Chloé
Mot du Mercredi n°91 : Philippe Delerm
đ La Citation du Jour đ
« Le Baiser de lâHĂŽtel de Ville. Je nâaimais pas cette photo. Tout ce noir et ce blanc, ce gris flou, câĂ©tait juste les couleurs que je ne voulais pas pour la mĂ©moire. Lâamour happĂ© au vol sur un trottoir, la jeunesse insolente sur fond de grisaille parisienne bien sĂ»r⊠Mais il y avait la cigarette que le garçon tenait dans sa main gauche. Il ne lâavait pas jetĂ©e au moment du baiser. Elle semblait presque consumĂ©e pourtant. On sentait quâil avait le temps, que câĂ©tait lui qui commandait. Il voulait tout, embrasser et fumer, provoquer et sĂ©duire. La façon dont son Ă©charpe Ă©pousait lâĂ©chancrure de sa chemise trahissait le contentement de soi, la dĂ©sinvolture ostentatoire. Il Ă©tait jeune. Il avait surtout cette façon dâĂȘtre jeune que je nâenviais pas, mais qui me faisait mal, pourquoi ? La position de la fille Ă©tait Ă©mouvante : son abandon Ă peine raidi, lâhĂ©sitation de son bras droit surtout, de sa main le long du corps. On pouvait la sentir Ă la fois tranquille et bouleversĂ©e, offerte et presque rĂ©ticente. CâĂ©tait elle qui crĂ©ait le mystĂšre de cet arrĂȘt sur image. Lui, câĂ©tait comme sâil bougeait encore. Mais elle, on ne la connaissait pas. Il y avait son cou fragile, Ă dĂ©couvert, et ses paupiĂšres closes â moins de plaisir que de consentement, moins de voluptĂ© que dâacquiescement⊠au bonheur, sans doute. Mais dĂ©jĂ le dĂ©sir avait dans sa nuque renversĂ©e la crispation du destin ; dĂ©jĂ lâombre penchĂ©e sur son visage recelait une menace. Je trichais, Ă©videmment ; je mentais, puisque je les connaissais. Enfin, je croyais les connaĂźtre. »
~ Philippe Delerm, Les amoureux de lâHĂŽtel de Ville
