Chloé
Cinâexpress : Mary Reilly
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Mary Reilly
đŹ de Stephen Frears â avec Julia Roberts, John Malkovich, Glenn Close đ Sortie : 17 avril 1996

Depuis sa publication, en 1886, LâĂtrange Cas du Dr Jekyll et de M. Hyde nâa cessĂ© de fasciner. Ce tiraillement perpĂ©tuel entre le Bien et le Mal, reprĂ©sentĂ© ici en deux parts distinctes de notre ĂȘtre, R.L Stevenson avait Ă©tĂ© le premier Ă en saisir le potentiel mis au service de la science. LâidĂ©e de se dĂ©barrasser de tout ce quâil y a de plus primitif et de plus abject chez lâĂȘtre humain, pour nây laisser que la bontĂ© et la pureté⊠Mais cette expĂ©rience tourne au dĂ©sastre et le Mal lâemporte sur le Bien. Dans ce combat manichĂ©en, Hyde â le cĂŽtĂ© sombre de Jekyll â est incontestablement plus fort. Le crĂ©ateur est surpassĂ© par son double malĂ©fique et dĂšs lors, la fin est inĂ©luctable. De tous les dĂ©rivĂ©s, remakes, réécritures Ă sâĂȘtre inspirĂ©s du chef-dâĆuvre orignal, bien peu ont rĂ©ussis Ă Ă©galer son gĂ©nie sombre. Toutefois, la plus Ă©loignĂ©e et la plus rĂ©ussie de ces versions est, sans conteste, celle de Mary Reilly. SignĂ©e par le remarquable Stephen Frears â quâon ne prĂ©sente plus de son travail sur les Liaisons Dangereuses Ă ChĂ©ri en passant par Tamara Drewe â et adaptĂ©e dâune nouvelle de Valerie Martin, cette vision du cĂ©lĂšbre classique rĂ©interprĂ©tĂ©e dâun point de vue fĂ©minin est tout simplement stupĂ©fiante. Un Londres Ă©touffĂ© par le brouillard qui camoufle les meurtres comme la perversion, un domaine lugubre et oppressant qui cache des secrets inavouables⊠InquiĂ©tant et obscur, rapidement secondĂ© par une impression malsaine, Mary Reilly bĂ©nĂ©ficie dâun scĂ©nario implacable et de la formidable musique de George Fenton pour sâĂ©lever au plus haut. En premier lieu, le film raconte surtout lâhistoire dâune jeune domestique qui nourrit une profonde affection pour le Dr Jekyll et un trouble irrĂ©pressible Ă lâĂ©cart de Mr Hyde. LâidĂ©e gĂ©niale est sĂ»rement dâhumaniser Hyde autant quâil est possible de le faire : toute sa perversitĂ©, sa violence mais aussi la tentation mĂȘlĂ©e Ă de la tendresse quâil Ă©voque pour Mary⊠Plus humain, Hyde est dĂ©sormais moins inaccessible, plus quâun monstre, il est surtout la face cachĂ©e dâun homme respectable â la question posĂ©e revient continuellement : qui a libĂ©rĂ© lâautre, quelle partie de nous est la plus prĂ©sente ? Jekyll apparait comme plus sĂ©duisant en tant quâHyde que sous sa forme habituelle, ce qui ne fait quâajouter Ă lâĂ©trange dualitĂ© du personnage. La prestation de John Malkovich y est sans nul doute pour quelque chose : elle le pose en modĂšle, Ă©galant mĂȘme lâexcellente interprĂ©tation de Frederic March dans la version de Rouben Mamoulian⊠Et câĂ©tait en 1931 ! A notre Ă©poque, Malkovich est sĂ»rement le seul Ă avoir pleinement jouĂ© de lâincroyable perplexitĂ© du personnage. SidĂ©rant, oscillant entre la folie et la luciditĂ© en permanence, comme en Ă©quilibre au bord du gouffre, lâacteur semble ĂȘtre A LA FOIS Hyde et Jekyll, habitĂ© par la violence et la bontĂ© de lâun et lâautre. Quant Ă Julia Roberts, dĂ©stabilisante en servante meurtrie et dĂ©vouĂ©e, elle est Ă©clatante de retenue, de sobriĂ©té⊠Le combat quâelle mĂšne en son for intĂ©rieur ressemble, de maniĂšre assez Ă©vidente, Ă celui que mĂšne Jekyll de son cĂŽtĂ© : le respect pour son maĂźtre et sa position, en totale opposition Ă lâamour quâelle Ă©prouve et le trouble que lui inspire Hyde. A milles lieux de toutes les comĂ©dies dans lesquelles elle a pu tourner, câest ici, dĂ©nuĂ©e de tout embellissement, quâelle apparait comme la plus talentueuse. Nouvel enjeu, Mary est au cĆur de la relation Hyde/Jekyll, la seule Ă pouvoir les comprendre, les soutenir, les aimer ou⊠les dĂ©truire. Spoiler : SublimĂ©s par la camĂ©ra de Frears et sa capacitĂ© Ă filmer les Ă©motions, Roberts et Malkovich livrent des prestations inoubliables, soutenus par des seconds rĂŽles efficaces mais, au final, un peu inexistants face au potentiel dâun tel duo. Dans une esthĂ©tique gothique, aussi sobre quâinquiĂ©tante qui rappelle les fameux « films de monstre » des annĂ©es 30, lâatmosphĂšre implacable et la tension â sexuelle â qui vibre entre les trois personnages principaux (Jekyll-Mary-Hyde) atteignent leur apogĂ©e dĂšs la moitiĂ© du film. Si lâenthousiasme retombe quelque peu par la suite (le glauque pour le glauque nâest pas forcĂ©ment un bon moyen pour renouer avec le public), Mary Reilly ne perd a aucun moment son intĂ©rĂȘt, malgrĂ© certaines longueurs. La qualitĂ© du scĂ©nario et des dialogues, la complexitĂ© de Jekyll/Hyde, la capacitĂ© de Frears Ă vĂ©hiculĂ© une palette dâĂ©motion en lâespace dâune scĂšne assurent une formidable relecture Ă lâĆuvre de Stevenson. Injustement rabaissĂ©e lors de sa sortie, il est temps de rĂ©parer cette erreur en dĂ©couvrant la magnifique histoire de Mary Reilly. Et dâacclamer une nouvelle fois le talent du tandem Stephen Fears/John Malkovich.

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