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L'avis des libraires - 185ème chronique : Un peu de nuit en plein jour

L'avis des libraires - 185ème chronique

Un peu de nuit en plein jour d'Erik L'Homme :

Romance dystopique & désespérée

Le monde a sombré dans des ténèbres perpétuelles, Paris est plongé dans l’obscurité. Dans cet univers chaotique, la population cède à ses instincts primaires, à sa violence animale et s’organise en clans dans le vague espoir de survivre. Féral est un combattant, un survivant mélancolique qui possède encore le vague souvenir des jours d’avant. Guerrière elle aussi, Livie cultive un esprit libre, elle est incandescente, déterminée. Lorsqu’ils se découvrent, l’amour s’avère réciproque, passionné, entier. Sans que Féral ne le sache, il est aussi voué à une issue tragique…


J.K Rowling, Philip Pullman, Serge Brussolo, Pierre Bottero, Erik l’Homme. Pour les lecteurs de ma génération, ceux qui ont débuté leur périple livresque dans les années 2000, ces noms sont incontournables. Ils sont synonymes de voyages extraordinaires entre les lignes, de rêveries couchées sur papier, de mondes fantastiques à portée de pages… Si bien que, deux décennies plus tard, je voue encore un attachement sincère à chacune de leurs œuvres.

Ma rencontre avec Erik L’Homme a débuté avec sa trilogie culte du Livre des Etoiles. Coup de foudre immédiat – cette passion littéraire ne s’est jamais démentie depuis. Elle s’est poursuivie avec les triptyques SF Phaenomen et Les Maîtres des brisants, a continué avec le très beau Regard des princes à minuit, puis le récit autobiographique Des pas dans la neige et, comme une évidence, la saga d’urban fantasy écrite à quatre mains avec Pierre Bottero, A comme Association. A la liste déjà longue s’ajoute désormais son dernier roman.

Un peu de nuit en plein jour est une œuvre dense, saisissante. Exigeante aussi, sans doute l’une des moins accessibles de l’auteur. Dans ce futur dystopique terne et froid, les informations filtrent au compte-goutte, des brides d’indications qu’il faut saisir au débotté sous peine de s’égarer dans ce sombre dédale. L’univers est difficile d’accès et, en ce sens, ne conviendra pas à tous ; pour le lecteur, pas d’autre choix que de couler ses pas dans ceux de Féral, à travers cette nuit éternelle. Il faudra accepter, aussi, que la mythologie ne dévoile que quelques-uns de ses secrets, qu’elle reste largement abstraite. Consentez aux mystères, autorisez l’auteur à vous guider en aveugle : dès lors, la compréhension, le lien entre les éléments se font d’eux-mêmes. Vous ne savez pas tout, non. Mais juste assez pour saisir l’essence même de l’intrigue.

Car, au-delà du monde complexe dans lequel évolue les protagonistes, la trame narre avant tout une histoire d’amour. Une histoire qui emprunte sa romance maudite à Roméo et Juliette et son lent apprivoisement à La Belle et la Bête. La relation de Féral et Livie tient beaucoup de la fable : l’homme sur le déclin, bestial, mélancolique, rencontre la jeune femme qui lui offrira affection et espoir, qui illuminera, symboliquement, les ténèbres de son quotidien. La métaphore est d’autant plus saisissante dans le choix des prénoms : Féral désigne un animal domestique retourné à l’état sauvage, Livie se rapproche phonétiquement de « la vie ». En approfondissant davantage, on pourrait trouver une signification dans les noms de chaque personnage secondaire ; Sybille et Cassandre, par exemple, évoquent des figures majeures de la mythologie grecque.

On retrouve quelques éléments phares d’Erik L’Homme, tels que son attachement à la mazurka, son affection pour les contes et autres textes initiatiques, son ode à la nature – et sa peur palpable face au lent déclin de la planète, lui, l’amoureux des grands espaces, de la flore insoumise et de la faune indocile. Un peu de nuit en plein jour évoque la lente déchéance de la Terre, la société remise aux mains des plus puissants, la montée du communautarisme, la sauvagerie qui gagne l’humanité et son besoin exutoire de violences. Dans ce roman, la brutalité est partout, souvent là où l’on s’y attend le moins.

Comme pour coïncider avec la dureté des thématiques, la plume se fait âpre, les phrases sont concises, le rythme presque saccadé. Elle frappe à la manière des coups assénés par Féral lors de la Cogne, ces combats qui se déroulent dans les caves et l’ont érigé en champion. Si le protagoniste trouve une forme d’art dans les joutes physiques, les mots de son auteur sont également pourvus d’un certain lyrisme. Comme toujours, il se dégage une véritable beauté de ses textes. Ici, le charme est désespéré, nimbé de spleen, du mal noir qui ronge Féral et Sybille. Le final, apothéose douce-amère, libération tragi-poétique, rappelle toute la maestria du créateur.

La lecture dans son ensemble est brève, intense, impitoyable, à l’image de l’amour désespéré que se portent Livia et Féral. Erik l’Homme signe une dystopie philosophique et romantique, une œuvre violente et crève-cœur. De quoi succomber à cette mazurka fatale.

 

~ La galerie des citations ~

« Le silence les enveloppe. Ça ne dérange pas Féral, il connaît le silence. Depuis longtemps il est en paix avec lui-même, avec son essence profonde qui pulse en attendant l’explosion des étoiles. Le silence ne lui fait pas peur, pas plus que le bruit, d’ailleurs, qui fait vibrer le ventre et gonfler la poitrine quand il s’échappe des gorges de ses frères, mais pour continuer à dialoguer avec le monde il faut le silence et Féral n’a pas besoin de mots pour dire aux arbres qu’il les aime. Le silence a ses respirations, ses densités, parfois étouffe et parfois libère. »

~ p 17

 

« La Liberté en majuscule n'est permise qu'aux morts, ce n'est pas une affaire de vivants. »

~ p 34

 

« Jamais il n'a été aussi lucidement fou. »

~ p 56

 

« C'est la mort qui donne son poids à la vie. [...] La vie perd toute raison d'être quand le temps s'étire à l'infini. »

~ p 87 / Sybille

 

« Les morts me donnent le sentiment d'avoir quitté une fête sans dire au revoir. »

~ p 134 / Sybille

 

Erik L'Homme, Un peu de nuit en plein jour aux Éditions Calmann-Lévy. 170 pages. 17 €

Chronique parue en version écourtée dans le Pays Briard le 15.09.20

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