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L’avis des libraires - 231ème chronique : La Mélodie des Limbes

L’avis des libraires : 231ème chronique

La Mélodie des Limbes de Nina Gorlier

Le conte & le deuil

1865. La jeune Elisabeth Branwen vit en décalage avec le monde. Prodigieuse flûtiste, réservée, fantasque, l’adolescente ne connaît la liberté que dans ses rêves. Là, au cœur de ses songes figés dans un automne éternel, elle retrouve Frederik, un être mi-garçon mi-corbeau ayant perdu la vue.

Lorsque Frederik lui est brutalement arraché, Elisabeth doit pactiser avec l’implacable entité gouvernant les lieux : l’Entrepasseur. Pour sauver son ami, elle devra s’enfoncer toujours plus profondément dans les Limbes, au risque de ne jamais revenir… Sa course contre la mort vient de débuter.


Après une première parution prometteuse, Nina Gorlier nous revient avec La Mélodie des Limbes.

Si La Bête du Bois Perdu témoignait déjà d’une patte très prononcée, cette dernière a mûri et évolué : en l’espace de quatre ans, son style est resté vif, avec une inclination poétique prononcée, mais a gagné en efficacité. La plume est plus percutante, plus dure – à l’image de son héroïne, remarquable par sa singularité, son courage et son caractère direct.

Une maturité qui se retrouve aussi dans le monde dépeint. Là encore, l’autrice renoue avec ses premiers amours, propose un monde légendaire où l’étrangeté côtoie l’art, où la splendeur s’imprègne de macabre, où l’angoisse se tapit à l’ombre des merveilles dévoilées. Plus que les descriptions, La Mélodie des Limbes bénéficie avant tout d'un saisissant travail d'ambiance. Il y a dans tous les romans de Nina une atmosphère singulière, à la fois labyrinthique et étourdissante, entre cauchemar glauque et songe lyrique. Une atmosphère qui lui est propre, qu'elle distille en divin poison dans son intrigue. On croit à ces limbes, à cet automne éternel, à ce château rongé par la putréfaction, à ces jardins des Enfers... De multiples références émaillent les péripéties, sans jamais nuire au rythme ou au développement des personnages.

Les protagonistes sont d'ailleurs très réussis. Tous sont des figures fascinantes, tantôt marginales, déterminées et résolues tantôt cruelles et ambiguës, cultivant identité absconse et multiples secrets.

Elisa est une superbe héroïne, dont les particularités l'éloignent grandement de la Mary Sue tant redoutée : elle est courageuse et dévouée, autant qu'elle peut s'avérer impitoyable et brusque. Frederik contrebalance très bien cette personnalité revêche, plus doux, plus indulgent, tout en démontrant lui-aussi une détermination à toute épreuve. Ils sont également unis par leur passion respective, elle qui ne s'épanouit que dans la musique, lui qui ne jure que par l'astronomie. Le tandem fonctionne parfaitement et l'affection qui les lie donne à Elisabeth comme à Frederik un supplément d'âme. Il est très facile de s'attacher à eux, de comprendre leurs motivations et de s’identifier à la profondeur de leur lien.

Autre duo marquant : celui de la chasseresse Sélène et du souverain Phébus, sibyllins et complémentaires. L'aura quasi-mythologique qui les entoure les rend d'autant plus mémorables. S'ils restent secondaires, chacune de leurs apparitions reste en tête longtemps après la lecture. Il en va de même pour l'éblouissante Astéria. Si son rôle n'est pas central, elle s'inscrit dans la pure tradition du conte, éprise, magique et romantique. C'est aussi à elle que reviennent les plus beaux dialogues de l'ouvrage. Son destin tragique évoque d'emblée une autre héroïne de Nina - à savoir Rose de La Bête du Bois Perdu, une autre protagoniste sacrifiée par amour.

Quant à l'antagoniste majeur du récit, l’Entrepasseur, il s'agit sans aucun doute de l’un des points forts du roman. Fillette albinos démiurge au parfum de lys fané, inquiétante et versatile, métamorphe et omnipotente, toute puissante et méchamment joueuse, elle baigne chacune de ses apparitions d’une impression de malaise.

Surtout, au-delà de ses personnages mémorables, de son style remarquable, il y a le message. En entremêlant le conte des Sept Corbeaux aux cinq étapes du deuil, la romancière nous délivre un texte dont on ressent tour à tour la déchirure personnelle et la force universelle. Les mots se posent sur les maux sans pathos ni mélodrame, portés par une émotion folle, transcendés par l’énergie du plus mince espoir. La réflexion sur l’amour, la mort, le deuil s’entrelace à celle sur la beauté, les troubles mentaux ou le mal physique. A la réécriture des Frères Grimm se superpose alors une quête intime, tragique et terrassante, douce-amère et addictive… Ce jusqu’à l’ultime page.

Nina Gorlier signe un second roman épatant de maîtrise, sombre, mélancolique et intense. L’univers onirique se marie à la poésie de la plume pour offrir une épopée que vous n’oublierez pas de sitôt. Magistral.


La Mélodie des Limbes de Nina Gorlier, Editions Magic Mirror, 277 pages, 18€60.

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