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L’avis des libraires - 192ème chronique : Trouve-moi

L'avis des libraires : 192ème chronique

Trouve-moi d'André Aciman

De l'importance de ne pas céder à la vacuité d'une suite.

Alors que vingt ans le séparent désormais de sa rencontre avec Oliver, Elio n’est jamais parvenu à oublier ce premier amour, ces étreintes passionnées dans la chaleur estivale, cette passion mûrie dans l’intimité d’une villa toscane... Ces deux décennies ont-elles enterré toute possibilité pour le couple d’être ensemble à nouveau ? Ou des retrouvailles sont-elles encore possibles ?


En 2018 débarquait sur nos écrans le film phénomène Call Me by Your Name, une exploration des sens à la volupté folle comme on en a rarement vu au cinéma... Dans la foulée, l'excellent ouvrage original signé André Aciman, sorti dix ans plus tôt, signait un retour triomphal en librairie. Le périple d’Elio et Oliver aurait pu s’achever ainsi – spleeneux et doux-amer, en un mot “ parfait ”, révéré par les mots d’Aciman, indissociable des prestations du duo Timothée Chalamet/Armie Hammer.

Seulement, dans l’industrie hollywoodienne comme pour les grands pontes de l’édition, il est toujours impensable de laisser un succès sans suite. Appelle-moi par ton nom n’échappe pas à la règle et est donc devenu un diptyque. L’annonce de cette suite a d’emblée suscité l’engouement, réveillé l’enthousiasme des lecteurs. C’est oublier un peu vite qu’entre le fantasme du fan et sa concrétisation officielle, le passage est souvent abrupt, la qualité incertaine, le constat d’autant plus difficile.

En l'occurrence, le verdict est sans appel : entre une première partie embarrassante et une seconde qui tend vers le fan-service outrancier, Trouve-moi est un gâchis innommable.

Si la plume reste fluide, elle s’égare dans les poncifs, peine à instaurer son ambiance, bute sur les émotions de ses protagonistes. Le ton, curieusement niais, s’avère pourtant désincarné. Et pour cause : rien de ce qui est narré ici ne vaut réellement la peine de s’y attarder.


** Attention : Spoilers **


Le roman est scindé en quatre fragments : Tempo, Cadenza, Capriccio et Da Capo.

Le plus long, Tempo, s’étire sur la moitié de l’intrigue et se centre sur le père d’Elio, Samuel - du tandem chéri du premier volet, quelques mentions, tout au plus, et des retrouvailles expéditives en compagnie d’un Elio triste et distant. Non, à la place, on se focalisera sur la relation entre Samuel et Miranda, une toute jeune femme qui se prend d’une passion immédiate et réciproque pour ce vieux professeur renfermé : c’est sirupeux, souvent malaisant, trop rapide et surtout trop mal amené. On ne croit pas à ce coup de foudre providentiel, d’autant qu’il vient anéantir le joli couple solide formé par Samuel et Annella, clôturé en une phrase laconique par un divorce hors-pages. Tout cela fait davantage penser aux fantaisies libidineuses d’un romancier en plein délires érotomanes qu’à une réflexion poussée et sensuelle sur le désir... Plus difficile, encore, à tolérer : la scène où Miranda confesse une attirance physique pour son frère et avoue avoir été outragée face à son refus. Une réaction normale pour quiconque ne fantasme ni sur les Borgia ni sur les Lannister mais passons... Face à cette confession, Samuel banalise le tout, passe outre avec une facilité déconcertante. Cette réaction purement 70’s où l’on revendiquait les déviances (incestueuses et pédophiles) au nom d’une prétendue liberté des mœurs laisse un goût plus qu’amer dans la bouche... 150 pages centrées sur ce couple très très gênant, c’est long. Et d’autant plus rageant pour un livre qui se pose ouvertement en suite d’Appelle-moi par ton nom, dont tout le marketing est orienté sur ce statut, quand bien même Elio comme Oliver se font cruellement attendre.

Après une moitié de roman à serrer les dents et réprimer un embarras palpable, débarquent Cadenza et Cappricio.

Cadenza suit une enquête intéressante au goût d’inachevé qui, si elle tranche avec le ton général et ne s’incorpore jamais vraiment dans le récit, a au moins le mérite d’offrir une parenthèse convenable. Elle aurait presque pu être satisfaisante si elle n’avait pas été plombée par un personnage secondaire insipide, nouvel amant d’Elio, qui s’intéresse davantage à son physique de jeune premier qu’aux efforts déployés par ce dernier pour résoudre une énigme familiale. Evidement, la grande différence d’âge entre les deux est aussi mal traitée que celle de Miranda et Samuel… Elio, fort heureusement, reste attachant, à l’image du premier volet.

Enfin, Cappricio renoue quelque peu avec la grâce de ses origines grâce à Oliver, lequel conserve ce charme ambigu, faussement nonchalant, qui l’avait déjà au préalable érigé en figure sensuelle. Il est ici plus égoïste, lassé par son existence – la séparation provoquée par son départ n’a pas seulement anéantie Elio, elle l’a aussi laissé meurtri, en manque perpétuelle, insatisfait dans son quotidien et insatiable dans ses relations. Oliver est incapable d’oublier Elio, tout comme Elio ne peut effacer le souvenir d’Oliver. Ainsi, même séparés par un océan, même libres de mener à leur gré d’autres relations, ils n’ont jamais cessé d’appartenir l’un à l’autre. Même infidèles par les actes, les choix, les liaisons, ils sont restés intimement fidèles à ce qu’ils étaient à l’époque. Cappricio, malgré sa brièveté, se rapproche à bien des égards d’Appelle-moi par ton nom.

Là où l’on commençait à espérer une apothéose, la dernière partie propose une fin heureuse des plus forcées, à mille lieues du dénouement acidulé de son prédécesseur... Face à l’aboutissement magnifique et mélancolique d’Appelle-moi par ton nom, le parti-pris du happy-end avec retrouvailles énamourées, vie idyllique et marmot à la clef passe bien mal. À la mort du père prodigue, l’ensemble des personnages rejoint la villa italienne familiale : Elio abandonne son vieil amant, Oliver quitte femme et enfants pour retourner en Europe (lesquels ne lui en tiennent absolument pas rigueur, comme c’est pratique), Miranda vit avec eux, l’enfant qu’elle a eu avec Samuel devient plus ou moins celui d’Elio et Oliver, la mère sénile d’Elio emménage au rez-de-chaussée… Bref, tout le monde accepte tout le monde, tout va bien dans le meilleur monde des meilleurs mondes : FIN ! On passera aussi sur le fait qu’Aciman nie le statut de la maternité, figure largement malmenée dans ce volet, et offre un redoutable combo pathos/mélo.


** Fin des Spoilers **


N’y a-t-il donc rien à sauver de cette suite ? Peut-être, si, un unique point, le seul à être convenablement abordé et travaillé : celui du temps. Aboutissement et conclusion, cette entité arrangeante pour les uns, menaçante pour les autres mais inévitable pour tous, hante en filigrane chaque pan de l’ouvrage.

Pour le reste, le constat est là et il est douloureux : l’auteur n’avait plus rien à dire sur Elio et Oliver mais, tel un amant possessif, il n’a pu se résoudre à les laisser partir, à construire leurs existences sans lui. Il retarde donc leur apparition pour finalement les évoquer avec une niaiserie déconcertante, loin de la subtilité complexe des débuts, s’adonnant sans vergogne aux facilités scénaristiques d’une mauvaise fan-fiction.

Pendant toute cette lecture, une question, une seule vient à l’esprit. Une interrogation qui vire à l’obsession exaspérée : hormis l'intérêt mercantile, y avait-il une quelconque nécessité à Trouve-moi ?

Les premiers amours, comme les ébats sentimentaux offerts par les vacances, possèdent ce charme singulier qui les rend inoubliables : la beauté de l’éphémère. Elle est précieuse pour sa faculté à tout changer, cette envie de tout découvrir, ce besoin de tout croire possible sur un temps si réduit et pourtant si intense. Elle possède également cette aura tragique, insatisfaite et inassouvie - une souffrance essentielle, comme un premier pas éreintant vers l’âge adulte, à laquelle on songera plus tard avec une nostalgie apaisée. La prolonger, l’étirer, l’expliciter dans la banalité du futur suffit à ternir son éclat.

Offrir une conclusion à la passion d’Elio et Oliver était une hérésie mais proposer une suite pareille tient de l’outrage. Le dénouement idéal avait déjà été écrit, des années plus tôt - tout le reste est vain. Ce second opus, on s’évertuera donc tant bien que mal à l’oublier, à le proscrire sur la pellicule de Luca Guadagnino ou à le perdre entre les pages d’Appelle-moi par ton nom.

Peu importe, au fond : Elio et Oliver restent éternels, immortalisés par leur histoire fugace et déchirante, voluptueuse et effervescente, lors d’un été unique.

 

~ La Galerie des Citations ~


« "Je ne sais même pas si je suis apte à aimer les gens, encore moins à tomber amoureuse."

C’était tout ce que je voyais en chacun d’eux ; le même cœur blessé, amer, impénétrable.

"Est-ce que vous n’aimez pas les gens, ou que vous vous en lassez et êtes incapable de vous souvenir, en dépit de vos efforts, de ce qui vous avait plu chez eux ?" »

~ p 20 / Discussion entre Miranda et Samuel

 

« [...] je me suis confiée à vous et vous vous êtes confié à moi. Je ne crois pas qu’il y ait beaucoup de gens avec lesquels nous nous soyons montrés l’un et l’autre si spontanément sincères. Ne faisons pas de ce moment une histoire banale qui a lieu dans un train et y reste comme un parapluie ou une paire de gants oubliés dans un coin. Je sais que je le regretterais. »

~ p 42 / Miranda à Samuel

 

« Au fond, nous ne savons que penser du temps, parce que le temps se fiche complètement de ce que nous pensons de lui, parce que ce n’est qu’une métaphore incertaine, fluctuante de la vie telle que nous nous la représentons. Parce que finalement, ce n’est pas le temps qui se trompe sur nous, ou nous sur le temps. C’est peut-être la vie elle-même qui a tout faux. »

~ p 62-63 / Le père de Miranda

 

« Il a su lire en moi dès le début, et il sait sans doute que si je n’écris jamais, ce n’est pas par désintérêt mais parce qu’une partie de moi l’aime et l’aimera à jamais, comme je sais qu’il m’aime encore, et c’est pourquoi lui aussi n’écrit pas. Le savoir suffit à mon bonheur. »

~ p 173 / Elio sur Oliver

 

« [...] la musique ne nous transforme pas plus que ça, ni l’art non plus. Au contraire, elle nous rappelle qu’en dépit de nos prétentions ou dénis, nous avons toujours su qui nous étions et ce que nous sommes destinés à rester. Elle me rappelle les balises que nous avons enterrées, cachées puis perdues, les êtres et les choses qui comptaient malgré nos mensonges, malgré les années. La musique n’est rien d’autre que l’écho de nos regrets dont la cadence nous donne l’illusion du plaisir et de l’espoir. C’est le plus sûr rappel que nous ne sommes ici que pour peu de temps et que nous avons négligé, trahi, ou pire encore, raté notre vie. La musique est la vie qui n’a pas été vécue. Tu n’as pas vécu la vraie vie, mon ami, et presque dénaturé celle qu’il t’a été donné de vivre. »

~ p 288 / Monologue imaginaire de Bach à Oliver​

 

Trouve-moi d'André Aciman aux Éditions Grasset. 316 pages. 22€

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