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L'avis des Libraires - 214ème Chronique : Loin de Berkley Hall

L'avis des Libraires : 214ème Chronique

Loin de Berkley Hall de Coralie Khong-Pascaud

Aristocratie, féminisme & choc des classes

Angleterre, 1911.

A Berkley Hall, les Davenport mènent une existence digne de leur rang : oisive, luxueuse et impeccable. A leur service, une flopée de domestiques invisibles s'active en coulisse pour combler les moindres désirs de leurs maîtres. Deux mondes qui cohabitent sans jamais réellement se croiser et encore moins se comprendre.

Pourtant, entre Lady Catherine, la fille aînée, et Lydia, sa femme de chambre, une relation singulière s'instaure. Catherine s'ennuie, n'entend pas être l'épouse parfaite tant attendue, entre en rébellion contre ses parents. Lydia, elle, expie son amertume et son sentiment d'injustice via de courts textes satiriques. Le sujet favori de sa plume lapidaire ? Les grandes familles qu'elle côtoie chaque jour, reléguée dans l'ombre.

Toutes deux décident alors de s'allier pour mettre en lumière les travers de leur environnement...


Fin 2015, la série phare créée par Julian Fellowes tirait sa révérence. A l’occasion de cette ultime saison, les éditions Charleston lançaient le concours d'écriture Hommage à Downton Abbey. Six mois plus tard, le titre gagnant était révélé et publié dans la foulée : Les larmes de Cassidy d'Amy Wane.

Mais le concours, fort de son succès, a également mis en lumière bon nombre d'écrivains en devenir. Parmi les lauréates, l'autrice seine-et-marnaise Coralie Khong-Pascaud. Cette dernière remporte le second prix avec son manuscrit Loin de Berkley Hall, ce qui l'amène à signer un contrat avec la maison City.

Autant l'affirmer : à la lecture de ce roman, on comprend aisément ce qui a séduit le jury !

Premier écueil provoqué par le challenge : ne pas tomber dans les travers de la série. Quoi qu'en disent les fans, Downton Abbey tient beaucoup du soap-opera fastueux. A l'écran, tout n'est qu'une surenchère de grandes tragédies larmoyantes, amours impossibles, mesquineries en cuisine et coups-bas dans les salons... Etirés sur six saisons ! La production est surtout sauvée par son esthétique irréprochable et le jeu fabuleux de ses acteurs, tous plus talentueux les uns que les autres. Autant dire que transposé sur papier, l'emballage luxueux de la série aurait eu tôt fait de partir en fumée.

Khong-Pascaud ne s'y est pas trompée et a privilégié la simplicité : une ambiance travaillée et une trame claire, réduite autour de deux protagonistes.

Journaliste diplômée en littérature anglaise, l'autrice maîtrise visiblement son sujet jusqu'au bout des doigts. L'immersion dans cette époque - pas si lointaine - est totale. Ainsi, elle dépeint l'aristocratie sans nostalgie ni idéalisme, la montrant souvent empêtrée dans une oisiveté surannée. Sont aussi dévoilés les mentalités d'une période en plein bouleversement, l’ébullition de la société, les changements qui éclosent au sein des différentes classes, parcourant les élites comme la populace si souvent dénigrée...

Le mode de vie britannique est également passé à la loupe, la culture évoquée par petites touches bienvenues. Et que dire des full breakfast, brunch et autres tea time dont la romancière croque allègrement les menus ? Personnellement, à la lecture du texte, je me serais damnée pour un tartine beurrée surplombée de marmelade !

La plume, fluide, est un point fort. Soutenu par un style vif qui retranscrit bien la révolte des héroïnes (flagrante pour Lydia, contenue pour Catherine), le tout se dévore sans interruption.

Les protagonistes féminines sont d'ailleurs l'atout central du récit. Elles sont plusieurs à jalonner la trame, apportant avec elles des thématiques très différentes. Mrs Smith qui chapeaute le personnel de Berkley Hall avec un zèle presque tyrannique et cache ses fêlures ; la douce Anne, mystérieuse et effacée ; la pétillante Millicent qui fait son entrée dans le beau monde alors que la jeune Becky vient juste d'intégrer le personnel ; la truculente Gloria ; Amelia, la meilleure amie de Catherine, mariée par amour à un homme beaucoup plus âgé et qui subit une grossesse difficile... Aucune d'elles n'est parfaite, chacune possède son lot de défauts - Millicent en tête, qui n'hésite pas à se venger de la plus odieuse manière lorsque la situation ne tourne pas à sa convenance ! Pour autant, si elles ne sont pas toutes appréciables, elles sont toutes marquantes et amènent beaucoup à l'histoire.

Et puis, évidemment, il y a Catherine et Lydia. Celles qui portent l'intrigue. Très fortes, elles font montre d'une personnalité bien tranchée et complémentaire. Lydia est farouche, spirituelle, moqueuse. Mais elle peut aussi s'avérer sanguine, déraisonnable, comprend trop tard qu'elle a agi sans réfléchir et n'assume pas toujours ses actes. Insoumise et forte, Catherine possède une intarissable soif de connaissances couplée à un charme inné. Son caractère tend vers la froideur, voire une certaine condescendance ; elle remet en cause ses privilèges lorsqu'elle prend conscience des fardeaux qui les accompagnent... Enfin, toutes deux ont tendance à favoriser leurs choix sans envisager les conséquences, l'impact, que ces derniers pourraient avoir sur leur entourage. Ce qui les rend captivantes, c'est avant tout leur quête de liberté, leur besoin de trouver un sens à leur existence, de s'élever au-delà de ce qu'on attend d'elles de par leur sexe et leur rang. Si elles sont imparfaites, elles évoluent constamment au fil des chapitres, tout en restant fidèles à leur tempérament respectif.

Chose très rafraîchissante pour ce type de récit : Lydia et Catherine n'ont guère le temps ou l'envie de dégoter un époux convenable. Ici, ni niaiserie, ni romance, ni mélodrame ! La possibilité d'un mariage n'effleure même pas la première, quant à la seconde, elle a bien conscience qu'une union relèverait davantage d'une alliance que d'amour. Elles vont donc se construire d'elles-mêmes, se soutenir et s'élever intellectuellement, se tailler une place dans les combats modernes et le monde du travail.

Sur ce dernier point, elles pourront compter sur l'appui du rédacteur en chef Peter McNiel, un homme intègre, volcanique, fruste mais charmant. Peter est un personnage très intéressant - la seule figure masculine réellement sympathique dans cet ouvrage, bienveillant mais sans paternalisme. Son nom, d'origine irlandaise ou écossaise, sous-entend qu'il a potentiellement dû se battre pour s'établir dans la presse ; les tensions entre les différentes nations étant fréquentes au Royaume-Uni, il est facile d'imaginer l’accueil réservé à un non-britannique dans le journalisme londonien... Chaque apparition du reporter est marquante, de même que ses joutes verbales avec Catherine.

Si Loin de Berkley Hall est donc réussi, deux points noircissent légèrement la lecture. En premier lieu, il est dommage que l'ensemble du livre ne soit pas entrecoupé tout du long par les articles de Lydia et Catherine. Voir l'évolution de leur travail, constater l'éveil de leur conscience politique et noter les changements dans leur style... Tout cela aurait apporté un atout supplémentaire !

Ensuite, le mystère autour de Lord Davenport aurait mérité une conclusion un peu plus acerbe ou moins facile. Car s'il n'est pas réellement un antagoniste (l'intrigue se passe de rôles manichéens), il ne paie jamais pour ses actes. Davenport correspond à la mentalité aristocratique de l'époque, captif des apparences, ancré dans les traditions. L'opposition avec Catherine, laquelle cherche à s'émanciper de ce carcan, offre un parallèle saisissant entre le père et la fille, souligne le fossé entre les générations. Davenport est prisonnier du système dans lequel il évolue, tout en y collaborant activement. Un cercle vicieux dont il ne cherche pas à s'extirper, même au pied du mur. Cette figure paternelle m'a hérissée à chaque apparition. Qu'il aurait été plaisant de le voir payer pour sa lâcheté et son manque d'empathie !

Hormis ces petits bémols, rien ne vient entraver le plaisir de cette découverte ! Le style est limpide, le récit rythmé. C'est plaisant et positif, chic et charmant, un peu piquant et très attachant... Une agréable escapade qui s'accompagnera bien sûr d'une tasse d'Earl Grey et de quelques scones. Echappée-belle britannique assurée !


Loin de Berkley Hall de Coralie Khong-Pascaud aux Editions City, 235 pages, 16€50.

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