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L’avis des Libraires - 208ème chronique : Débranchez-vous !

L’avis des Libraires : 208ème chronique

Débranchez-vous !

Comment trouver son équilibre dans un monde survolté

de Matt Haig

Romancier à fort potentiel rassérénant


Auteur à succès récompensé à de multiples reprises, Matt Haig est depuis longtemps victime de violentes crises d’angoisse. Dans ce monde survolté, comment se réhumaniser, apprendre des autres, faire face aux sources de stress du quotidien et, surtout, comment être informé et responsable sans mettre sa propre santé mentale en péril ?

Bien décidé à trouver des réponses, Matt s’emploie à analyser la société qui nous entoure et à nous délivrer sa vision de l’équilibre...


Les coïncidences qui émaillent les parcours littéraires sont parfois des plus surprenantes.

Vous le savez, je n’ai jamais été la cible des ouvrages de développement personnel. La plupart de mes excursions dans le domaine ont été un fiasco. Il n’y a rien que je méprise plus que l’injonction à être heureux, la tyrannie du sourire, l’hypocrisie du feel-good.

Parfois, et c’est tout à fait normal, on ne va pas bien – et des phrases bateaux tirées d’une mauvaise fiction ne suffisent certainement pas à extirper quiconque de ce marasme noir dans lequel on sombre jour après jour. C’est d’ailleurs souvent l’inverse qui se produit : la culpabilité, la sensation de ne pas être à la hauteur de lignes directives aussi simplistes (comme si le bonheur l’était !) et la haine de soi face à notre incapacité à atteindre le nirvana promis par l’auteur. Ces charlataneries relayées en boucle sont bien plus dangereuses que salvatrices.

Par instant, assumer clairement son chagrin, son mal-être, permet d’aller mieux, de se tourner vers les bonnes personnes, de se confier, d’avancer. Ce n’est pas une honte de souffrir, ni une humiliation de ne pas réussir à être équilibré dans un monde marketé pour vous fait croire qu’il n’est rien de plus facile que de se lever heureux et épanoui chaque matin.

Alors pourquoi cet article aujourd’hui, me direz-vous ? Eh bien, la fameuse coïncidence décidée à envoyer valser mes préjugés : Matt Haig.

Je l’ai découvert à l’ère des best-sellers niais façon Twilight, celle où rouler des pelles à une goule, c’était le summum de la romance et du cool. A l’époque où Bella et Elena nous gonflaient avec leur triangle amoureux tout en caracolant en tête des ventes, ma passion pour les prédateurs à dents longues s’orientait ailleurs. Anne Rice et ses incontournables Chroniques. Beth Fantaskey et son diptyque décalé du Vampire amoureux. John Ajvide Lindqvist et son terrifiant Laisse-moi entrer. Matt Haig et ses Radley, une chronique de vie fantastique mettant en scène une famille dysfonctionnelle à crocs et à sang.

Haig a une belle carrière à son actif où, en brillant touche à tout, il passe sans faux-pas d’un registre à l’autre. Au sein de ses parutions, deux titres, pourtant, détonnent. Des autobiographies. L’une sur sa tentative de suicide à 24 ans et la reconstruction qui a suivi bon gré malgré, Rester en vie ; l’autre sur son besoin de se déconnecter de notre monde survolté, Débranchez-vous. C’est cet ouvrage qui est au centre de la chronique d’aujourd’hui.

Inutile de le nier : j’étais naturellement plus disposée à écouter Matt Haig, en connaissant sa sensibilité et son parcours, qu’à prêter l’oreille à un énième gourou venu vanter une retraite spirituelle hors de prix au fin fond de la cambrousse. Mais, bien au-delà de mes bonnes inclinations, les faits sont là : le contenu est largement à la hauteur de l’attente – comme toujours avec Haig.

Ici, pas de réflexions niaises, pas de réponses vendues sur le mode prêt à penser. L’auteur nous délivre, sincère et touchant, sa vision sur la société, ses traumatismes, ses addictions modernes – une anxiété, des phobies, qui parleront à beaucoup d’entre nous, d’autant plus en cette période de COVID où la surcharge d’informations négatives atteint des sommets.

Haig est d’une honnêteté criante : il ne prétend pas avoir le remède parfait pour lutter contre le déclin anxiogène où s’embourbe, année après année, l’espèce humaine. Pour autant, il rappelle aussi toute la beauté, toute la singularité, toute la force de cette même espèce qui, en dépit d’une tendance à l’auto-sabotage, a souvent été capable du meilleur.

La première chose qui interpelle à la lecture, c’est sans doute ce sentiment de désordre totalement revendiqué par son initiateur. Comme pour s'émanciper des murs auxquels il cherche à échapper dans le quotidien, Haig refuse d'enfermer son texte. Il le laisse libre, suit une idée, rebondit sur une autre, des expériences personnelles répondent parfois à une vérité d'ordre plus général. Imbroglio assumé mais qui, pour un auteur revendiquant sa liberté et louant l'émancipation des diktats, prend tout son sens. Ce joyeux (ou pas) méli-mélo de pensées suit bien sûr une ligne directrice - l'ouvrage débute sur la partie Un esprit stressé dans un corps stressé pour s'achever sur Tout ce que vous êtes est assez, part donc du mal-être, des sources d'angoisse identifiées pour finir sur les potentielles clefs d’apaisement.

En s’appuyant sur les réflexions des artistes, des physiciens, des philosophes, de son entourage, il nous envoie des planches de secours, des lettres mentales pour nous défendre, des fils de sécurité auxquels se raccrocher en période de détresse et de mal-être. Ses pensées sur l’Internet et les dangers de nos générations hyperconnectées, sans nier leurs bienfaits, sont d’autant plus vraies en 2021. Et il y a fort à parier qu’elles le seront toujours davantage, au fil des décennies.

Haig l’admet lui-même bien volontiers : s’il n’est pas en mesure d’appliquer tous les conseils qu’il délivre dans son ouvrage, il s’attache à les mettre en œuvre, l’un après l’autre. A essayer, tout du moins. Parfois, il y parvient. D’autres fois, non et il le dit sans honte. D’emblée, ce parti-pris nous ôte toute culpabilité, tout sentiment de débâcle ; nous pouvons tenter, à notre tour, sans nous rabaisser systématiquement en cas d’échec.

Débranchez-vous ! n’est pas le dogme du bonheur assuré. En revanche, il vous offrira peut-être quelques clefs pour vous apaiser, vous soulager – pour toute une vie, un mois, un jour, une minute mais quelle importance ? Chaque seconde de quiétude est gagnée, un pas de plus vers la guérison de nos angoisses, nos incertitudes, notre perte de repères. Chaque petit succès doit être considéré comme un tout vers une victoire sur nous-mêmes et nos appréhensions quotidiennes.

Alors, je laisse le mot de la fin à Matt : « Accepter qui vous êtes. Accepter la réalité de la société, mais aussi votre propre réalité, sans avoir l’impression que vous êtes incomplet. C’est cette sensation de manque qui remplit notre maison et notre esprit de bric-à-brac. Essayez de rester pleinement vous-même. Un être humain complet, entier, présent dans le seul but d’être vous. »

 

~ La Galerie des Citations ~


« J’ai lu des sites d’information – une autre distraction – et mon esprit n’a pas supporté. Savoir qu’il y avait tant de souffrance dans le monde ne m’a pas aidé à mettre ma douleur en perspective. Je me sentais seulement impuissant. Et je me trouvais pathétique que mes malheurs invisibles me paralysent alors qu’il y avait tant de malheurs visibles dans le monde. Mon désespoir s’intensifia.

J’ai donc décidé de faire quelque chose.

De me déconnecter. »

~ p 12


« Cependant, si les choix sont infinis, notre vie est limitée. Nous ne pouvons pas vivre toutes les vies. Nous ne pouvons pas voir tous les films, lire tous les livres, visiter tous les endroits de cette belle planète. Au lieu que cela nous paralyse, nous devons sélectionner parmi ce qui s’offre à nous. Nous devons trouver ce qui est bon pour nous et écarter le reste. Nous n’avons pas besoin d’un autre monde. Tout ce dont nous avons besoin est là, si nous cessons de croire que nous avons besoin de tout. »

~ p 27


« Autrefois, on ne connaissait que deux temps. Le jour et la nuit. La lumière et l’obscurité. Éveillé, endormi. Bien sûr, il existait d’autres temps […] mais ces temps n’étaient pas artificiellement dictés par des horloges, leurs chiffres, leurs compartiments sans fin. »

~ p 79


« Quand la colère arpente Internet

À la recherche d’un convive,

Il est temps, déconnecte

Et va lire un livre. »

~ p 109 / Ode aux réseaux sociaux


« Internet adore les évaluations, qu’il s’agisse de critiques sur Amazon, TripAdvisor, RottenTomatoes, de commentaires sur des photos, des statuts, des tweets. Les like, les favoris, les retweets. Ignorez tout ça. Une évaluation n’est pas un signe de valeur. Ne vous appuyez jamais dessus pour vous juger. Pour que tout le monde vous aime, il faudrait que vous soyez la personne la plus insipide au monde. William Shakespeare est l’un des plus grands écrivains de tous les temps. Il n’a qu’une médiocre moyenne de 3,7 sur Goodreads. »

~ p 116


« Le cynisme est le luxe de ceux qui ne sont pas suicidaires. »

~ p 142


« On nous encourage à sortir de nous-mêmes, à désirer d'autres vies. Des vies qui ne sont pas plus réelles qu'un trésor au bout de l'arc-en-ciel. »

~ p 235


« Quand la normalité devient la folie, la seule manière de rester sain d'esprit est d'oser être différent. »

~ p 247


« Lire [...] vous donne la place pour exister au-delà de la réalité qui vous est donnée. C'est ainsi que les êtres humains se fondent. Que les esprits entrent en contact. Les rêves. L'empathie. La compréhension. La fuite.

Lire, c'est l'amour en action. »

~ p 268

 

Débranchez-vous ! Comment trouver son équilibre dans un monde survolté de Matt Haïg, paru aux Éditions Philippe Rey, 316 pages, 19€. Également disponible en format poche aux Éditions Points, 360 pages, 7€80.

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