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L’avis des libraires - 171ème chronique : Les Dragons de l'Impératrice

L’avis des Libraires : 171ème chronique Les Dragons de l’Impératrice d’Alice Sola Les destins croisés d’une guerrière farouche et d’une princesse maudite

Au cœur d'une Chine mythique où les légendes prennent vie, la Princesse Turandot cache un terrible secret : en son âme gronde un démon. Tapi dans les sombres recoins de son être, la bête prépare son avènement.

Autour de la cruelle héritière, trois destins s'entrelacent : celui du Général de guerre Shen, du seigneur déchu Calaf et de la redoutable guerrière travestie Hua Mulan.

L'Empire corrompu peut-il être sauvé ? Le mérite-t-il seulement ?


Après nous avoir régalé de sa vision du Lac des Cygnes et de Lohengrin, Alice Sola se penche cette fois sur une nouvelle pièce maîtresse du classique : l’opéra Turandot. Elle mêle pour l'occasion l'oeuvre de Giacomo Puccini à la légende de Hua Mulan… Et c’est un véritable succès !

Outre l’originalité d’une telle proposition, la romancière parvient à entremêler merveilleusement deux histoires, deux univers, pourtant très distincts. Elle réussit du même coup à se distancer de l’image imposée par les Studios Disney pour tisser une trame sombre, dense et alambiquée mais cohérente – les sorts des quatre héros se croisent et se trouvent liés au fil de l’intrigue, chacun bénéficiant d’un développement propre et d’un arc narratif intéressant. L’alternance de points de vue est en ce sens judicieuse, d’autant qu’elle s’avère bien exploitée.

Il faut noter qu’Alice Sola accorde la part belle aux femmes. Mulan, Turandot et la jeune servante Liu sont des héroïnes très différentes, évoluant dans des milieux radicalement opposés (martial, impérial et domestique) mais aucune n’est passive. Ce sont des battantes, toutes à leur manière. Elles revendiquent leur indépendance, le droit de prendre leurs propres décisions, de décider de leur destin et d’aimer qui leur plaît dans une société qui cherche à les assujettir, les museler et les reléguer au second plan. Si elles ne sont jamais assimilées à des demoiselles en détresse, elles ne désavouent pas pour autant l’appui des figures masculines et œuvrent avec ces dernières. Qu’il s’agisse de Shen et ses compagnons d’armes, de Calaf ou de l’eunuque Force Printanière, les hommes ont également un rôle à jouer. Cette prise de position féministe rend le tout engagé et souffle un vent de modernité sur les personnages et leurs actes ; les thématiques sous-jacentes n’en sont que plus plaisantes à suivre.

On avouera néanmoins un attachement tout particulier à Turandot, protagoniste très torturée, complexe, froide, habile, déchirée dont le mystère séduit les lecteurs aussi certainement que ses (malheureux) prétendants. Si elle respecte la trame de l’opéra et le caractère de la générale Hua tel qu’établi dans la ballade millénaire, l’auteure s’émancipe du matériel original pour offrir une épopée grandiose au sein d’une terre mythique. Dans cette Chine fantasmée où les légendes prennent corps, on croise de nombreuses créatures propres au folklore asiatique – des plus terrifiantes aux plus belles, Dragon, Pixiù, Chien Fu, Xiangliu et autres Niao viennent émailler le roman.Le travail colossal de recherches qui en a découlé est palpable mais payant : l’immersion est totale. Alice Sola s’est réellement imprégnée dans cette culture, évoquant ses artefacts, ses divinités mais aussi ses monuments, la vie au cœur de la Cité Interdite et son fonctionnement interne (notamment celui des concubines), les traditions vestimentaires, la domination du Taoïsme, la répression du Bouddhisme, l’importance du Feng Shui… Pour autant, elle ne perd jamais son public et le guide, pas à pas, dans son univers.

Autre caractéristique du récit : son rythme haletant et la profusion d’action qui rend l’ensemble des plus addictifs. Ce thriller fantastico-historique se révèle être un trépignant roman d’aventures, impossible à lâcher avant sa dernière page.Ajoutons qu’afin d’éradiquer tout mélodrame, l’humour est souvent au rendez-vous, apportant une touche de légèreté bienvenue à cette histoire très sombre aux allures de fable horrifique.

On notera également une multitude de clins d’œil plus qu’appréciables : les numéros de chapitres sont rédigés en sinogrammes et romanisés pour la compréhension des lecteurs ; des citations de L’art de la Guerre rédigé par Sun Tzu et des paroles de Puccini introduisent les différentes phases de l’intrigue (regroupées ici sous le terme d’acte) ; on trouve à la fin de l’ouvrage la « distribution », reprenant le nom des personnages clefs et leur fonction, comme sur les livrets d’opéra…

Ultimes points positifs : la très belle couverture signée Mina M., patte visuelle des féériques éditions Magic Mirror depuis leurs débuts, qui retranscrit toujours à la perfection l’ambiance de leurs écrits. Quant au titre, énigmatique, il pique d’emblée l’intérêt, d’autant qu’il ne prend son sens qu’au dénouement et est de surcroît très bien choisi.

Quelques maladresses mises à part, l’ensemble reste très fluide, très doux. Alice Sola continue de grandir au fil de ses romans et son talent avec elle : sa plume s’affûte, son style gagne en élégance, sa narration en efficacité. Elle vous propose ici une excursion haletante et magique au cœur de l’Empire Céleste, de glisser vos pas dans le sillage d’une remarquable guerrière, de vous aventurer au cœur des cauchemars d’une princesse terrifiante et terrifiée… Des péripéties qui restent en tête comme un air d’oratorio, longtemps après son final épique.

 

~ La galerie des citations ~


« Ce n'était que des cultures avec des paysans épuisés, mais c'était son pays. C’était pour cette beauté sauvage qu'elle se battait. Ces dégradés de vert et ses eaux bleues ou beiges qui reflétaient les rayons du soleil. »

~ p 21-22 / Mulan


« Parfois, à force de jouer les hommes sans en être un, et de s’interdire d’être une femme, elle se demandait qui elle était. Qui était Mulan ? Une créature asexuée qui ne vivait que pour et par la bataille ? Jusqu’à quand cela allait-il durer ? »

~ p 106


« Le prince en exil sut alors avec certitude qu’en effet, rien de malveillant ne l’attendrait jamais en ces lieux. Son corps à demi-incarné pénétra dans une immense grotte, et bien qu’il y eût toujours une ouverture dans son dos, les vagissements excessifs de la tempête de neige semblèrent abandonnés derrière lui.

L’intérieur de la grotte était sculpté d’animaux mythologiques et d’autres de contrées lointaines, de glyphes à la fois familiers et inconnus. Il régnait ici une douce lueur bleutée, et de grands braseros abritaient des flammes de diverses couleurs, dont les plus étranges n’étaient pas les bleues et les vertes.

Au fond, il y avait même une sorte de balcon qui semblait donner sur un ailleurs lumineux mal visible depuis l’endroit où il se trouvait.

Et puis il y avait l’homme au crâne rasé, dont les traits pouvaient tout aussi bien être féminins, qui était sans âge, sans race et sans couleur. Rien d’autre que la bienveillance qui émanait de lui n’était nécessaire pour le caractériser.

Ici, duperies, mensonges et faux-semblants étaient des concepts bons pour les pauvres êtres humains qui ne s’en étaient pas encore délivrés. »

~ p 178 / Calaf

« Ne sommes-nous pas tous des histoires en attente d’être écrites ? »

~ p 181 / l'un des rois de Shambhala

« Ce ballet de lames mortelles, elle en était venue à l’aimer comme une prière pour défendre sa vie, son pays. Elle aimait cette ardeur martiale qui les liait, Shen et elle, dans un combat. »

~ p 188 / Mulan

« Elle voulut cracher une dernière chose au visage du monstre qui la séparait de ceux qu’elle aimait. Mais rien de prodigieux ne lui vint.

– Je suis Hua Mulan, souffla-t-elle simplement. Juste une femme avec un peu de volonté. »

~ p 335 / Mulan

 

Les Dragons de l'Impératrice d'Alice Sola, paru aux Éditions Magic Mirror, 388 pages, 19€50.


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard du 30.04.20

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