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L’avis des libraires - 251ème chronique : La malédiction du Cecil Hotel

L’avis des libraires - 251ème chronique :

La malédiction du Cecil Hotel de Sonya Lwu

Petites chroniques funestes


Bâtisse imposante implantée dans les venelles tentaculaires de Los Angeles, emblème glauque d’un quartier défavorisé, la notoriété du Cecil Hotel n’est plus à faire. Une réputation sinistre où s’entremêlent meurtres, suicides, décadences et superstitions.

Interpellée par les lieux, Sonya Lwu vous propose d'en franchir les portes...


Psycho-criminologue de formation, Sonya Lwu se lance sur YouTube en 2018. Glauque nerd selon ses propres termes, elle s’attache aux mythes, légendes, sites insolites et, surtout, aux faits divers… Très vite, son univers attire l’œil et attise la curiosité. Pour cause !

Au sein des vidéastes True Crimes, Lwu se distingue par son approche analytique, son sens de la pudeur et la place particulière accordée aux victimes – loin du sensationnalisme ou du grand-guignolesque prisés par certains tabloïds. Par son parcours, la psychologie occupe une place primordiale. Détective acharnée et pointue, elle passionne les internautes. Chaque vidéo reflète un travail de recherches dense, une personnalité engagée, le tout porté par un indéniable talent de narratrice.

Ce n’était qu’une question de temps, sans doute, avant qu’elle ne s’emploie à d’autres supports. Après les vidéos, un jeu (La boîte crime) et un cahier d’activités policières (Les enquêtes de Sonya Lwu), la sortie d’un premier livre s’imposait comme une évidence. C’est chose faite cette année avec La malédiction du Cecil Hotel.


« Aujourd’hui, avec ce livre, j’ai l’occasion d’explorer avec vous ce lieu,

ses 14 étages, son hall magnifique contrastant avec ses nombreux

couloirs aux couleurs ternes et ses 700 chambres fatiguées ; ce théâtre

d’affaires criminelles iconiques de la ville de Los Angeles où ont rôdé

Richard Ramirez et Jack Unterweger, parmi tant d’autres…

Poussons donc, ensemble, les portes de l’un des endroits

les plus étranges et sombres du monde. »


Si l’établissement avait déjà été abordé sur sa chaîne, la jeune autrice revient ici plus longuement sur ce lieu inquiétant. De fait, malgré le changement de support, elle est parvenue à conserver sa patte, à préserver le ton accessible et bienveillant qui la caractérise sur YouTube. Dès le prologue, le constat est immédiat : son style se prête à la littérature. La plume est fluide, aussi rythmée qu’addictive. Profondément immersive.

Page après page, elle nous guide au cœur de Skid Row. Voici l’âme damnée de la Ville des Anges, avec ses rues mal famées, sa populace reléguée au ban de la société. Les voleurs, escrocs, fugitifs, prostitués, vagabonds s’amassent dans le quartier. L’ambiance y est poisseuse, âpre. Le magnifique vestibule Beaux-Arts du Cecil Hotel n’est que le cache-misère des chambres miteuses, son prestige d’antan appâte des locataires peu recommandables.


« Délaissée par les autorités, Skid Row est devenue la verrue de

Los Angeles, celle qu’on ne montre pas dans les publicités, les

documentaires ou sur Instagram. Les trottoirs sont submergés de tentes.

Les États voisins de la Californie chargent des cars de leurs sans-abris

et les envoient à Skid Row pour s’en débarrasser ; les détenus

bénéficiant de libération anticipée sont aussi relâchés en secret

dans le quartier ; les agressions et vols y sont monnaie courante.

Pourtant, il subsiste une lueur d’espoir dans toute cette obscurité

grâce à la présence d’associations se battant pour rendre un peu

de dignité aux SDF en leur apportant de la nourriture ou en leur

proposant un logement pour la nuit. »

L’écrivaine inaugure les présentations par Elisa Lam, une pensionnaire retrouvée noyée dans le réservoir d’eau de l’hôtel, dont le trépas reste bien énigmatique.

S’ensuivent deux parties conséquentes sur les tueurs en série Richard Ramirez et Jack Unterweger. Si celle concernant Unterweger est captivante, notamment pour la manipulation des masses, celle consacrée à Ramirez s’avère à la limite du soutenable. Le Traqueur de la nuit est connu pour ses crimes d’une extrême violence et le contenu suit son parcours au plus près. Il en résulte divers passages très crus et foisonnants de détails. L’occasion ici de rappeler que le livre s’adresse à un public averti ; pour s’aventurer au Cecil Hotel, mieux vaut avoir les tripes bien accrochées…

Plus loin, on se penche sur San Damon, figure artistique controversée. Le photographe aurait supposément fréquenté l’endroit pour un shooting à l’issue tragique. Or, nul n’a trouvé la moindre preuve de son passage à L.A… Ni même de sa propre existence ! San Damon est un spectre qui hante Internet, à la manière d’une creepypasta, sur fond d’organisation secrète et de notoriété usurpée.


« La plus grande prudence reste de mise avec

quiconque se vanterait d’avoir découvert la vérité. »


Mais les chapitres les plus fascinants, comme souvent, reposent sur une affaire non-résolue. Un assassinat survenu en janvier 1947 : celui d’Elizabeth Short alias le Dahlia noir. Le plus célèbre homicide commis aux Etats-Unis, source de toutes les spéculations, ne cesse d’enflammer l’opinion publique. Malgré cela, plus de soixante-dix ans après les faits, il ne subsiste qu’une seule certitude : personne ne sait qui a commis le meurtre, ni quel était le mobile.

Point par point, la psycho-criminologue narre les faits, remémore les principaux suspects et déconstruit les idées reçues. La principale notamment, celle qui justifie la présence de Short dans cet ouvrage. Encore aujourd’hui, on associe le Cecil Hotel au Dahlia noir. Pourtant, il est probable qu'Elizabeth n’y ait jamais mis les pieds. Quoi de plus naturel que de lier la belle assassinée au coupe-gorge de Skid Row, même sans preuve tangible ?

Si l’enquête a été maintes fois débattue, suscite l’engouement et inspire les thèses les plus saugrenues, Sonya Lwu se distingue pourtant par son approche. Elle dénonce ainsi la misogynie crasse de certains limiers, recontextualise le cas et rappelle le caractère peu conventionnel de Short. Libre et débrouillarde dans une époque pudibonde, la jolie brune aux yeux pâles dérange les conservateurs d’après-guerre. On a tôt fait de l’affubler de tous les vices – catin ambitieuse, briseuse de ménage, starlette aux dents longues. Ce qui en résulte, c’est qu’une fille bien n’aurait pas connu un tel dénouement. Ses « détracteurs » le martèlent : Elizabeth a elle-même provoqué son exécution, elle est allée trop loin, sa nature aguicheuse s’est retournée contre elle… La réalité est tout autre. Aux antipodes de la femme fatale, c’était une fille fauchée, à la dentition déplorable, vivotant comme elle le pouvait, parfois affabulatrice mais sans mesquinerie. Ni réelle ambition cinématographique, d’ailleurs. Comme le souligne Sonya, l’occasion était trop belle d’ériger la martyre en sulfureuse vamp. Pareille image garantissait à la presse des unes renversantes. Quant aux moralisateurs, ils ont là du pain béni : la fable éternelle de la provinciale aux mœurs légères broyée par le système hollywoodien, cruelle mise en garde pour les oies blanches tentées de se brûler les ailes sous les projecteurs. Dépouillée des fantasmes, dépossédée de son aura iconique, le Dahlia noir redevient ce qu’elle aurait toujours dû être : une victime fauchée à 22 ans, en droit d’être respectée et reconnue comme un être humain à part entière.


« Avant [Elizabeth Short], il y avait eu à Los Angeles le meurtre

de l’Orchidée blanche, de l’Hibiscus rouge ou encore ceux de

l’Œillet blanc et du Gardénia blanc. Cependant, aucun d’entre

eux n’est devenu aussi célèbre que l’affaire du Dahlia noir. »


Outre les cinq arcs principaux (deux hommes coupables du pire, deux femmes au mauvais endroit au mauvais moment et un fantôme), l’autrice revient sur l’histoire de l’hôtel. Plusieurs chapitres, intercalés entre les affaires, permettent d’en apprendre davantage sur le projet des investisseurs Hanner, Dix et Schops. De sa création à sa réouverture annoncée en passant par son déclin, des faits divers innombrables qui s’y sont produits à l’impact culturel de l’endroit, rien n’est laissé au hasard. Loin d'amoindrir notre intérêt, ces intermèdes permettent de comprendre davantage le Cecil Hotel, d’appréhender son mythe, d’explorer ses sombres recoins et de s’affranchir des commérages.

Très bien documenté et terriblement prenant, l’ouvrage canalise toutes les qualités de sa créatrice. Véritable conteuse du macabre, Sonya Lwu convie les lecteurs à un hypnotique jeu de massacres. N’oubliez surtout pas de rallumer vos lumières…


La malédiction du Cecil Hotel de Sonya Lwu, Editions Robert Laffont, 279 pages, 19 €. Réservé à un public averti.

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