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L’avis des libraires - 190ème chronique : Le Carrousel Infernal

L’avis des libraires : 190ème chronique

Le Carrousel Infernal de Joe Hill

Éclats horrifiques

{ Liste des nouvelles présentes dans ce recueil }

Plein gaz en duo avec Stephen King

Le Carrousel infernal

La gare de Wolverton

Sur les eaux argentées du lac Champlain

Faune

Les Retardataires

Tout ce qui compte, c'est toi

Empreinte

Le diable dans l'escalier

En direct du Cirque de la mort

Racines

Dans les hautes herbes avec Stephen King

Vous êtes libéré

Treize courts récits nimbés de fantastique, entre sombre imaginaire, analyse sociale et angoisses primitives…


Impossible, pour un mois spécial Halloween, de ne pas succomber à la plume délicieusement horrifique de Joe Hill. En l’espace de quatre romans, une vingtaine de comics et une pléthore de nouvelles, le romancier s’est imposé comme l’une des figures majeures de la littérature américaine.

Le Petit Prince de l’Effroi, fils du Roi de l’Epouvante Stephen King, nous offre pour cet automne un recueil de treize nouvelles. Sans surprise, le tout se révèle sombre, addictif et maîtrisé de bout en bout – il propose une porte dérobée idéale pour se glisser dans les mondes de Hill, découvrir les thèmes qui lui sont chers, la beauté de son style, la richesse de ses personnages. Ni plus ni moins qu’un voyage élégant et sanglant vers les Enfers.

Ce qui frappe en premier lieu, c’est sans conteste la facilité d’immersion et l’abondance des récits, pourtant limitées par le format. La nouvelle, on le sait, est un genre délicat qui repose sur trois caractéristiques essentielles. Elle se doit d’être succincte, efficace, marquante. Ces points majeurs s’illustrent parfaitement ici. Chaque texte cultive un univers foisonnant ; les personnages sont vite identifiés et mémorables ; quant aux trames, toujours denses, souvent haletantes voire effrénées, elles connaissent toutes un dénouement inoubliable.

Du reste, le talent de l’auteur demeure omniprésent, véritable fil conducteur entre ces histoires résolument différentes : sa plume sublime, son goût du surnaturel, les relations intenses entre ses protagonistes… S’y ajoutent des thématiques fortes sur les liens familiaux, la guerre et ses répercutions, la chasse ou encore les dérives de la société d’un point de vue politique, éthique et économique. L’horreur, par King comme par Hill, n’est jamais vaine ou complaisante : elle cultive inlassablement un but, une idée, telle une fleuriste à la main verte, proposant un parterre mortel mais envoûtant, où chaque variété, chaque configuration, a son importance. Les habitués remarqueront d’ailleurs une multitude de petites références à son œuvre et à la bibliographie paternelle, glissées çà et là au fil des intrigues. Il est d’autant plus jouissif de découvrir les talents combinés du père et du fils le temps de deux brèves fictions… Comme il est touchant, aussi, de lire la très belle introduction dédiée par Hill à ses parents.

A noter, enfin, que l’ouvrage se clôt sur quelques pistes d’interprétation que je n’ai, par honnêteté, pas lu avant de rédiger la seconde partie de cet article : ce qui suit est donc ma perception toute personnelle, dépouillée des intentions de l’auteur.


** ATTENTION : légers spoilers **


S’il s’avère extrêmement complexe de détailler chaque fragment, partons grossièrement du constat suivant : les nouvelles jouent essentiellement sur deux partis pris majeurs, les réflexions sur la nature humaine d’un côté, la fine frontière entre le rêve/le cauchemar et la réalité de l’autre.

Ainsi, La gare de Wolverton est une métaphore des pratiques abusives et autres lobbies exercés par les grosses entreprises ; Tout ce qui compte, c’est toi se revendique en fable futuriste pessimiste autour de la superficialité ; l’insoutenable Empreinte met à nu les méthodes répréhensibles employées par l’Armée Américaine dans leur lutte contre le terrorisme, elle s’attarde également sur les répercussions psychologiques engendrées par les actes accomplis et sur les traumatismes vécus ; Le diable dans l’escalier est un conte sans moralité qui emprunte sa cruauté au Pentamerone de Giambattista Basile, entre ambitions bassement mercantiles et racisme primaire ; Vous êtes libéré nous plonge dans le dernier vol d’un avion, des réflexions de ses passagers aux pensées de l’équipe, tous retranchés dans le ciel aux prémices d’une Troisième Guerre Mondiale.

Les autres textes, quoi qu’engagés (incompréhension parents-enfants, influence de la vie virtuelle, etc.), s’orientent donc sur la lisière cauchemar/réalité. Porté par une fin déchirante, Sur les eaux argentées du lac Champlain questionne en permanence sur ce qui est vrai ou non, les événements étant narrés par les yeux d’une petite fille à l’imagination fertile, perdue entre le monde qu’elle s’invente et la morosité du quotidien ; Dans les hautes herbes joue sur la perception du temps et de l’espace, la perte de repères, la lente progression de la folie ; enfin, En direct du Cirque de la mort retrace le périple cauchemardesque d’une famille dont la fille aînée décrit, sur Tweeter, l’avancée du voyage et le spectacle gore survenu sous un chapiteau, raccrochée aux réseaux sociaux comme à une vaine planche de survie – évidement, impossible de savoir s’il s’agit d’une blague de mauvais goût orchestrée par une ado boudeuse ou le témoignage paniqué d’un réel jeu de massacre…

J’avoue que cette dernière nouvelle, grand-guignolesque à souhait, m’a laissée de marbre. C’est aussi le cas Des eaux argentées du lac Champlain qui laisse un goût d’inachevé, l’impression frustrante d’un potentiel inexploité – à noter que l’histoire a été adaptée dans la série Creepshow (saison 1, épisode 6) laquelle respecte le postulat original tout en l’exploitant davantage. Pour ma part, j’ai eu cinq véritables coups de cœur à la découverte de cette anthologie, parce qu’ils coïncidaient avec mes idées, soulevaient mes peurs les plus primaires, réveillaient des angoisses insoupçonnées.

  • Plein gaz est la première histoire écrite à quatre mains par King père et fils, ce qui a déjà de quoi piquer l’intérêt. Ici, les thématiques complexes de Sons of Anarchy croisent le démon spielbergien du film Duel : un camion traque une bande de motards, décidé à les décimer un à un. Postulat simple mais protagonistes denses et rapports alambiqués. Intense, perpétuellement sur le fil, l’intrigue confronte un père, l’oblige à se questionner sur ce qu’est la famille, sur les rapports entretenus avec son fils alors même que ce dernier court à la mort. Vince, biker à l’ancienne, chef de gang jugé obsolète par la nouvelle génération, est un héros noble au règne fragile, à la droiture vacillante. Il cherche à conserver son intégrité dans une situation inextricable et violente, à assurer sa survie et celle de sa bande là où tout semble les condamner – peut-être à raison... Un excellent personnage encadré par des rôles secondaires forts, dont Race, la chair de sa chair, jeune premier à la prestance hollywoodienne, aussi sombre et sournois que son père est lumineux et franc. La conclusion, servie par une confrontation finale épique et émouvante, reste l’un des meilleurs dénouements proposés par l’entièreté des œuvres de King et Hill.

  • Le Carrousel Infernal confère son nom au recueil et mérite largement cet honneur. Vive, terrifiante, palpitante, elle renoue avec les thématiques de Nosfera2, à laquelle elle fait d’ailleurs explicitement référence. Tout débute par la présentation d’un quatuor attachant – les charismatiques jumeaux Renshaw, la douce Nancy et le boy-next-door Paul –, la sortie amicale et arrosée au cœur d’une fête foraine, le prélude des adieux post-lycée, l’innocent tour de carrousel… Puis la mauvaise action, le choix funeste. Et le manège, en apparence inoffensif quoique légèrement bizarre et dérangeant, voit ses sujets s’animer pour exercer leur terrible vendetta. Le teen-movie tourne au slasher, l’ambiance colorée et rassurante de la foire se mue en une virée acharnée pour la survie, sombre et pernicieuse. L’angoisse est omniprésente, palpable, l’horreur gagne du terrain aussi sûrement que les animaux du manège traquent leurs proies. De l’épouvante étrangement poétique, un conte macabre à la sauce 90’s.

  • Faune, variation dégénérée des Chroniques de Narnia, est une critique glaçante de la complaisance pour la violence, de la fascination pour la barbarie la plus primaire. Hill y exploite la fameuse locution « qui ne dit mot consent » : Peter, l’un des personnages principaux, corrobore des actes répréhensibles mais s’en dédouane. Après tout, il ne participe pas directement aux crimes, se contente d’y assister, de les adouber par son silence de témoin consentant... Une lâcheté plus que répandue dans notre société contemporaine. A cette critique de l’hypocrisie malsaine s’ajoute une vision féroce de la chasse. Faune est un jouissif jeu de massacre, engagé et éprouvant, où les proies devenues vengeresses s’offrent de sanglantes représailles ; la tension monte crescendo, le suspense s’avère inébranlable, jusqu’à l’impitoyable dénouement. Le coup de foudre magistral de ce recueil.

  • Les Retardataires, récit mélancolique et doux-amer auréolé de magie, où un bibliobus ouvre un portail sur différentes époques, évoque avec délicatesse le pouvoir propre à la lecture, l’espoir salvateur que peut revêtir l’écriture et, enfin, les différentes étapes du deuil. Entre spleen et apaisement, sérénité et déchirement, elle est sans conteste la nouvelle la plus touchante de cette anthologie.

  • Racines est une histoire totalement inédite, tout comme Les Retardataires. Là où onze nouvelles avaient été au préalable publiées dans d’autres recueils et magazines étatsuniens*, ces deux dernières ont donc l’exclusivité. Encore une fois, c’est une réussite. Racines – Mums en VO – est une sombre fiction, empreinte de beauté macabre. L’imaginaire horrifique s’instaure progressivement, lyrique et terrible, sorte de féerie fatale au style très cinématographique. Encore une fois, la nouvelle trouble sciemment notre ressenti : réalité fantastique ou délires meurtriers ? Le narrateur lui-même n’obtiendra jamais une quelconque certitude sur ce point. Racines compte parmi ses thèmes quelques sujets privilégiés de Hill tels que les rapports parents-enfants, la confrontation familiale, le passage à l’adolescence, le désœuvrement d’une société américaine armée, traumatisée par les guerres contre le terrorisme islamiste, rongée par son ressentiment contre l’état, prête aux pires dérives communautaires et déterminée à répondre à la violence par la violence. La conclusion, encore une fois idéale, boucle les évènements instaurés par le prologue : la mère, omniprésente, vengeresse et déterminée, remporte une victoire totale. La matriarche, rose fragile aux épines redoutables, à la fois guide et furie, est prête à protéger l’enfant jusqu’à la fin. Et quelle fin…


** A partir d’ici,

vous pouvez poursuivre votre lecture

sans craindre le divulgâchis **


Vous l’aurez compris mais cette anthologie s’avère la porte dérobée idéale pour se glisser dans les mondes de Hill, découvrir les thèmes qui lui sont chers, la beauté de son style, la richesse de ses personnages. Ni plus ni moins qu’un voyage élégant et sanglant vers les Enfers.

De quoi garantir quelques frissons et beaucoup de réflexions à l’approche de Samain…

 

~ 5 nouvelles coups de ❤ ~

  • Faune

  • Plein gaz

  • Le Carrousel Infernal

  • Les Retardataires

  • Racines

 

~ la Galerie des Citations ~

« Les livres sont patients avec ceux qui ont des difficultés d'apprentissage. Le reste du monde ne l'est pas. » ~ Introduction : Tueurs de père en fils / Joe Hill, p 19


« [Jake et Geri] me poussaient à faire des choses que je regrettais sur le moment, mais dont je me souvenais plus tard avec délectation. J'imagine que les véritables péchés produisent les mêmes émotions, dans l'ordre inverse. » ~ Le Carrousel Infernal / Paul, p 65


« [...] il y avait quelque chose d'irrésistible à allumer une mèche et à la regarder se consumer, juste pour entendre le fracas de la détonation. » ~ Le Carrousel Infernal / Paul, p 74

« Le conte de fées américain, réplique la bête. Vous savez. L'idée qu'on pourrait tous être comme vous. Qu'on voudrait tous être comme vous. Qu'il vous suffit de semer votre poussière magique sur nous, et abracadabra ! Un McDonald's par-ci, un Urban Outfitters par-là, et l'Angleterre sera comme à la maison. Votre maison. Je me sens sincèrement humilié d'y avoir cru. S'il y a bien une personne qui aurait dû flairer l'entourloupe, c'est moi. Vous avez beau coller un tee-shirt Disneyland sur un loup, ce sera toujours un loup. [...] Ce n'est pas une récession, vous savez. C'est la réalité. Vous découvrez la véritable valeur de ce que vous fabriquez : vos baskets, vos programmes informatiques, votre café, vos mythes. Vous prenez conscience de ce qui se passe quand on s'enfonce trop loin dans le noir, au cœur de la forêt obscure. »

~ La gare de Wolverton / Le loup d'affaires, p 112-113 -114


« Qui est pire, Christian ? Le sadique qui laisse parler sa véritable nature ou l'homme ordinaire qui ne fait rien pour l'arrêter ? » ~ Faune / Fallows, p 180


« Il est assez courant d'entrer dans une bibliothèque et de se lancer dans une conversation avec les morts. Les grands esprits d'antan encombrent chaque étagère, attendant qu'on les remarque, qu'on interagisse avec eux. Dans une bibliothèque, les morts se mêlent chaque jour aux vivants, de manière naturelle. » ~ Les Retardataires / Ralph, p 207


« Le prix de la vie, c'est la mort.

-Je sais. Mon compteur tourne lui aussi. N'est-ce pas le but des anniversaires ? Nous rappeler que le compteur ne cesse jamais de tourner ? Un jour, je serai morte, et tu continueras de te faire des amis. » ~ Tout ce qui compte, c'est toi / Discussion entre le robot Rob et Iris, p 250


« On peut tout semer. On peut semer une idée. Ou des embûches. Qui aurait cru que ça pourrait pousser, hein ? Les tueurs sèment parfois de faux indices pour égarer les enquêteurs. » ~ Racines / La marchande à Jack, p 345

 

Joe Hill : Le carrousel infernal aux Editions JC Lattès. 450 pages, 22€90.


Article paru dans le Pays Briard le 26.10.20


* A noter que la plupart restaient néanmoins inédites en France.

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