui, sans aucun doute. Mais, plus que cela, une fable intemporelle, évocatrice et lyrique. Quel chef d’œuvre magistral que ces souvenirs rédigés par le prisme du chat…

 

~ La Galerie des Citations d'Hiro Arikawa

& des œuvres d'Irina Garmashova-Cawton ~


« Tout endroit accessible aux pattes d’un chat est une voie publique, c’est juste du bon sens. »

~ p 9 / Nana

« On dit que les chats avec la queue pliée savent crocheter les petits bonheurs. […]

Si on avait eu un chat qui savait crocheter les petits bonheurs dans cette maison, les choses ne se seraient pas passées de la même façon, je me suis dit comme ça. »

~ p 21 / Kôsuké Sawad


« D’où tu sors que j’adore ces pitoyables ersatz de souris ? Bon, d’accord, comme l’odeur ressemble à celle des vraies, je leur cours après par réflexe, mais quand je les mords, il n’y a pas ce jus délicieux, ça se mange même pas, alors quand je retrouve mes esprits j’ai vraiment l’impression de m’être donné du mal pour rien. Vous voyez les dessins animés de samouraïs à la télé, quand un grand samouraï sabre un mannequin ou un faux ennemi et qu’il dit, rien qu’à la sensation de la lame : “Ah, j’ai encore utilisé ma lame pour rien…” ? Eh bien, moi c’est pareil, je pourrais dire chaque fois : “Ah, j’ai encore chassé une proie inutile… !” (Ah, à propos, Satoru, lui, a plutôt l’air porté sur les armes de poing. Le temps qu’il peut passer, devant son écran d’ordinateur, à appuyer sur la détente…) Franchement, si au moins ces gadgets imbéciles étaient fourrés de blanc de poulet… Personne ne leur écrit pour leur demander, aux fabricants ? Au lieu de flatter les propriétaires, ils devraient s’occuper de satisfaire leurs clients, je veux dire leurs vrais clients ! »

~ p 39 / Nana


« Je sais que je suis exceptionnellement intelligent comme chat, c’est vrai, mais me faire traiter comme un jouet et devoir porter sur mon dos le poids de votre relation plombée, non, franchement, sans façon. »

~ p 55 / Nana


« C’est le genre de musique qui doit attirer les tourterelles et les colombes. Pour un chat, c’est intéressant. »

~ 59 / Nana


« Pour les dingues de chats, les chatons sont un émollient particulièrement puissant. »

~ p 69 / Remarque de Nana sur Miyawaki et son chaton, Chatran


« La vie familiale est passée pour eux du côté obscur de l’ennui, et apparemment, je n’émets pas la lumière qui leur apporterait le salut. »

~ p 75 / Miyawaki


« La politesse, dans le monde des chats, c’est important. »

~ p 88 / Nana


« Les animaux ne vont jamais contre le bon sens, il n’y a que les humains. Ce sont vraiment des animaux spéciaux. »

~ p 154 / Nana


« Mais un enfant, c’est comme un chat, qu’est-ce qu’il peut faire quand les adultes ont décidé quelque chose ? »

~ p 164 / Nana


« Allez, allons-y. C’est notre dernier voyage.

Et pour notre dernier voyage, on va voir plein de belles choses. Plein plein plein de belles choses, on parie ?

Avec ma queue en forme de 7, je vais accrocher toutes les choses merveilleuses du monde, promis ! »

~ p 164 / Nana


« Quand on pense temples et cimetières, on a tout de suite en tête des clichés d’histoires de fantômes, mais c’était absolument pas le type d’ambiance pesante à voir apparaître des spectres envieux des vivants ou ce genre de choses.

Quoi ? Si c’est vrai que nous, les chats, on peut voir les esprits ? Eh bien, figurez-vous… qu’il y a certaines choses qu’il vaut mieux laisser sans explication. Un peu de mystère, ça fait pas de mal dans la vie, non ? »

~ p 172 / Nana


« Les humains sont assez doués pour fabriquer plein de couleurs, mais ils ont du mal à reproduire leur vraie force. »

~ p 214 / Nana


« Dans la douce lumière, le vent apporte quelques flocons de neige. Une neige délicate comme une illusion… L’hiver sera bientôt là.En effet, mes chroniques touchent bientôt à leur fin. »

~ p 227 / Nana

 

Les mémoires d'un chat d'Hiro Arikawa, aux Editions Actes Sud, 326 pages, 22€.


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard le 20.08.2019

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