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L’avis des libraires - 162ème chronique : Roméo & Juliette

L'avis des libraires : 162ème chronique

Roméo & Juliette de Yumiko Igarashi

Quand la créatrice de Candy adapte Shakespeare...

Lors d'un bal costumé donné par les Capulet, Roméo Montaigu, l'héritier d'une maison ennemie, se glisse parmi les invités. Il y fait la rencontre de Juliette, la fille du maître des lieux. Débute une grande histoire d'amour qui s'achèvera dans la tragédie...


Histoire éternelle qu'on ne présente plus, déviée sur de nombreux supports, le couple culte de Shakespeare n'a eu de cesse d'inspirer les artistes du monde entier. Pour cette toute dernière chronique centrée sur les amoureux véronais, direction le Japon.

Balayons tout de suite l'affligeant anime Romeo X Juliet et focalisons-nous sur une adaptation en manga autrement plus flatteuse : le Roméo et Juliette de Yumiko Igarashi, paru chez Isan.

Igarashi est un grand nom de la culture nippone - et pour cause, elle est l'une des figures majeures du shōjo ou "manga à destination des jeunes filles". On lui doit notamment l'héroïne à couettes Candy, issue de la célèbre fresque éponyme inspirée de la littérature américaine, laquelle fut adaptée avec succès pour le petit écran dans les années 70.

Après s'être longuement attardée sur les péripéties de sa blondinette impétueuse, Igarashi a adapté en mangas de nombreuses œuvres cultes - Madame Bovary, Anne et la maison aux pignons verts, Heidi et donc Roméo et Juliette.

Habituée aux personnages juvéniles victimes des aléas du destin, elle était à priori l'artiste idéale pour dessiner les amants maudits, vivotant en pleine (pré)adolescence, subissant des événements tragiques et violents.

Il est vrai que son style délicieusement rétro, ses motifs fleuris et son amour pour les traits angéliques font merveille apposés à l'esprit shakespearien. La légèreté affable de Benvolio, la mélancolie torturée de Roméo sont parfaitement retranscrites. Mais c'est réellement sur Mercutio, farfadet gouailleur et un chouïa belliqueux, fine lame à la langue habile, que la dessinatrice semble s'amuser le plus. Elle s'approprie avec une facilité déconcertante le protagoniste bavard et irrévérencieux de Shakespeare, lui donnant les atours et les mimiques idéaux du jeune noble.

Cette version signée Igarashi est (faut-il encore le préciser ?), merveilleusement belle, dans la pure veine du shōjo. Il est très plaisant de la feuilleter, de s'attarder sur les détails des toilettes, les délires hallucinants de Mercutio, les déambulations nocturnes de Roméo sous le balcon de son aimée...

Côté dialogues, l'artiste a eu l'excellente idée de restituer certaines répliques du Barde d'Avon telles quelles. Bien sûr, elle a souvent été contrainte d'en adapter d'autres - rien qui ne soit outrageux en soit, même si la niaiserie des monologues de notre personnage féminin principal a de quoi laisser circonspect.

Toutefois, cette adaptation pêche par son absence totale de sensualité, de passion... Au point d'ôter tout caractère aux amants - Juliette est d'une fadeur absolue, poupée de porcelaine sans tempérament ; Roméo est cantonné au minet bien sous tout rapport dont la violence contenue ne semble jamais altérée l'apparence séraphique. Leur design parfait, impersonnel, leur retire leur nature ténébreuse. Le manga est pur à l'excès pour ne pas dire prude. Ce parti-pris est clairement revendiqué par l'auteure : « mon vœu lorsque j'ai dessiné cette oeuvre », dit-elle en postface, « était de vous transmettre des émotions, que votre cœur ressente la pureté de l'amour qui unit Roméo et Juliette ». Elle a donc été fidèle à sa propre vision de la pièce, vision que je ne partage malheureusement pas.

On pourrait en débattre des heures mais bien avant de parler d'amour et de grands sentiments, l'histoire est, à mon sens, la découverte du désir, du corps, des pulsions qui frappent sans crier gare. Roméo et Juliette, ce n'est pas l'amour dans sa forme la plus virginale ; c'est la passion égoïste sous son approche la plus exterminatrice. Cette histoire est charnelle par essence, elle respire la sensualité, la promesse des ébats, et ce dès la première rencontre entre les deux jeunes gens. Elle est la cristallisation du désir adolescent, celui qui emporte tout sur son passage et pour lequel ils sont prêts à détruire Vérone - ils sont jeunes, combattifs, indifférents au reste du monde, ce qui en fait des héros beaucoup plus profonds et contemporains que ce que l'on pourrait croire au premier abord !

Si l'approche très chaste vous convient, je ne doute pas que l'interprétation d'Igarashi vous séduise.

De mon côté, je dirais que celle-ci mérite d'être soulignée pour sa forme. En effet, l'ouvrage se distingue par son caractère luxueux : titre en dorure, format relié, couverture rigide, papier qualitatif, marque-page en tissu intégré...

La maison d'édition ne s'est d'ailleurs pas arrêtée à ces embellissements puisqu'elle a également joint au livre la pièce initiale de Shakespeare, et dans son intégralité s'il vous plaît ! Voici une excellente façon de poursuivre cette virée en Italie.

L'objet en lui-même est clairement sublime, à l'image de l'ensemble de la collection Littérature proposée par Isan. C'est un moyen intelligent de proposer aux adolescents (et aux autres !) de découvrir les classiques de la littérature sans les braquer par leur statut de "relique inaccessible et supposément ennuyeuse". Si le cœur leur en dit, ils pourront ainsi, après avoir lu le manga, se pencher sur le texte original. Une volonté éditoriale épatante qu'on ne peut que saluer. Je vous encourage d'ailleurs pour ma part à jeter un œil sur Le fantôme de l'Opéra vu par Harumo Sanazaki, toujours chez Isan qui est pour l'heure mon favori de la série.


Voilà, chers lecteurs. Ainsi se finit

ce mois dédié aux amants maudits.

Roméo et Juliette s'en retournent dans leur caveau

Et les livres sont désormais clos.

Vous qui avez daigné m'écouter patiemment, j'espère que mon zèle a remédié à ce qui s'est trouvé insuffisant.

Pour ma part je me languis de quitter la belle Vérone

et de varier de registre - enfin, l'heure du changement sonne !

En vous souhaitant de merveilleuses lectures,

votre libraire vous salue et vous dit : "à la revoyure !"

 

Yumiko Igarashi, Roméo & Juliette aux Éditions Isan Manga. 448 pages. 27€.

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