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L’avis des libraires - 235ème chronique : Numéro Deux

L’avis des libraires - 235ème chronique :

Numéro Deux de David Foenkinos

Celui qui n'était pas Daniel Radcliffe

A l’aube des années 2000, un roman fantastique sort en librairie, envoûtant des milliers de lecteurs. Harry Potter à l’école des sorciers est un succès, un phénomène, un triomphe qui bientôt sera adapté sur les écrans.

Dans la foulée, un casting monstre est lancé. En 1999, dénicher celui qui incarnera le héros à la cicatrice reste un défi à part entière.

Sur les centaines de candidats auditionnés, deux inconnus retiennent l’attention : Daniel Radcliffe et Martin Hill. Le destin du premier est aujourd’hui connu de tous. Mais qu’en est-il du garçon qui a failli être Harry Potter ? Qui est ce numéro deux ?


N’en déplaise aux Moldus, 2022 sera l’année Harry Potter. Retour à Poudlard, une émission célébrant les vingt ans de la saga cinématographique, a donné le coup d’envoi dès le Nouvel An ; Les secrets de Dumbledore sortira courant avril dans les salles ; les nouveaux jeux dérivés piquent d’ores et déjà la curiosité ; Bloomsbury et Gallimard prévoient sans nul doute une foule de parutions hommages – rien de très surprenant à priori.

Pourtant, l’éditeur francophone a fait courir un vent de fraîcheur dans cette Pottermania lucrative et savamment huilée. Son premier titre lié au jeune sorcier n’est pas une énième réédition luxueuse ou un ouvrage collector sur les coulisses des adaptations... Mais une biographie fictive signée David Foenkinos.

Populaire et prolifique, le romancier parisien se dévoile comme d’ordinaire là où on ne l’attend pas. Après La délicatesse, Charlotte ou Le Mystère Henri Pick, le voilà qui s’immisce à mots de velours dans la franchise de J.K Rowling ! De fait, si les deux univers semblent à priori inconciliables, la magie opère. De Daniel à Martin, il n’y a qu’un chapitre. De la célébrité à l’anonymat, qu’un choix (mal)heureux. Une divergence des destins autour de laquelle l’auteur va articuler sa trame.

On ne présente plus Daniel Radcliffe. Propulsé star mondiale à onze ans, le comédien a consacré plus d’une décennie à la saga culte. Puis, très vite, il s’est battu pour dissocier son image du vaillant sorcier. En témoigne la rom-com pétillante Et (beaucoup) plus si affinités, le nanar décomplexé Guns Akimbo mais surtout l’OVNI Swiss Army Man. En dépit des souffrances et des faux-pas – ou grâce à eux – il est sans doute celui qui a le mieux géré son virage post-Potter. Difficile donc de voir en Daniel Radcliffe la figure du héros loser. Torturé peut-être mais raté, certainement pas.

Or, pour un triomphe, il y a des perdants. Ce sont eux qui ont la préférence de Foekinos. Ce dernier puise son inspiration dans les grands revers, les coups du sort. Sa plume est dévouée aux malchanceux magnifiques. Alors qu’Harry Potter occupe à nouveau le devant de la scène médiatique, il s’interroge sur le numéro deux – cet enfant inconnu, introuvable, qui à l’époque aurait pu prêter ses traits au plus célèbre sorcier de la pop culture. Peu d’informations circulent mais qu’importe. A cette seule idée, il y a déjà les prémices d’une existence, une destinée qu’il lui reste à inventer.

L’anonyme devient Martin Hill. L’auteur offre à ce deuxième choix une biographie étrange, entre tragédie humaine et humour british, entre la France et le Royaume-Uni. C’est une chronique tendre et douce-amère, vouée à celui qui pense « avoir raté sa vie » avant même de l’avoir vécue. Pas de jugement, pas de mélo, juste un regard farouchement compatissant et une analyse de caractère saisissante. Pour moteur au récit, un ressenti que chacun connaît : l’échec.

Aux yeux de Martin, la désillusion est d’autant plus douloureuse qu’elle est présente dans chaque librairie, placardée dans chaque cinéma, le poursuit jusque dans les chambres de ses (potentiel.es) amis et conquêtes. Comment encaisser quand le monde entier vous rappelle votre infortune ? Comment se construire quand votre rival affiche sa victoire sur tous les posters, tous les plateaux de télé ? Comment ne pas souffrir face à ce concurrent qui offre une ressemblance frappante avec vous-même, vous nargue en une sorte de doppelgänger inversé à qui tout réussi ? Comment ne pas envier, voire haïr, cet autre ?

Il est déjà ardu d’éviter un phénomène culturel pour le commun des mortels. Mais pour Martin, qui a failli intégrer l’aventure, la fuite est impossible. L’amertume, le désespoir et le manque d’estime finissent par l’annihiler. Il aura beau s’y soustraire, s’échiner à ignorer Harry, ce dernier le rattrape toujours. Parfois, il semble influer sur sa propre existence. Et comment ne pas voir des similitudes dans son quotidien lorsque les drames frappent, qu’ils érigent de façon destructrice un parallèle entre Potter et Hill ?

Pour exorciser pareille défaite, il faudrait l’affronter frontalement, un duel auquel Martin tente de se dérober. Non par lâcheté ou par faiblesse mais par nature humaine. Cet anti-héros crie son humanité et son réalisme à travers les pages. Il n’a rien du gamin idéalisé et beau perdant que les morales simplistes s’acharnent à produire. Pourtant Martin, à sa manière, est mémorable. Un excellent compagnon d’infortune, attachant et vraisemblable. Le protagoniste prend aux tripes : ses doutes, ses colères, ses terreurs n’en sont que plus compréhensibles.

Si l’exemple est poussé à l’extrême, les thématiques de l’échec, la jalousie, le désarroi et la reconstruction offrent des sujets universels, auxquels chacun peut s’identifier. Tout fictif que soit pareil parcours, il met aussi en postérité les éternels seconds, braque sur eux un coup de projecteur lumineux et bienveillant. De ceux que la gloire a recalé à ses portes, il est beaucoup question. Des personnalités réelles à celles modelées par l’auteur. Un père idéalisé, un ami au parcours similaire, un malchanceux jadis promis à la notoriété ou le plus connu des méconnus – l’ancien batteur des Beatles, le malheureux Pete Best.

Au fil du livre, la Pottermania n’est bien sûr jamais très loin. L’impression de revivre les folles années d’Harry et ses amis, de plonger à l’époque où le trio proposait un rendez-vous immanquable, est inhérente à cette lecture. L’ensemble est abordé de façon crédible et fourmille de faits bien connus des fans : le conte de fée vécu par Rowling, le casting orchestré pour Harry, l’effervescence mondiale, les opérations commerciales improbables comme la réplique polonaise de Poudlard, le comportement toxique de certains admirateurs, le destin de l’équipe… Daniel Radcliffe est là, bien sûr. Il est le rival malgré lui, érigé en quasi-antagoniste à son insu. Le traitement de l’acteur est très astucieux et, pour autant qu’on le sache, plausible. Entre hommage, fantasme maudit et icone démystifiée, Radcliffe se dessine entre les lignes, plus proche que dans de nombreux portraits. Ironiquement, c’est souvent à lui que l’on pense tant Martin lui ressemble.

Les inconditionnels s’interrogeront souvent sur la véracité de telle ou telle anecdote – est-ce une chimère de Foenkinos ou a-t-on loupé pareille information ? Car s’il prend plaisir à brouiller les pistes, l’écrivain est parfaitement renseigné et évoque la vérité sans idéalisme ni condescendance. Les recherches et les analyses effectuées autour de la franchise crèvent le texte. Le romancier définit à merveille la force de la saga : « […] tout le monde éprouvait cette connivence avec le héros. Il y avait un ingrédient universel dans ces pages. Harry Potter était notre part de rébellion, notre désir de posséder des pouvoirs pour éradiquer les cons, notre rêve d’une vie meilleure ».

Numéro Deux incarne l’essence même de la biographie fictive : né de l’imaginaire, il s’ancre pourtant à merveille dans le réel. Il est grave sans pathos, drôle sans lourdeur, profond sans prétention. En résulte un texte fort sur l’échec et le succès, la gloire ou l’absence de célébrité. Surtout, une mise en garde contre la tendance à idéaliser autrui, à fantasmer la vie des autres plutôt que d’évoluer pleinement dans la sienne. Entre les envolées de bons mots et le poids de l’anxiété, David Foenkinos signe une histoire épatante, pleine d’espoir. Les éternels seconds choix tiennent enfin leur roman-étendard.

Et qui sait, Martin Hill existera peut-être un jour au cinéma… Avec Daniel Radcliffe dans le rôle principal ?


Numéro Deux de David Foenkinos, Editions Gallimard, 240 pages, 19€50.


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