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L’avis des libraires - 240ème chronique : Shakespeare à la plage

L’avis des libraires - 240ème chronique :

Shakespeare à la plage de Eddy Chevalier

Petit traité de la pensée shakespearienne

Quatre siècles après son trépas, William Shakespeare demeure un secret, un mystère dont les énigmes resteront irrésolues. Sans doute son mythe a-t-il en partie été bâti sur cela. Aventurier au fil de l’encre comme dans son existence, il s’octroie le luxe de s’éclipser sept ans sans laisser de traces… Pour réapparaître aux prémices de sa gloire ! L’homme est une ombre, ses contours flous bannissent les certitudes. Mais ses écrits et son héritage, eux, occupent toute la lumière. Même s’il est vrai qu’ils sont parfois difficiles à appréhender.

La densité, la verve, l’époque ont de quoi rebuter. Comment aborder le plus illustre des dramaturges britanniques ? Comment ne pas s’éparpiller face à son talent, ses thématiques, son universalité ? Ou plus simplement : par quoi et pourquoi débuter cette découverte ?

C’est sur ce prologue qu’entre en scène Eddy Chevalier. Agrégé d’anglais, docteur en civilisation américaine et professeur en littérature, admirateur du Barde d’Avon et amateur de pop culture, ce dernier nous délivre sa vision du Grand Will. Une vision accessible, brève, dépouillée d’élitisme, à l’image de la collection A la plage lancée par les Editions Dunod.

« Ce livre est une lettre d’amour. » En débutant ainsi, Chevalier clame d’emblée sa partialité. L’essai lui est propre, ce qui rend cette publication aussi originale que personnelle, sans lui ôter sa rigueur. Sur deux chapitres, il évoque le parcours de Shakespeare, ce que l’on sait de lui, surtout ce que l’on ne sait pas ; il pique cette biographie succincte d’anecdotes mordantes, la gratifie d’un vibrant hommage, décortique les théories loufoques. Finit par mettre en garde contre les poncifs et les idées reçues. Comme celle-ci : « Shakespeare n’invente presque aucune de ses histoires. […] Son génie fut de compiler les monceaux d’images en les recolorant. »

Ce génie, c’est celui qui embrase ses textes. Les pièces d’inspiration historique (Richard II), ses comédies kaléidoscopiques (Beaucoup de bruit pour rien), ses tragédies destructrices (Macbeth), ses romances hybrides (La tempête), ses sonnets enfiévrés où la femme fatale succède à l’ange blond – la passion chez Shakes’ n’est pas muselée par le genre, les muses de ses poèmes demeurent inconnues, aussi troubles que celui qui leur a dédié ses vers.

Chaque chapitre est consacré à l’une des catégories citées ci-dessus. Les œuvres y sont étudiées, expliquées, entrecroisées. Pas de liste interminable, pas de dissections au point par point. L’idée est de saisir leur essence, de s’y ouvrir sans être submergé d’informations. Chevalier en pointe les excès, la virtuosité, parfois les limites. C’est le cas sur Peines d’amour perdues ou Titus Andronicus. Il se penche ainsi sur les pièces dites à problèmes, les inclassables, moralement contradictoires, il s’y déploie un miel fielleux où s’enlisent personnages et spectateurs.

De l’ensemble des titres, seul Antoine et Cléopâtre se voit dédier une partie complète. « Condensé de sa maestria », Chevalier la considère comme la pièce clef, celle qui incarne au mieux le brio shakespearien.

Si la tâche peut sembler laborieuse, la fluidité et la beauté de la plume, son ton résolument rythmé, ses pointes d’humour, lui confèrent une portée grand public. Le tout est érudit, bien documenté, au service du lecteur contemporain. Pour rendre l’analyse plus abordable et surtout plus vivante, Chevalier incorpore des références variées, tisse des comparaisons modernes. De la culture au sens large, qui vadrouille entre le Marvel Cinematic Universe, la saga Star Wars et les films animés Disney, pour se glisser ensuite du côté des séries Sons of Anarchy et La Quatrième dimension, faire un saut dans les peintures de Dalí et Munch, exécuter un bond jusqu’à Oscar Wilde, Charles Baudelaire et Bertolt Brecht avant de dévier sur les cinéastes Luchino Visconti, Roland Emmerich, Stephen Frears, Orson Welles ainsi que l’incontournable Kenneth Branagh – à qui l’on doit moult adaptations du Barde. Et oui, tout cela sans dévier du sujet principal… Sacré coup de génie.

Ajoutons à cela de jolies illustrations signées Rachid Maraï, une bibliographie détaillée ainsi que quelques extraits bilingues et vous tenez, effectivement, de quoi potasser Être ou ne pas être dans un transat. On sort de cette lecture plus fasciné que jamais.

Le mot de la fin, professeur ? « Plusieurs satellites d’Uranus portent le nom de personnages shakespeariens parce que son théâtre scintille jusqu’à la lune. » Pour le Barde immortel, les astres s’étaient bel et bien alignés.


Shakespeare à la plage – Être ou ne pas être dans un transat de Eddy Chevalier aux Editions Dunod, 159 pages, 15€90.

L'une des illustrations signées Rachid Maraï.

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