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  • Photo du rédacteurChloé

L’avis des libraires - 249ème chronique : La Collection du Chat


L’histoire de Kwong Kuen-Shan débute comme un roman.

Jeune artiste prometteuse, elle quitte la Chine pour emménager au Royaume-Uni. En 1994, après une parenthèse londonienne, c’est au cœur du Monmouthshire qu’elle pose ses valises. Son arrivée dans la petite ville d’Abergavenny n’est pas aisée pour la peintre. Elle n’a aucune affinité avec la campagne galloise et, surtout, une phobie pour la gente féline – laquelle occupe le voisinage !

Pourtant, cette confrontation forcée marque les prémices d’une révélation. Un long apprivoisement se noue entre la peintre et ses voisins greffiers. Apeurée mais fascinée, elle finit par transformer ces diablotins poilus en véritables muses. Elle discerne alors en eux sagesse, élégance et facétie, trois caractéristiques qu’elle retranscrit sur son papier en bambou.

Ainsi se présentent les premiers succès. Car si son nom vous est méconnu, il y a pourtant fort à parier que son art, lui, éveille certains souvenirs… Amoureux de la culture asiatique, férus de matous ou inconditionnels d’aquarelle, ses livres ont sans nul doute déjà capté votre attention. Depuis son premier ouvrage, Le chat zen, chaque parution a été traduite dans une douzaine de langues et accueillie avec enthousiasme par ses admirateurs. Les plus chanceux ont peut-être assisté à son exposition parisienne – la Galerie Orenda l’avait accueillie en 2014, lors du vernissage de son exposition Painted Words.

Une thématique qui trouve une résonnance particulière pour Kwong Kuen-Shan, laquelle associe la beauté des mots à la finesse de ses frimousses félines… Pour l’heure, sa collection compte sept titres que l’on peut scinder en deux catégories : les pensées embellies et les témoignages illustrés.

Le chat zen, Le chat philosophe, Le chat à l’orchidée ou encore Les quatre saisons du chat reposent sur un concept identique : des maximes, poèmes, proverbes ou extraits scrupuleusement choisis par l’artiste et embellis par ses somptueux dessins. On croise Confucius, Syn Tzu, Sun Zi, Lao Tseu, Mencius. Les illustres érudits côtoient des anonymes – des pensées immortelles pour des identités perdues. Soit tant de fragments philosophiques, spirituels ou lyriques à garder dans un coin de sa tête.

A leurs côtés, évidemment, des figures félines. Ce sont elles qui accompagnent le texte adjacent. Chaque matou se voit doter d’une silhouette, d’une fourrure, d’une physionomie et d’une identité qui lui est propre. Chaton, adulte, barbon, rond, élancé, noir et blanc, tigré, calicot, se prélassant dans le salon, chassant les papillons, position de sage en pleine méditation, pris en flagrant délit de bêtises… Ils sont représentés dans toute leur diversité, toute leur richesse. Kuen-Shan n’a pas son pareil pour retranscrire la grâce, l’intelligence et la malice de ses égéries.

Certains chats existent bel et bien, qu’ils soient les compagnons de l’autrice-illustratrice ou ceux des voisins, compères de salon ou vagabonds de passage. Le poète britannique T.S. Eliot arguait de l’importance du nom pour nos fauves miniatures, une idée que Kuen-Shan partage ! Ses greffiers portent des prénoms parfois surprenants (Kiwi, Caradoc), parfois classieux (Péridot, Salila), tantôt mignons (Kit Kat, Graine de soja), tantôt traditionnels (Joseph, Alice).

Si l’on pouvait craindre une certaine redondance, l’ensemble est si maîtrisé qu’il s’apparente à un unique projet scindé en plusieurs tomes. On ne se lasse pas de contempler le travail de l’artiste, de s’imprégner des préceptes orientaux qui l’ont accompagnée au quotidien – une philosophie qui anime son style, ses idées. S’y dévoilent une sérénité et un sens de l’esthétique remarquables. Chaque album est à parcourir, redécouvrir, admirer, qu’il soit lu d’une traite ou feuilleté au gré des envies.

Le reste de sa collection, Le chat qui m’aimait, Les 8 bonheurs du chat, Les chats et la petite fille sont quelque peu différents. Quoique toujours aussi richement illustrés, ce sont des témoignages, des moments clefs dans l’existence de l’autrice – tous centrés sur son rapport aux félins. Ses autobiographies évoquent la peur, la découverte, l’inspiration, le deuil, les anecdotes journalières, les remises en question, l’apprentissage, l’humilité, les leçons de vie.

Comme dit plus haut, le parcours de Kuen-Shan se prête très bien à l’exercice littéraire. Transformer sa phobie en passion, puis en source de création inépuisable, est un vécu peu banal. Son expérience, si intime soit-elle, est narrée avec une honnêteté indéniable. C’est le récit d’une amie que l’on découvre au gré des chapitres, au fil de ses tableaux.

Après avoir longtemps prêté son talent aux mots des autres, l’aquarelliste s’investit dans l’écriture. L’étape semblait inévitable, elle est à présent bien franchie. En combinant ses toiles à sa plume, elle nous dévoile un nouveau pan de son talent.

Ses écrits sont à l’image de ses couleurs : d’une fraîcheur sans fioriture, tout en délicatesse et en émotion, portés par un grand sens de l’observation et une très jolie prose. Il se dégage du texte une humanité et une quiétude réconfortantes. Avec beaucoup de pudeur et une franchise souvent désarmante, l’autrice retrace son chemin. Par le pinceau comme par le stylo, elle sait capter l’essence-même du chat.

Le chat qui m’aimait relate sa rencontre et sa vie avec Healey, le premier félin « à l’avoir apprivoisée » ; Les 8 bonheurs du chat est une ode à cet animal à part et aux enseignements qu’il nous inculque au gré des années ; Les chats et la petite fille fourmille de souvenirs d’enfance, les greffiers n’y sont pas encore adulés mais rôdent déjà, guettant leur future mécène. Une trilogie complémentaire, sensible et bienveillante.

Tout au long de ses sept livres, Kuen-Shan fait bien entendu la part belle à l’art chinois traditionnel. Par ses méthodes de travail, en premier lieu : un papier particulier en bambou, un pinceau-brosse spécifique ainsi que des tampons, lesquels lui permettent d’appliquer ses fameux sceaux et/ou timbres. Ces motifs écarlates sont une façon d’apposer sa signature mais aussi de traduire « un état d’âme, l’atmosphère d’un moment de réflexion philosophique, l’expression des sentiments ou de l’inspiration du peintre ». Les sceaux, comme les timbres, sont essentiels dans la peinture chinoise et constituent une part entière de l’œuvre. Ils sont si importants que l’autrice leur consacre systématiquement une annexe… Son héritage se traduit aussi dans la quête du Qi – une notion spirituelle fondamentale s’apparentant à un flux d’énergie naturelle, « une étincelle invisible au regard humain ». Ici, il s’agit de retranscrire la vitalité et l’esprit du sujet peint. Une volonté dont l’artiste s’acquitte à la perfection.

Si le procédé et la spiritualité occupent une place primordiale dans la carrière de Kuen-Shan, cette dernière s’inspire tant de son patrimoine hongkongais que de son quotidien en Europe. Les quatre saisons du chat s’avère le meilleur des exemples. On y voit le château et le tribunal de Caernarfon ou encore Castell Coch, lieux phares du Pays de Galles ; la Tour Eiffel et le Jardin des Tuileries de notre vieux Paris ; le Temple du Ciel situé à Pékin ; le fameux Bouddha Géant perché au sommet de Ngong Ping, sur l’Île de Lantau ; la Roue du Millénaire, si emblématique du paysage londonien… Qu’importe le décor, le rendu final exprime toujours une grâce, une paix indéniables.

Cette quête de la beauté a été respectée par l’Archipel. L’éditeur français a opté pour un album relié, au papier glacé et aux dimensions carrées. Le format, évoquant un cadre, vient sublimer les aquarelles. La mise en page épurée permet d’admirer à loisirs la quarantaine d’illustrations qui compose chaque tome.

Portée par une alchimie sino-européenne, la bibliographie de Kwong Kuen-Shan témoigne toute sa diversité. L’entièreté de son œuvre est à son image : hétéroclite. Les cultures y cohabitent avec quiétude, s’accordent dans la douceur du trait, expriment une plénitude universelle à travers sa palette délicate. Eblouissant et rassérénant, elle nous offre une longue promenade bucolique à portée de pattes.

Les chats sont les souverains de ce royaume aux couleurs éthérées, des paysages urbains aux cloîtres moelleux des maisons, se lovant dans les tasses à thé et se prélassant aux côtés des orchidées, lys, lotus ou tournesols. S’il est vrai que les félins resteront des énigmes, Kuen-Shan a su capter le Qi de leur mystère.


Collection signée Kwong Kuen-Shan aux Editions de L’Archipel, environ 100 pages et 18€50 par tome.

Existe aussi en format poche, aux Editions Pocket, environ 200 pages et 7€95 par tome.


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