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L’avis des libraires ~ 224ème Chronique : Circé

L’avis des libraires ~ 224ème Chronique :

Circé de Madeline Miller

Magicienne sans malice

Fille d’Hélios, Dieu du Soleil, et de Persé, une nymphe des océans, Circé naît dans un palais céleste. Une cage luxueuse où elle grandit sans trouver sa place. Ici, tout n’est que splendeur, pouvoir et cruauté – elle s’y sent étrangère, davantage liée aux Hommes qu’aux divinités.

Lorsqu’elle commet un acte de magie intolérable à l’encontre d’une rivale, Zeus proclame son éternel exil. Circé est bannie à Ææa, une île sans âme qui vive.

Cet exil loin des siens marque le début de son ascension : Circé va devenir la plus puissante sorcière de la Grèce Antique. Surtout, elle sera une femme libre. Et quiconque cherchera à l’entraver ou la soumettre subira son courroux...

 

Attention : Légers spoilers

 

Pour poursuivre ce mois dédié à l’Antiquité, attardons-nous sur un autre livre de Madeline Miller. Après Achille, la romancière étatsunienne s’attache à une autre figure emblématique de la mythologie : Circé.

En se focalisant sur les dilemmes d’une femme méprisée et perdue, Miller narre son émancipation, son combat envers le monde puis sa renaissance en tant qu’être à part entière. Circé est donc une fresque féministe résolument moderne, teintée de magie, d’aventures et de violence. Si elle offre une résonnance particulière avec notre époque, dessine tout en finesse le caractère et la psychologie de son héroïne, l’aspect mythologique demeure omniprésent.

L’ensemble du texte est jalonné de légendes antiques, lesquelles constituent les pierres angulaires du récit. Portées par un style épuré mais fluide, les péripéties de la sorcière sont des plus addictives : difficile de lâcher cette réécriture avant sa conclusion finale ! Là où Miller excelle surtout, c’est avant tout dans sa manière d’entrelacer les différents mythes. Les scènes les plus marquantes reposent sur des épopées grandioses, mille fois entendues mais toujours saisissantes – la punition de Prométhée, la fureur de Scylla, la naissance du Minotaure, la transformation d’équipages en pourceaux… L’autrice parvient souvent à imbriquer au parcours de Circé d’autres destins qui jusqu’alors en étaient détachés.

Si l’ensemble reste bien construit et solidement documenté, un problème de taille nuit néanmoins au plaisir de la lecture : sa protagoniste éponyme. A l’origine, Circé est une héroïne captivante, femme farouche, magicienne redoutée de tous. Cruelle, puissante, arbitraire, sauvage, ingénieuse, elle est souvent qualifiée de première femme fatale. Elle incarne aussi la force féminine en parfaite symbiose avec la nature puisqu’elle vit retranchée à l’écart de la société, en harmonie avec la faune et la flore. Sorcière trouble et secrète, elle est fascinante et terrifiante tour à tour.

Dans l'œuvre du peintre Wright Barker, Circé est souvent représentée

entourée par ses animaux sauvages de prédilection, lions et loups.


Or, Miller n’a que peu d’intérêt à explorer la férocité du personnage, pas plus que son ambiguïté ni son pouvoir. Seule son humanité la passionne ; cela et l’identification des lecteurs vis-à-vis d’elle. Un parti-pris qui aurait pu s’avérer prenant si Miller n’avait pas lissé son héroïne à l’extrême. Sa Circé est fade, gentille jusqu’à la bêtise, son évolution si lente qu’elle reste désespérément candide durant la majeure partie de l’intrigue, sans jamais déchaîner sa violence outre mesure… A un tel point que sa crédulité passe pour de la stupidité, tant elle met du temps à comprendre et à saisir les enjeux, elle qui pourtant a plusieurs centaines d’années !

Miller s’acharne à la disculper de chaque mauvaise action, chaque acte répréhensible – lorsqu’elle ne passe pas sous silence des passages du mythe originel qu’elle n’aurait pu justifier, comme le maléfice jeté à Picus, condamnant celui-ci à être un pivert. Elle s’approprie également le parcours de la sorcière, modifiant sa destinée et lui offrant au passage tout ce qu’elle désire lors du dénouement. Avec une morale mièvre et simpliste à la clef.

Sous couvert de sa plume, Circé n’agit jamais par pure méchanceté mais par représailles envers les torts qu’on lui a infligés ou par affection, qu’il s’agisse de passion romantique ou d’amour filial. Evidemment, on a le droit à ce vieux poncif narratif qui veut qu’une femme ne soit endurante et sans pitié que si elle endure un viol ou devient mère – les deux clichés sont ici présents. La romancière la déculpabilise ainsi constamment aux yeux du lecteur, quitte à accentuer les mauvais côtés des autres personnages. De fait, tous les autres protagonistes ont des parts d’ombres, des instants de méchanceté pure, des passages où ils laissent libre cours à leur toute-puissance, là où elle-même reste prévisible et insipide. Il faut bien entendu noircir leur caractère pour encenser celui de l’héroïne. A ce stade, Circé tient plus de la martyre biblique que de la divinité grecque sans regrets ni remords !

Se pencher sur son humanité, sans exclure les abysses de sa personnalité, aurait davantage rendu honneur à cette immense magicienne. D’une façon générale, ce n’est jamais rendre service aux femmes que de les astreindre à la perfection, d’idéaliser leurs travers ou d’estomper leurs facettes les plus sombres.

Surtout que l’effet escompté échoue totalement : là où Circé indiffère, voire agace par sa nature moralisatrice, les figures troubles de Pasiphaé, Hermès, Athéna, Ulysse ou Médée ensorcèlent, surprennent et effraient.

Un portrait de femme tristement terne pour une épopée résolument flamboyante. Voilà tout le paradoxe de cette Circé.


Circé de Madeline Miller aux éditions Pocket, 572 pages, 8€50.


L'un des portraits les plus célèbres de Circé, signé

J.W Waterhouse : le tableau retranscrit à merveille

la nature impériale et envoûtante de l'enchanteresse.

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