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L’avis des libraires - 250ème chronique : Abandonner un chat, Souvenirs de mon père

L’avis des libraires - 250ème chronique :

Abandonner un chat - Souvenirs de mon père

de Haruki Murakami & Emiliano Ponzi

Devoir de (tendre) mémoire


L’auteur à succès se remémore, bribe par bride, le destin de son père.


Tout commence par une réminiscence en apparence anecdotique : un père (Chiaki) et un fils (Haruki) pédalent ensemble à travers rues, dans l’idée d’abandonner au loin leur félin de compagnie. Pourquoi, comment… Le futur romancier ne se le remémore guère. Ce chat, délaissé derrière eux dans sa boîte, n’est qu’une vérité limpide au milieu des incertitudes enfantines.

L’abandon commis a pourtant une fin heureuse : les Murakami n’ont pas passé le seuil de la porte qu’ils découvrent, stupéfaits, l’animal sur le perron. Ce dernier est rentré avant eux et les accueille avec force miaulement, pas rancunier pour un sou. La joie de Chiaki est perceptible, entre admiration et soulagement. De perdre le greffier, il n’est dès lors plus question.

Mais cette escapade providentielle sera pourtant un point de départ, celui d’un parcours généalogique. Des décennies plus tard, elle permet à Haruki de remonter le fil d’une vie. Non la sienne mais celle de son père.

Murakami fils s’attache alors à ébaucher le portrait de son géniteur – figure ambigüe marquée par les guerres, tantôt violente, tantôt généreuse, professeur strict à l’âme créative, soldat par malchance et poète par essence. Ces souvenirs sont les siens mais aussi ceux qu’il a récolté. Ceux des amis de Chiaki, de sa femme Miyuki, de ses vieilles connaissances, couplés à des trouvailles effectuées dans la presse, les archives, les registres militaires. Reconstituer une histoire de famille, explorer le passé, comprendre et apprendre de cette figure patriarcale avec laquelle les relations ont souvent été complexes, indécises. Il y a de l’amour, bien sûr, ainsi qu’une indéniable pudeur des sentiments. Il y a toujours, au sein des écrits murakamiens, une extrême justesse. Le texte y est presque dépouillé, humble, privilégiant le lyrisme général d’une idée à des tournures alambiquées. On y retrouve les thèmes qui jalonnent sa bibliographie : la nature douce-amère du quotidien, la singularité d’une vie qui au fond n’est que la naissance d’une improbable succession de faits, l’idée d’être soi-même « une réalité froide et unique parmi une myriade d’évènements ». La compagnie apaisante d’un chat. La guerre et ses traumatismes. La reconstruction par la culture. Les difficultés d’une société japonaise qui ne tolère ni la singularité, ni la rébellion. Comment notre petite histoire familiale rejoint la grande Histoire de ce monde. Mais il est surtout question d’un homme que son héritier tente de comprendre, une image furtive qu’il cherche à apprivoiser.

C’est un admirable travail de maître, minutieux et magnifique, auquel s’exerce sa plume. Une matière première qu’il embellit tout en sobriété d’une multitude de détails. Cette novella, si dense et pourtant si brève, rappelle le Kintsugi, une méthode consistant à réparer des céramiques avec une poudre d’or, laquelle met en valeur ses fissures. Les imperfections confèrent alors un supplément de beauté à un objet jadis brisé, telle une relation dont on colmate les incertitudes, les souffrances et les non-dits par la grâce des mots.

Si les haïkus tiennent une place déterminante dans le récit, il faut ajouter à cela une autre forme d’art. A savoir les illustrations exceptionnelles d’Emiliano Ponzi. Le travail du peintre milanais n’est pas sans rappeler cette forme spécifique à la poésie nippone. L’enjeu d’un haïku, selon Paul-Louis Couchoud, est de dresser un « simple tableau en trois coups de brosse, une vignette, une esquisse, quelque fois une simple touche, une impression. » L’écrit est minimaliste, allégorique et d’une harmonie indéniable. Cette absence de fioriture fait écho aux estampes de Ponzi. De superbes images qui jouent sur le mariage minimaliste des couleurs, les profondeurs des paysages, les traits imprécis des visages. Ce sont des rêveries fugaces, furieusement expressives et faussement rudimentaires, portées par une aura poétique très forte – y compris dans sa violence, en témoigne la scène de décapitation où le visage du condamné se reflète dans le sabre du bourreau.

Il est très difficile de chroniquer pareille autobiographie, quand bien même l’écrivain condense ici l’essence-même de son père dans un livre-écrin. On pourrait louer longtemps le fond et la forme, la patte de Ponzi, le style de Murakami. Mais le mieux encore, sans se pencher sur les analyses, sans chercher à tout expliciter, serait sans doute de le découvrir par vous-mêmes. Lire du Murakami, c’est s’offrir une escapade hors du temps tout en étant, de la plus étrange des manières, à la place parfaite.

Tout ce que l’on retrouve dans Abandonner un chat.


« Il y a toujours eu des chats à la maison. Je crois que

nous visions heureux avec eux. Pour moi, ils ont

toujours été des amis merveilleux. Etant fils unique,

mes compagnons les plus précieux étaient les livres

et les chats. »


Abandonner un chat - Souvenirs de mon père de Haruki Murakami et Emiliano Ponzi (illustrateur), Éditions Belfond, 81 pages, 17 €


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