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Bonne résolution livresque n°24 : Finir l'année comme dans un Conte de Fée

Bonne résolution livresque n°24 :

Finir l'année comme dans un Conte de Fée

N'y allons pas par quatre chemins : 2020 a été... Infecte. Une année absurde, éprouvante et sordide comme le monde en a rarement connue depuis un demi-siècle. Le temps s'avère morose, les tempéraments échauffés par l'ambiance, le cœur n'est pas vraiment à la légèreté, la vie personnelle a été mise entre parenthèse et les carrières professionnelles malmenées.

Pourtant, cette année finit d’égrener ses jours avec lenteur, de dissoudre ses mauvais souvenirs dans le parfum boisé des sapins, le réconfort des fêtes, la chaleur des retrouvailles. La conclusion de douze mois difficiles se profile enfin. 2021 s'approche, il est donc temps pour nous de clore ce chapitre : pour ce dernier article, parlons magie nippone, fables shakespeariennes et histoires d'épouvante... De quoi achever l'année comme dans un conte de fée.


 

Contes Japonais de Vanessa Callico (auteure) & Shiitake (illustratrice) / Editions Le Héron d'Argent / 96 pages / 29€90. Le sort à l'œuvre : 32 histoires mythologiques et contes emblématiques japonais, illustrés avec talent par la mangaka Shiitake. L’avis de la Conteuse : Après l'enchantement offert par ses illustrations des contes européens, Shiitake revient à son patrimoine et explore la culture nippone.

Trente-deux légendes, choisies et adaptées par Vanessa Callico, sont réunies dans cette superbe anthologie. On y retrouve toute la beauté cruelle des récits d'antan, toute la richesse d'un folklore à la richesse inénarrable. L'excellente idée, ici, consiste à explorer non seulement les contes traditionnels du Pays du Soleil Levant mais aussi les premiers mythes japonais shintoïstes - création du monde, naissance des figures emblématiques du panthéon, affrontement entre le Dieu des tempêtes et le serpent à huit têtes, etc.

Si la plupart de ces histoires nous sont étrangères, certaines trames devraient trouver une résonance particulière pour les amateurs de mangas, dramas et autres aventures de Yokai : on y parle de la femme renarde Kitsune, de chat protecteur, des esprits Tanuki, de la fameuse Kaguya popularisée par les Studios Ghibli...

Autres points forts : l'ouvrage est truffé de citations et d'haïkus, ce qui rend sa découverte d'autant plus plaisante. Et comment ne pas succomber au trait envoûtant de Shiitake ? L'illustratrice signe une trentaine de dessins, aux couleurs chatoyantes et intenses, un doux délice pour les yeux. La suavité de son style atténue volontiers la noirceur, la violence, de certains chapitres.

Une fois encore, le Héron d'Argent a accompli un remarquable travail éditorial : mise en page détaillée, truffée de détails, format relié, dorures en relief. Le contenu s'avère de qualité et l'objet livresque est, une fois de plus, une merveille.

Une très belle introduction aux fables nippones.


« Que laisserai-je derrière moi ?

les fleurs du printemps,

le coucou dans les collines,

et les feuilles de l'automne » ~ Haïku de Ryōkan Taigu (1758-1831),

cité dans Le miroir de Matsuyama

 

Les contes de Shakespeare de Mary & William Lamb d'après les pièces de William Shakespeare (auteurs) et Benjamin Van Blancke (illustrateur) / Editions Les Belles Lettres / 304 pages / 21€ Le sort à l'œuvre : Si le public français est friand des représentations shakespeariennes, il est en revanche nettement moins au fait des contes dérivés de son univers ! C'est pourtant à cet exercice d'adaptation ardu que se sont consacrés Mary et Charles Lamb. De quoi piquer la curiosité. L’avis de la Conteuse : C'est un projet titanesque auquel se vouent la sœur et le frère Lamb, en ce début du XIXème siècle : adapter sous forme de contes les pièces de Shakespeare, l'intégralité de ses trente-huit comédies, tragédies et autres romances nimbées de fantasy. Les grandes tragédies reviennent à Charles, quand Mary prend en charge les comédies, les textes fantastiques. Si l'objectif est alors de signer un hommage au plus célèbre des dramaturges et de rendre son œuvre accessible dès le plus jeune âge, très vite, le succès surpasse toutes les attentes : dès leur parution, Les Contes de Shakespeare deviennent incontournables au Royaume-Uni... Et le sont encore aujourd'hui.

Dans nos contrées, en revanche, la renommée de ce superbe recueil laisse à désirer : il n'avait pas été disponible intégralement depuis plus d'un siècle ! Un tort que la maison des Belles Lettres s'est fait fort de corriger, de surcroît par la plus belle des manières.

Premier atout : cette édition bénéficie d'une nouvelle transposition française signée Florient Azoulay et Isabelle Doré, lesquels s'approprient le texte original avec fluidité et panache. Lui-même dramaturge, Azoulay a en outre dédié aux auteurs une très jolie introduction. Baptisée Mary et Charles Lamb, la mort comme la vie, cette dernière met en avant l'existence méconnue, sensationnelle et tragique des Lamb - un tandem digne des personnages torturés de ce bon vieux Will, voilà qui ne s'invente guère... Dès les premières lignes, une certitude s'impose : sa plume audacieuse sert à merveille les propos, souligne sa virtuosité narratrice, si bien qu'on ne pouvait imaginer meilleur traducteur pour s'atteler à la tâche.

Outre la beauté des mots, la restitution d'une prose romantique à souhait, l'ouvrage s'embellit des surprenantes illustrations en noir et blanc de Benjamin Van Blancke. Le jeune prodige, spécialiste du dessin à l'encre, a cette fois opté pour la gravure sur bois. Le résultat est d'une singularité incroyable, d'un charme obscur et retors. Une dizaine de ses œuvres agrémentent les mythes shakespeariens, apportant une touche moderne supplémentaire tout en respectant les codes picturaux classiques. Sa scène du balcon évoque par exemple Il bacio, du peintre italien Francesco Hayez. Le tout est une merveille à contempler, d'autant que les Belles Lettres misent sur du papier de qualité qui n'atténue en rien les détails de ses planches.

Muse éternelle, le génie Shakespeare ensorcelle l'ensemble de l'ouvrage, distillant histoire après histoire ses sortilèges. Quelques fées, une ou deux sorcières, une cruauté manifeste mais surtout beaucoup de fulgurances au sein de ces contes. S'y retrouvent son inventivité foudroyante, son lyrisme à l'épreuve du temps, son désespoir percutant, sa passion exacerbée, sa folie vengeresse, sa violence notoire, son humour mordant. Entre ces pages, on se remémore avec un plaisir inaltéré les protagonistes dont le grand créateur s'est plu à manier les ficelles durant toute son existence : le torturé Hamlet, la vile Lady Macbeth, l'exubérant Puck, l'insaisissable Ariel, la tragique Desdémone, le couple maudit formé par Roméo et Juliette, la téméraire Viola, le valeureux Orlando...

Une fois encore, l'éditeur nous offre une alliance d'artistes sensationnels, exposée au cœur du plus bel écrin. Un incontournable pour les amoureux du Barde, de la littérature anglophone ou des contes mais, bien au-delà, un onyx littéraire à l'indicible et sombre beauté.


« Rends-toi alors [...] ;

et deviens une attraction et un sujet d'étonnement, comme quand on expose les monstres,

avec une pancarte sur laquelle sera écrit :

Ici, on peut voir le tyran ! » ~ Ultime réplique de MacDuff citée dans Macbeth

Deux illustrations de Benjamin Van Blancke :

Roméo et Juliette, à gauche ; Othello, à droite.

 

Trois contes de fantômes de Guy de Maupassant (auteur) et Camille Garoche (illustratrice) / Editions Soleil / 88 pages / 26€ Le sort à l'œuvre : Dans Apparition, le marquis de la Tour-Samuel raconte une étrange histoire dont il a été témoin et qui, au crépuscule de sa vie, le hante encore. Le Tic suit un singulier tandem, un homme au mouvement compulsif inquiétant et sa fille, contrainte de porter un gant à la main gauche. Dernier texte du triptyque, La Mort nous immerge dans la nuit terrible vécue par un amant endeuillé, lequel affronte d'inquiétants phénomènes au cœur d'un cimetière. L’avis de la conteuse : Si Maupassant est fréquemment étudié pour ses textes réalistes (Bel-Ami, La Parure, Boule de Suif), il n'en demeure pas moins l'une des figures majeures du fantastique français. Alter-ego parisien d'Edgar Allan Poe, Maupassant est un auteur prolifique, à la création débridée et au génie torturé - peu importe le genre dans lequel il s'illustre, son talent n'est jamais démenti et sa plume reste incroyable, traversée par quelques envolées lyriques, animée par des tirades inspirées.

En matière de littérature imaginaire, il se distingue par une aura résolument gothique, un fantastique patiné d'horreur où la dimension psychologique tient une place proéminente. On lui connaît bien sûr son célèbre Horla, mais aussi La Chevelure et La Main gauche.

Pourtant, concernant ces Contes de fantômes, l'illustratrice Camille Garoche a refusé la simplicité : elle a choisi, pour figurer au sein de cette anthologie, trois textes relativement méconnus. On retrouve dans le recueil l'enchantement étrange, les sortilèges perturbants propres à Maupassant. Ambiance d'épouvante et suspens surnaturel s'entremêlent au sein de ces nouvelles ténébreuses, mythes de revenants et fables macabres. L'aura de ces nouvelles est froide, sans espoir, souvent emprunte d'un romantisme désenchanté. L'ensemble est éprouvant, tout en se dispensant des effets modernes grandiloquents souvent associés au genre - pas d'effusions sanglantes, ni d'excès racoleurs, la peur s'introduit avec subtilité, le gore est savamment dosé, la tension monte crescendo pour atteindre son paroxysme au profit d'un dénouement glaçant.

Pour accompagner ces écrits obscurs, Camille Garoche assombrit volontiers son art. Loin des ambiances douces et enfantines de Fox's Garden, de son Lapin des neiges ou de la saga Suivez le guide, elle propose des œuvres inquiétantes, pesantes, macabres... Les couleurs sont grises, les teints cireux, les visages expriment l'hostilité ou l'effroi, les paysages eux-mêmes semblent parés d'un nimbe lugubre. Ses illustrations en papier découpé n'en demeurent pas moins sublimes et ce nouveau registre souligne une fois encore tout le talent de la créatrice : dans cet univers ténébreux à priori si éloigné du sien, l'artiste rayonne. La superbe de l'ouvrage est encore renforcée par les trois magnifiques découpes au laser présentes dans cette édition, lesquelles viennent introduire chaque histoire.

Dernier atout : comme ce fut le cas dans Fox's Garden, le livre nous présente l'atelier de cette "orfèvre du papier". De fait, il est toujours aussi intéressant de se pencher dans les coulisses, de découvrir ses méthodes, ses techniques minutieuses, son travail de longue haleine via un making-of imprimé. Un bonus éditorial qu'on ne peut que saluer.

Pour son premier ouvrage à destination d'un public mature, Camille Garoche frappe fort et juste, tant dans son art, petit théâtre de papier à la représentation immortalisée, que dans le choix des textes. La passion qu'elle voue aux trois contes est palpable et l'inspiration qui en découle semble d'autant plus naturelle. Avec cette magnifique version illustrée, Camille Garoche a trouvé la parfaite réponse visuelle aux textes de Maupassant, entre lyrisme épuré et fascination funèbre. Une réussite dont on aspire ardemment à une suite !


« Je l’avais aimée éperdument ! Pourquoi aime-t-on ? Est-ce bizarre de ne plus voir dans le monde qu’un être, de n’avoir plus dans l’esprit qu’une pensée, dans le cœur qu’un désir, et dans la bouche qu’un nom : un nom qui monte incessamment, qui monte, comme l’eau d’une source, des profondeurs de l’âme, qui monte aux lèvres, et qu’on dit, qu’on redit, qu’on murmure sans cesse, partout, ainsi qu’une prière.

Je ne conterai point notre histoire. L’amour n’en a qu’une, toujours la même. Je l’avais rencontrée et aimée. Voilà tout. Et j’avais vécu pendant un an dans sa tendresse, dans ses bras, dans sa caresse, dans son regard, dans ses robes, dans sa parole, enveloppé, lié, emprisonné dans tout ce qui venait d’elle, d’une façon si complète que je ne savais plus s’il faisait jour ou nuit, si j’étais mort ou vivant, sur la vieille terre ou ailleurs.

Et voilà qu’elle mourut.

Comment ? Je ne sais pas, je ne sais plus. » ~ Citation de la nouvelle La Morte

 

En vous souhaitant à tous une année 2021 envoûtante !

Féeriquement, la Conteuse

 

Article paru en version remaniée dans le Pays Briard le 25.12.20

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