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L'avis des Libraires - 197ème chronique : Coraline

L'avis des Libraires - 197ème chronique :

Coraline de Neil Gaiman

Une fable entre frissons & féerie


** Attention : Légers spoilers **

Alors qu'elle vient d'emménager au sein d'une vieille demeure, Coraline Jones tombe sur une porte singulière. En apparence condamnée, cette dernière donne pourtant accès à un monde des plus étonnants. Si celui-ci semble à priori identique au sien, la fillette s'aperçoit vite que le danger y rôde, que les bizarreries sont mortelles et que l'on ne s'aventure pas impunément dans cet autre univers. Aidée par un mystérieux chat noir, Coraline devra user de "bonne fortune, sagesse et courage" pour retourner chez elle...


Une galerie de personnages singuliers, un protagoniste fort en pleine quête initiatrice, un monde parallèle qui recèle mille féeries et tant de dangers, une réflexion douce-amère sur le quotidien, une pincée d’épouvante… Pas de doute, Coraline est bien un ouvrage de Neil Gaiman ! Se déploient, au fil des chapitres, toutes les thématiques fortes et les sujets de prédilection du génial conteur britannique.

D’emblée, on pense à une variante jeunesse de Neverwhere, autre roman phare de l’auteur. Mais il y a aussi beaucoup de Lewis Carroll dans cette trame, laquelle évoque une revisite gothique d’Alice au Pays des Merveilles. La symbolique des miroirs, la présence d’un chat guide narquois, la menace d’un tyran féminin, le bestiaire monstrueux… Son héroïne partage en effet quelques similitudes avec cette autre petite fille téméraire, lancée sur les traces d’un lapin blanc : Coraline se définit en exploratrice, Alice en est une sans même y songer et c’est bien l’ennui, la curiosité qui les pousse à pénétrer un autre monde. Un univers attirant où les règles semblent abolies pour mieux invoquer l’envoutante étrangeté, l’importance des leçons quotidiennes, l’affrontement des peurs viscérales.

Mais la loufoquerie malaisante de Carroll cède ici sa place à une horreur plus frontale. Coraline n’est donc pas à mettre entre toutes les mains, tant son intrigue recèle de passages résolument anxiogènes. Gaiman n’a pas son pareil pour insuffler l’effroi en manipulant nos terreurs primaires. De fait, la figure parentale est la plus malmenée dans cet autre monde : la fillette retrouve des clones à priori aseptisés de ses parents, prêts à tout pour la contenter, mais qui se révèlent être une créature malfaisante et sournoise pour l’une, un pantin sans esprit pour l’autre. Ils l’aiment oui, mais ils l’aiment mal. Que leurs yeux soient remplacés par des boutons, là où, symboliquement, le regard passe pour le reflet de l’âme, est une trouvaille géniale, à la fois grotesque et inquiétante. Pour retrouver ses vrais parents, son véritable univers, Coraline devra poursuivre un périple personnel intense et épuisant, où le péril l’enserre toujours plus étroitement. Elle est d’autant plus plaisante à suivre qu’elle échappe au stéréotype de l’ado rebelle vu mille fois.

Œuvre de Lacombe pour un projet illustré avorté.

La famille Jones est très attachante et son traitement très réaliste : les parents ne sont pas les poncifs désincarnés et distants redoutés, ils chérissent leur fille, sans savoir toujours comment le lui manifester.

Comme souvent avec Gaiman, les protagonistes secondaires sont tous mémorables. Les habitants de la propriété bénéficient ainsi d’une personnalité marquante et de passages mettant leurs tempéraments loufoques en avant. Les actrices retraitées Miss Forcible et Miss Spink forment un duo burlesque, un poil radoteur et très cocasse, profondément généreux. Vieillard aux lubies loufoques, Monsieur Bobinsky n’en demeure pas moins sympathique – en raison de son caractère lunaire, ses timides souris savantes s’avèreront vite bien plus clairvoyantes que lui… On remarquera d'ailleurs que chacun est lié à un animal : Coraline au chat noir, les Miss Forcible et Spink à une colonie de toutous et Monsieur Bobinsky a sa petite troupe de rongeurs mélomanes. Toutes ces personnalités excentriques mais bienveillantes auront bien entendu leur équivalent cauchemaresque dans l’autre monde, une vision déformée et malfaisante incarnée par de monstrueux doppelgängers face auxquels la jeune aventurière devra lutter.

Cet autre monde offre d’ailleurs l’un des moments les plus beaux, les plus éprouvants et les plus déchirants écrits par Gaiman, mettant en scène trois âmes perdues. Malgré la brièveté de leur présence au sein du récit, ces petits fantômes hanteront longtemps le lecteur.

Le développement de Coraline est captivant, constitue le sel de l’histoire. Si le personnage est déjà valeureux, sa bravoure n’est pas innée et, à plusieurs reprises, elle devra prendre sur elle pour manifester sa vaillance. Un excellent enseignement car comme elle l’affirme si bien elle-même : « Le courage, c’est quand on a peur mais qu’on y va quand même ». Elle apprend ainsi de précieuses leçons (apprécier ce que l’on possède, aimer les gens pour ce qu’ils sont, accepter de faire des concessions)… Sans jamais renier sa soif de connaissances ou son tempérament téméraire. Elle n’a pas changé à la fin de ses pérégrinations, elle est simplement devenue meilleure.

Ultime point fort et dernier coup de génie de l’auteur : une fois de retour chez elle, Coraline n’a pas réglé tous ces ennuis. Le message est limpide. Même en fuyant, même en parvenant à atteindre nos objectifs, certains problèmes demandent du temps pour être résolus et ne doivent surtout pas être ignorés, sous peine de nous tarauder encore et encore…

A noter que la présente édition, parue en 2019, bénéficie d’une superbe couverture signée Benjamin Lacombe et de quelques dessins en noir et blanc – de quoi rêver à une version entièrement illustrée par ses soins, tant la création sombre et poétique de Gaiman semble correspondre à son art.

Coraline est un superbe livre pour les lecteurs intrépides et les amoureux de l’étrange, à découvrir dès 11 ans. Avant de vous plonger entre ces pages, un dernier conseil : méfiez-vous des portes qui ne mènent nulle part.

 

~ L'anecdote du Chapelier :

Coraline, une héroïne populaire ~


Depuis sa première apparition sous la plume de Neil Gaiman, en 2002, l'intrépide Coraline a connu un succès foudroyant ! L'année de sa sortie, l'ouvrage a ainsi remporté les prix British Science Fiction et Bram Stoker de la meilleure œuvre adressée aux jeunes lecteurs ; en 2003, il s'est vu décerné les récompenses Hugo du meilleur roman court, Nebula du meilleur roman court et Locus du meilleur roman pour jeunes adultes.

Mais sa popularité ne s'arrête pas là puisque la jeune exploratrice a également été adaptée en BD par le collaborateur régulier de Gaiman, Philip Craig Russell, et bénéficie d'un ouvrage luxe illustré signé Aurélie Neyret.

Elle a aussi été portée sur grand écran par Henry Selick, réalisateur reconnu pour son travail sur L'Étrange Noël de Monsieur Jack ou James et la Pêche géante. La patte visuelle du créateur fait des merveilles, l'animation image par image est somptueuse, le doublage est maîtrisé en VO comme VF... A avoir absolument !

 

~ La Galerie des Citations ~


« - Un chat, ça n'a pas de nom, répondit-il enfin.

- Ah bon ?

- Non. C'est bon pour vous autres, les noms. Parce que vous ne savez pas qui vous êtes. Mais nous, nous le savons ; alors nous n'en avons pas besoin. »

~ p 43 / Dialogue entre le chat noir et Coraline


« Appeler les chats, c'est très surfait. Autant appeler une tornade. »

~ p 71 / Le chat noir


« - Mais comment peut-on tourner le dos à quelque chose et se retrouver quand même devant au bout d'un moment ?

- Facile, répondit le chat. Imagine que tu fais le tour du monde à pied. Tu finiras bien par revenir à ton point de départ, non ?

- Le monde est petit.

- Il est bien assez étendu pour elle, en tout cas, commenta le chat. Une toile d'araignée n'a pas besoin d'être immense : il suffit qu'elle soit assez grande pour attraper les mouches. »

~ p 82 / Dialogue entre Coraline et le chat noir


« Car c'était vrai : cette femme l'aimait. Mais elle l'aimait comme l'avare aime l'argent, comme le dragon couve son or. Aux yeux-boutons de l'autre mère, elle n'était qu'un bien matériel. Elle le savait très bien. Un petit animal domestique qu'on tolère mais qui, en raison de son comportement, a cessé d'être amusant. »

~ p 114 / Coraline réfléchit à son rapport à l'autre mère


« Le ciel n’avait jamais été plus ciel, le monde jamais plus monde.

Coraline contempla les feuillages et les motifs d’ombre et de lumière qui se dessinaient sur l’écorce fissurée du hêtre, devant la fenêtre. Puis elle baissa les yeux sur le chat, dont la tête était comme brossée de lumière par les chaudes teintes du soleil, qui nimbaient d’or chacune de ses moustaches blanches.

Elle n’avait jamais rien vu d’aussi intéressant de sa vie. Absorbée par ce monde brusquement devenu passionnant, elle se rendit à peine compte qu’elle s’affalait peu à peu, en se recroquevillant comme un chat, dans le fauteuil de la grand-mère, et sombra dans un profond sommeil sans rêves. »

~ p 146 / Coraline retrouve et comprend son monde

 

Coraline de Neil Gaiman, paru aux Éditions Albin Michel, 176 pages, 12€. Dès 11 ans.


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard du 19.01.21

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