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  • Photo du rédacteurChloé

L’avis des libraires - 232ème chronique : Fin de Partie

L’avis des libraires : 232ème chronique

Fin de Partie de Mérida Reinhart

Un roman qui brille « tel un plateau de thé dans le ciel »

Alaïs est la plus talentueuse flouturière de Wonderland. Sous les doigts de la jeune femme, les fleurs s’amadouent, acceptent de participer aux travaux de la créatrice, se métamorphosent en de magnifiques tenues… En plein cœur de la capitale, elle occupe une jolie boutique située à deux pas de la chapellerie tenue par son meilleur ami, Hatta.

L’existence d’Alaïs aurait pu s’écouler ainsi, paisible et ingénieuse – entre la dégustation de thé avec Hatta, les iris tigrés aux pistils acérés et les hérissons pelotes-d’épingles. Mais le sort en a décidé autrement.

Lorsque le Roi Rouge pénètre dans son commerce et lui ordonne de réaliser la plus belle robe qui n’ait jamais été conçue, elle tombe de haut. Plus encore lorsque sa majesté l’informe que la toilette est destinée à la féroce Reine Blanche, ennemie séculaire du Royaume Rouge, en cadeau de mariage.

L’union des deux souverains devrait apporter la paix à Wonderland… A moins qu’elle ne signe le début d’un nouveau chaos ?


Réinterpréter Alice au Pays des Merveilles n’est pas chose aisée. Entre ses pages, l’imagination débridée échappe aux règles pour suivre sa propre logique. Atypique et insaisissable, l’œuvre est emplie d’une folie douce aux élans lyriques, où le malaise côtoie les merveilles. Lui rendre hommage fait figure de pari risqué. Pour autant, en plus de 150 ans, les aventures rêvées par Lewis Carroll ont été adaptées de nombreuses fois. Citons, pêle-mêle, le long-métrage d’animation des studios Disney, la revisite gothique de Neil Gaiman, la mini-série exubérante produite pour SyFy, le superbe jeu Madness Returns développé par American McGee ou encore Le Labyrinthe de Pan, hommage horrifique écrit et réalisé par Guillermo del Toro.

La dernière variation en date, signée Mérida Reinhart, est publiée chez Magic Mirror. Après le très réussi Royaume sans Ciel, Fin de Partie est donc la seconde parution de l’éditeur à s’inspirer de Wonderland. Si l’on pouvait craindre une certaine redondance, il n’en est rien.

D’emblée, le livre désarçonne. En un chapitre, le lecteur est projeté dans l’atelier de la flouturière puis voit débouler le Roi Rouge. On le comprend : le rythme sera frénétique, plus proche de celui d’une novella que d’un roman. Il court sur le tout un souffle d’urgence qui, finalement, sied très bien à son intrigue. Le style non plus ne fait pas dans la dentelle et fonce droit au but – comme si la plume elle-même avait un différend à régler avec le temps. Le parti-pris est osé, c’est à prendre ou à laisser.

Malgré cette cadence échevelée, Fin de Partie brille pourtant par son amour éclatant de l’œuvre originale. La trame regorge de références plus ou moins évidentes au conte de 1865 mais glisse aussi d’adroits clins d’œil à sa suite, De l'autre côté du miroir. Explorer non pas un mais deux univers si denses et si riches en moins de 300 pages est certes complexe. Malgré cela, l’autrice s’en acquitte avec les honneurs. Le monde retranscrit par la romancière est aussi magique et délirant que l’on pouvait l’espérer – même si un excès d’absurdité, si cher à Carroll, manque parfois.

Comme pour mieux amadouer les inconditionnels de l’écrivain britannique, Mérida n’hésite pas à citer certaines de ses répliques et use des mots-valises avec un talent indéniable. Tous les jeux de mots entourant la flore sont d’ailleurs de franches réussites, apportent une touche de poésie bienvenue. Au gré des phrases, on se laisse griser par le parfum des Tournesoleils, Géraniums Marshmallow, Œillets macarons, fleurs chauves-souris, boutons de brumes, Demoiselles de midi…

Mérida a une tendresse évidente pour les personnages clefs d’Alice. De fait, la plupart sont présents et tous trouvent parfaitement leur place au gré de la trame. Les cultes comme le Chapelier, le chat du Cheshire, le Lapin blanc, le Lièvre de mars, les fleurs dotées de paroles, la Chenille, le Dodo mais aussi les plus méconnus tels que la Reine Blanche, Humpty Dumpty, la souris, le Griffon ou la Simili-Tortue. Certains protagonistes fusionnent pour n’en faire qu’un mais pareil choix s’avère plutôt audacieux. J’avoue avoir un faible pour Chester, le félin de la Lune, à la fois intriguant et attachant. Quant aux figures créées de toutes pièces pour la trame, elles s’ajustent sans encombre à l’histoire. La dynamique entre les personnages reste plutôt classique mais n’en demeure pas moins plaisante à suivre. Si les prémices mettent en scène certaines relations et situations stéréotypées, ces dernières sont vite balayées. Le cliché de l’élu, le sempiternel triangle amoureux, le séducteur ténébreux, le gentillet meilleur ami… Ces poncifs redoutés ne font pas long-feu face à l’inventivité féroce de Mérida. Quand bien même, l’intérêt ne se situe pas tant dans les caractères que dans l’univers et ses péripéties.

Pourquoi résister ? Il y a de la magie dans ce texte, porté par une aura démente, tantôt jouissive, tantôt cruelle, indissociable de Wonderland. Les aventures d’Alaïs vous emporte vers d’autres merveilles et d’autres infamies. Quant à l’intrigue et son héroïne, nous tairons l’une comme l’autre. La réécriture fonctionnant sur de multiples coups de théâtre, il est impossible de l’analyser davantage sans la divulgâcher.

Achevons sur une certitude : l’ascension d’Alaïs vous obnubilera jusqu’au retournement final, un dénouement doux-amer, surprenant et maîtrisé de bout en bout. Quelle fin de partie…


Fin de Partie de Mérida Reinhart, Editions Magic Mirror, 268 pages, 18€60.

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