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L’avis des libraires - 166ème chronique : Billy the Kid 21

L’avis des libraires : 166ème chronique

Billy the Kid 21 de Noboru Rokuda

Un western fiévreux sur les pas de William H. Bonney

Violenté et trahi dès son plus jeune âge, William H. Bonney va effectuer une vendetta sanglante qui le propulsera bien malgré lui au rang de célèbre hors-la-loi... Il deviendra alors Billy the Kid, figure emblématique de l'ouest américain, qui mourut à 21 ans après avoir tué 21 personnes.


L’Ouest Sauvage a charrié son lot de légendes : elle a érigé ses bandits en icônes sacralisées, farouches, rebelles... Au fil des siècles, les desperados se sont mués en mythes, des rois vagabonds à la gâchette facile frayant parmi les étendues désertiques, rescapés éphémères de vendettas sanglantes. Les histoires les concernant exhalent la poussière du désert, l’odeur de la poudre, le sang des règlements de comptes mais, plus encore, la liberté. Les faits n’ont que peu de poids face à cette indépendance insoumise dont ils sont devenus l’emblème.

Butch Cassidy, le Sundance Kid, Jesse James et, bien sûr, Billy The Kid. L'enfant débonnaire, le gosse meurtrier, le hors-la-loi aux semelles de vent - un Rimbaud exterminateur.

Héros ou antagoniste, parfois les deux, le Kid et son rire hantent les Arts depuis près d'un siècle. Une enfance instable, le sort qui s'acharne : l'adolescent devenu meurtrier à l'aube de ses dix-huit ans, le célèbre desperado fauché par le tir de son meilleur ennemi moins de trois ans plus tard... Son assassin, Pat Garrett, cherchera à se racheter aux yeux de l'Amérique (et aux siens) en publiant ses mémoires : comble de l'ironie, il contribuera à la notoriété de sa victime.

L'histoire fascinera les créateurs. Michael Ondaatje lui dédiera un recueil en prose ; Morris et Goscinny le croqueront avec délice dans la BD Lucky Luke ; Bob Dylan composera la bande-originale de Pat Garrett et Billy the Kid, le long-métrage de Sam Peckinpah ; Emilio Estevez l'incarnera dans le diptyque Young Guns, mégalomane, espiègle et charismatique, lui conférant des allures de Peter Pan façon Wild West... Aux quatre coins du globe, le plus jeune membre des Regulators appose sa marque, un héritage bien au-delà de ce que sa brève existence laissait présager.

Au Japon, dans les 70's, un aspirant artiste, Noboru Rokuda, découvre le bandit par la plume d'Ondaatje. Billy ne le quittera plus. Si bien qu'en 2008, quelques décennies après ce choc littéraire, le mangaka lui dédira une trilogie.

Et quelle oeuvre ! Une fresque en trois tomes, mémorable, implacable et crépusculaire, qui capte à merveille l'âme et la chair d'une légende. Légende oui, car s'il reprend les grands axes de son existence, ce n'est pas à William H. Bonney que s'intéresse Rokuda mais bien à Billy the Kid.

Comme bien d'autres avant lui, le dessinateur-scénariste dresse un portrait aussi intimiste que factice : son Billy est un esprit fantasque, farouchement indépendant et singulier. Un jeune protagoniste charmant au demeurant, magnifié par la fiction, mais aussi mélancolique et instable, en lutte perpétuelle pour ne pas perdre pied avec la réalité.

Ici, son ennemi n'est pas tant Pat Garrett, bandit-mentor puis père de substitution mué en main implacable d'une justice arbitraire, mais bel et bien la folie. L'aliénation va crescendo au fil des tomes, provoquée par l'amoncellement de cadavres dans le sillage de cet angelot macabre. Billy ne parvient jamais à atteindre la paix ou la rédemption, ses expiations à répétition se soldent par des échecs et cette facette de sa destinée est parfaitement exploitée. La démence attaque, ronge et corrompt le garçon, le pousse à flirter au plus près de la Faucheuse. De tragédie en tragédie, le chérubin se mue en ange exterminateur - sa chute inexorable est remarquablement menée sur l'ensemble de la trilogie. Rokuda s'attaque, avec beaucoup de minutie, à dépeindre les aspects psychologiques de son jeune (anti) héro ; il lui confère une profondeur rarement atteinte au cours des précédentes décennies. L'idée du jouet du destin est parfaitement retranscrite - la souffrance du personnage est à peine atténuée par les traits doux que lui confère le mangaka, par ses rares moments de joie, de rires ou d'insouciance venus adoucir un récit âpre et sans merci.

Pat Garrett est également parfaitement représenté : ambigu, cruel, sombre, opportuniste mais aussi protecteur et agile. Il est l'opposé exact de Billy : là où ce dernier brille par sa jeunesse et sa nature indomptable, Garrett, lui, est un homme vieillissant qui tente de se racheter une conduite, d'intégrer la bonne société. Pour cela, il n'hésite pas à balayer cet Ouest sauvage dont le Kid est l'un des derniers représentants... Le trépas de son ancien protégé est sa clef pour accéder à la civilisation. L'un s'oppose farouchement à toute forme de prison, fut-ce t-elle dorée, ou l'autre accepte de renoncer à sa liberté contre la fortune, le rang, l'alliance matrimoniale. Garrett cherche une certaine légitimité auprès du beau monde mais ne parvient jamais totalement à étouffer totalement cette part de bestialité, de violence, qu'il cherche à enfouir. A sa manière, il échoue dans sa rédemption autant que son Némésis... L'opposition entre les deux anciens alliés devenus ennemis mortels est très bien présentée ; leur développement, qu'ils agissent indépendamment ou en duo, tient une place centrale au sein du scénario.

Autour de Billy et Garrett, on retrouve une foule de rôles secondaires bien définis et vite identifiables : Alexander McSween, Chisum, Dick, Tunstall, Rudabaugh...

La galerie de personnages féminins est également particulièrement étoffée. Dans le monde très viril du western, Rokuda leur accorde une place singulière : la mère-louve Katherine, la protectrice Sally, les prostituées initiatrices de tous les plaisirs, Julia et son comportement de tordue manipulatrice, l'amante-confidente Celsa, le fantasme tout juste évaporé Ruka... Les femmes sont légions autour de Billy, qu'elles soient amies ou ennemies, et toutes ont un rôle à jouer au sein de sa trajectoire. L'auteur ne juge jamais ses protagonistes du beau sexe, dressant des portraits saisissants et complexes, très loin de la dichotomie "sainte ou putain" si souvent relayée dans cet univers.

De même, rarement on aura lu un manga au sens du dialogue si abouti - le verbe et les visuels jouent sur un pied d'égalité, l'un épousant parfaitement l'autre. Le narrateur, personnage omniprésent à l'intrigue, relate les péripéties du Kid avec toute la mélancolie et le lyrisme d'un grand dramaturge. La plume, merveilleusement traduite par Mélissa Millithaler, Alexandre Goy et Quentin Le Corre, dilate le long de ses planches une véritable prose.

Si les suites ne parviennent guère à égaler la maîtrise, la poésie et les sentiments exacerbés du premier tome, l'ensemble se suit avec un intérêt intact. Sur l'aspect purement esthétique, toutefois, les tomes deux et trois s'avèrent d'une beauté renversante.

Visuellement, le mangaka retranscrit des personnages particulièrement expressifs - il s'attarde longuement sur les regards, spécifiquement celui de Billy, dans lequel se dessine une myriade de sentiments sans avoir besoin d'expliciter par les mots.

Le trait, délicieusement rétro, violent et divin, illustre avec maestria une époque sauvage sur le point d'être révolue, étouffée par le carcan de la civilisation. L'Amérique du XIXème siècle est fidèle à sa représentation habituelle : des étendues arides, des forêts impénétrables, des saloons miteux, des fermes à l'écart du monde, des villages animés... Le tout renvoie une impression très authentique, très vivante ; les paysages, les scènes du quotidien, fourmillent de détails.

S'il colle parfaitement à l'image véhiculée par le vieil empire de l'Oncle Sam, Noboru ne néglige pas la grande Histoire et instaure un cadre social captivant - chaque tome insiste sur la corruption, qu'il s'agisse d'une justice peu équitable ou du monopole exercé par des opportunistes aux méthodes peu reluisantes. Une curieuse résonance avec notre époque.

Cette période est décrite sans concession ni idéalisme : l'omniprésence des vendettas sanglantes, les impacts de balles sur les chairs, les coups qui zèbrent la peau, la saleté ambiante, le harassement ressenti par les personnages, les dilemmes moraux, les abus psychologiques... Les viols, tortures et autres mises à mort sont abordés frontalement mais ne tombent jamais la brutalité racoleuse. Chaque scène choc sert le scénario, oeuvre dans un but précis.

Monument où le lyrisme côtoie les monstres, Billy the Kid 21 est une trilogie fascinante, fracassante et harassante sur la légende de William H. Bonney. Un western fiévreux où la folie confine au génie, l'alliance parfaite de l'Ouest Américain et du savoir-faire nippon. Un chef d'oeuvre, tout simplement.

 

~ La Galerie des Citations ~

« Elle est la seule à avoir pris soin de moi. Pour moi, elle est mon dieu, mon monde ! Je suis prêt à tuer. Je perdrai des morceaux de mon âme, s'il le faut... Mais je dois la protéger ! Je ferai savoir au monde que Billy the Kid est là ! »

~ Billy / Tome 1

« La lune était teintée d'une couleur funeste. Le son des sabots résonnait étrangement dans le néant. La brise semblait dire : "Ne viens pas ! Ne viens pas !" Au moment où les contours de Silver Town apparurent à l'horizon... J'ai sincèrement espéré que Billy tombe de cheval. J'aurais voulu prier Dieu de le garder inconscient pendant 100 ans... C'était assez commun, mais le ciel scintillait de millions d'étoiles. Elles le parsemaient comme le sable dans un désert, ne laissant aucun espace vide. Pourtant, malgré leur éclat, il y a des ténèbres qu'elles ne pourront jamais illuminer. »

~ Le narrateur / Tome 1

 

Noboru Rokuda, Trilogie Billy the Kid 21 aux Éditions Black Box. Environ 200 pages et 12€99 par tome.

Article paru en version écourtée dans le Pays Briard le 27.03.2020

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