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L’avis des libraires - 159ème chronique : Roméo sans Juliette

L'avis des libraires : 159ème chronique

Roméo sans Juliette de Jean-Paul Nozière

Les passions adolescentes comme remède à l’extrémisme

A la disparition de sa mère, Roméo se retrouve seul avec son père Serge, un homme à la carrière ratée, devenu aigri et extrémiste, qui pousse son fils à emprunter le même chemin...

Brillante et déterminée, Juliette, leur voisine, fréquente Roméo depuis leur plus tendre enfance. Leurs prénoms sont une évidence, un signe : ils sont voués à être ensemble.

Mais les choix idéologiques de Roméo, ses mauvaises fréquentations, ses décisions désastreuses, la vie qu'il se construit, l’éloignent toujours un peu plus de Juliette. Jusqu'à l'irréparable.


J'ai découvert Jean-Paul Nozière à l'âge idéal - à l'adolescence, époque où les jeunes héros torturés et déphasés de l'auteur trouvaient un écho singulier en moi. Comme beaucoup d'autres lycéens, j'avais adoré Un été algérien et sa suite spirituelle, Le ville de Marseille. Si je n'ai jamais eu l'occasion de me pencher à nouveau sur sa bibliographie, c'est désormais chose faite. Quoi de plus naturel, en effet, que de débuter mon mois consacré aux amants maudits de Shakespeare par la plume de Nozière ? L'ouvrage commence par un avertissement : Des mots, des expressions, des situations viennent de la réalité, relatée par la presse ou entendue dans les tribunaux. Le ton est posé. Comme pour ses précédents romans, Roméo sans Juliette s'ancre dans une réalité dépourvue de fioriture, le quotidien est dépeint sans concession, le style est cru, dépouillé. Les mots, choisis avec une précision chirurgicale, sont aussi rudement assénés que des coups. Les coups, dans les ouvrages de Nozière, sont aussi physiques que verbaux - les deux font mal.

Chapitre après chapitre, l'écrivain suit le cheminement de ce couple fusionnel, de la fin de la primaire à l'année qui succède au bac. Les ans défilent, les deux jeunes gens sont séparés par l'engrenage dévastateur dans lequel Roméo est tombé, poussé par son père, puis incapable de s'extirper du mécanisme malfaisant dont il est maintenant captif. Car Roméo et Juliette est avant tout une histoire de passion, brisée par une aversion absurde ; Roméo sans Juliette parle également d'amour et de haine, quel que soit le visage dont cette dernière se pare - sous sa forme la plus stupide (le racisme), la plus ridicule (l'homophobie), la plus amère (celle de la rancœur), la plus triste (celle des regrets)...

Le récit, sans manichéisme, gagne en intensité par l'alternance de points de vue entre Roméo et Juliette. C'est par leur regard qu'on découvre l'histoire et - hormis son discours farouchement tolérant - l'écrivain s'abstient de tout jugement.

On soulignera d'ailleurs l'intelligence du romancier qui donne à son narrateur masculin principal une véritable profondeur, loin du stéréotype de la petite frappe influençable. La métamorphose physique et psychologique de Roméo est très bien amenée, elle appuie, petit à petit, l'emprise exercée par des skinheads radicaux sur lui. De même, son héroïne n'est pas la fille de bonne famille aisée et lisse qu'elle semble être à première vue - elle reste une adolescente avec ses failles et ses défauts, s'avère obnubilée par ses études et sa réussite professionnelle ; elle souffre par ailleurs de l'ambition démesurée que sa mère fait peser sur ses épaules. On sous-entend beaucoup le mal-être de Juliette, une douleur dont cette dernière n'a probablement même pas conscience, dont des troubles alimentaires plus ou moins présents en filigrane (fierté de la minceur, comparaison aux magazines, nourriture souvent négligée etc.) Léopold, son grand frère, est également un excellent personnage secondaire : il fait souvent office de guide pour Juliette qu'il encourage à être moins égocentrique et pour Roméo qu'il tente de remettre sur le droit chemin. Il reste pourtant, lui aussi, très humain, en dépit de son statut de mentor, jonglant entre son acceptation sexuelle, son opposition avec sa mère, ses convictions, ses cours et les déboires propres à son statut de jeune adulte.

Nozière ne cherche jamais à disculper les actes de ces adolescents - en revanche, il explore à merveille les souffrances de leur quotidien et la violence d'une séparation provoquée par les différences d'éducation et de classe sociale, par l'opposition des aspirations professionnelles, par le fardeau d'un entourage toxique. Les adultes ne sont pas épargnés, qu'il s'agisse de Serge ou de Brigitte, la mère de Léo et Juliette, chacun étant à sa manière responsable : Serge initie Roméo à ses pensées xénophobes, le poussant entre les griffes d'un groupuscule dont il ne comprend que trop tardivement l'emprise ; Brigitte exerce une forte pression sur sa fille et l'éloigne de Roméo non par peur pour elle mais par crainte qu'il ne nuise à sa réussite scolaire - elle la pousse à se désintéresser de tout ce qui n'est pas lié de près ou de loin à ses études et fait preuve d'une passivité qui nuira aussi sûrement aux jeunes amoureux que le comportement abject de Serge...

Quant au dénouement, il est parfait : ni mélo tire-larmes ni happy-end forcé, la conclusion offre une fragile lueur d'espoir que chacun interprétera comme il le souhaite.

Avec sa galerie de protagonistes aussi attachants que complexes, Roméo sans Juliette est un virulent pamphlet contre l'intolérance, doublé d'une mise en garde cinglante pour ces jeunes laissés à l'abandon, proies favorites des mouvements extrémistes. Une réussite.

 

~ La Galerie des Citations ~


« Roméo et Juliette ça sonnait bien. Finalement, vous serez une fois de plus la démonstration que les mots des livres sont de l'escroquerie. »

~ p 111 / Serge, le père de Roméo, confronte Juliette

 

« Sa main était une ancre arrimant Roméo à la vie qu'il sentait battre sous ma peau. »

~ p 207 / Juliette

 

« La beauté de Juliette m'impressionne. J'ai oublié, durant ces derniers mois, à quel point elle est belle. J'ai voulu l'oublier.

Roméo et Juliette.

Associer les deux prénoms, après nos récits, devient sinistre. Roméo sans Juliette. »

~ p 241-242 / Roméo

 

Jean-Paul Nozière​, Roméo sans Juliette aux Éditions Thierry Magnier. 264 pages. 14€50. Dès 13 ans.

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