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L’avis des libraires - 191ème chronique : Blue

L’avis des Libraires : 191ème chronique

Blue d'Annabelle Blangier

Le Bleu, couleur de désir & de mort

Garçon de café, esprit rêveur qui ambitionne de réussir dans la peinture, Charles Faust s’éprend d’une jeune veuve, Blue. Pour lui, aucun doute - elle est LA muse. Très vite, les évènements se précipitent : l’attirance muette, la séduction mutuelle, la connivence puis la demande en mariage et les noces dans la foulée... Au grand dam de Anne, sœur de Charles et agent de police, plus qu’intriguée par les véritables motivations de cette belle-sœur trop irréprochable ! Une fois les vœux échangés, malgré le bonheur idyllique apparent, les questions se multiplient. Que fait Blue lorsqu’elle s’absente à la nuit tombée ? Quels secrets dissimule-t-elle dans les ténèbres ? Pourquoi se refuse-t-elle à évoquer son passé ? Et surtout, que cache-t-elle dans ce cabinet proscrit dont elle a pourtant confié la clé à son époux ?


Pour achever cette session dédiée à l'Imaginaire, laissons-nous emporter par les Éditions Magic Mirror et Blue, la toute dernière œuvre d'Annabelle Blangier.

Un an après son Musicien, la romancière nous revient avec cette réécriture de conte au postulat détonnant : l’inversion des genres. Barbe-Bleue n’est donc plus un ogre terrifiant à la pilosité azure qui assassine les jouvencelles mais bel et bien une femme mortellement séduisante, amatrice d’ingénus romantiques. Un parti-pris audacieux... Et réussi !

Comme ce fut le cas pour ses précédents ouvrages, Annabelle Blangier laisse doucement s’installer l’univers, s’entremêler les intrigues, se tisser les liens entre les personnages, laissant poindre çà et là les indices d’une trame macabre à souhait. Ses références sont multiples, savamment ancrées au sein du récit : elles retranscrivent une période transitoire de l’Histoire britannique, glissent un clin d’œil bienvenue à Faust et Dorian Gray, empruntent à la mythologie transylvaine et s’abreuvent au folklore anglais... Petite ville brumeuse de 1934, où l’aisance bourgeoise côtoie la misère des quartiers ouvriers insalubres, Hockley offre un paysage citadin nébuleux à l’aura inquiétante typique de la littérature du XIXème siècle. Le cadre typique d’un conte horrifique.

De conte, il en est évidemment bien question, Barbe-Bleue/Blue étant au cœur du mystère. De la fable misogyne signée Perrault, Annabelle Blangier prend l’exact contre-pied et place ses héroïnes au centre de l’action.

Elles sont certes importantes mais aussi imparfaites, complexes, hautes en couleurs : Blue bien entendu, remarquable entité froide et désincarnée, antagoniste manipulatrice aux allures de sainte, insaisissable pour les autres protagonistes comme pour les lecteurs ; la candide Rose ; les sœurs Selma et Wilma avec leur inclination pour les potins ou le pragmatisme financiers ; surtout, Anne Faust, l’aînée de Charles, au physique plutôt banal, dont le charme et le charisme reposent avant tout sur son intelligence, sa perspicacité, sa débrouillardise, son professionnalisme. Anne est un excellent personnage, bien plus active et intéressante que son frère - leur relation est d’ailleurs très bien traitée, entre l’inquiétude ressentie par la jeune inspectrice pour son cadet, sa jalousie à peine avouée envers Blue et sa crainte d’agir par mesquinerie davantage que par conviction. Si Charles est un élément déclencheur au sein des péripéties, il demeure plutôt passif, là où Anne et Blue s’affrontent dans un impitoyable jeu de dupes. Les véritables personnages principaux, ce sont bien elles.

Ici, le discours n’est pas centré sur la vénalité et la curiosité du beau sexe, ni une incitation à l’obéissance ou la docilité. Il s’agit bel et bien d’une critique sur la superficialité et la crédulité, la tendance à se laisser duper par les beaux atours, à associer féminité et innocence, beauté et fragilité... Blue emploie ses propres armes – Barbe-Bleue use de sa richesse ou de sa force physique pour venir à bout des curieuses, notre méchante du jour s’amuse du pouvoir que lui confère sa beauté, de sa facilité à duper son entourage par sa splendeur.

Pour autant, les deux textes conservent une réflexion chère à Perrault : vaut-il mieux vivre insouciant dans l’ignorance ou affronter la vérité quitte à corrompre une existence rêvée ? Une interrogation fascinante sur laquelle chacun aura son opinion.

Le style, épuré et efficace, est au service d’un crescendo de tension maîtrisé à la perfection. Ce thriller d’époque se dévore d’une traite, sans que l’on ne parvienne à décrocher une page. Les chapitres, brefs et rythmés, alternent les différents points de vue – un excellent moyen de renforcer notre curiosité ! Si les énigmes entourant la veuve noire sont assez attendues, l’apothéose sanglante qu’elles engendrent suffit à rendre le final marquant.

En définitive, Blue s’impose comme la lecture idéale de cette période automnale, audacieuse, addictive et sordide. Difficile, en effet, de rester insensible aux appâts de cette belle meurtrière...

 

~ La galerie des citations ~


« Faire le portrait d’un dieu ne vous donnait pas pour autant le droit de bénéficier de son attention. »

~ p 16

« Ne pas aimer assez est un problème, c’est certain.

Mais trop aimer ? Trop aimer peut avoir des conséquences catastrophiques. »

~ p 127 / Sky

« Juste là, il y avait la réponse aux questions qu’il se posait depuis des mois, la véritable identité de sa femme. Et Charles prit alors conscience d’une chose : malgré ses craintes, ses angoisses d’artiste, malgré toutes les bonnes intentions qui l’avaient mené jusqu’ici, une seule chose faisait battre son cœur à cet instant, et c’est cela qui lui donna la force de sortir son trousseau de sa poche pour en tirer la petite clef dorée. Sa curiosité. Il voulait savoir. C’était un besoin presque douloureux, à force d’avoir été réprimé. Et, à cet instant, rien ne se dressait entre lui et la vérité. »

~ p 197

« Vous ne pourrez pas vous débarrasser de moi, jamais. Je serai votre fléau, votre pire ennemie. [...] Je serai le plus grand prédateur de l’humanité, dissimulée en son sein. Je connais vos faiblesses, toutes vos peurs, tous vos doutes. Je sais les espoirs qui habitent vos cœurs. [...] Vous m’aimerez. Vous me désirerez. Vous penserez à moi la nuit, dans votre lit. Vous m’appellerez de vos prières, prêts à vous prosterner devant moi, éblouis par ma beauté. Et j’exaucerai tous vos souhaits. Je remplirai vos cœurs d’extase, avant de les arracher de votre poitrine. »

~ p 240-241 / Bella

 

Blue d'Annabelle Blangier, paru aux Éditions Magic Mirror, 266 pages, 18€50.


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard du 03.11.20

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