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L’avis des libraires - 157ème chronique : Focus sur Claudine Desmarteau

L'avis des libraires : 157ème chronique

Focus sur Claudine Desmarteau

Teenage Disappointment...

Teen Song nous projette dans le carnet d'une adolescente en révolte contre son entourage et son univers, dont les réflexions croisent le parcours d'un groupe de rock emblématique : Led Zeppelin.

Troubles, de son côté, revient sur le tandem inséparable formé par Camille et Fred - une relation fusionnelle qui devra survivre à une succession d'événements tragiques, propulsant les deux jeunes gens au bord de l'abîme...


Bénéficiant d'une certaine notoriété au sein de la littérature jeunesse, Claudine Desmarteau est surtout connue pour sa saga à destination des enfants Le petit Gus. Cependant, la romancière-illustratrice est également à l'origine de plusieurs ouvrages Young Adult. Etant totalement ignorante de son œuvre, c'est par le plus grand des hasards que je me suis retrouvée avec Troubles entre les mains. Oui, je sais, il ne faut pas juger un livre à sa couverture mais je dois confesser que c'est la seule et unique raison pour laquelle je me suis emparée de ce petit ouvrage d'à peine 200 pages : cette photo de Bjorn Andresen, hypnotique Tadzio de La Mort à Venise et figure ultime de l'adolescence mortellement séduisante, s'affichant derrière les lettres rouge sang en un effet coup de poing du plus beau rendu. Il ne m'en a pas fallu plus pour m'intriguer et me pousser, dans la foulée, à me procurer également Teen Song.


La première chose qui frappe à la lecture de ce dernier, c'est à quel point l'adolescence évolue vite, à quel point cet âge est synonyme d'une période insatiable où les modes et les codes ont tôt fait d'être obsolètes. Les habitudes de la narratrice, dans Teen Song, n'ont déjà plus grand chose à voir avec la routine des ados d'aujourd'hui. L'ouvrage est sorti en 2009, il n'y avait en guise de réseaux sociaux que MSN ; les téléphones n'étaient pourvus ni de Snapchat ni de Spotify, pas plus que de Netflix ou Instagram [Note à moi-même : j'espère me relire d'ici dix ans et me rendre compte qu'une fois encore, ces applications relevaient d'une mode et non d'une transformation en profondeur de notre consommation et de notre image surexposée]...

Si la forme semble donc relativement désuète, le fond, lui, montre que, génération après génération, rien ne change vraiment : on se pique de politique, on débat sur ce qui est bon ou non d'un point de vue culturel, on se questionne sur son futur, on connaît les premiers émois et les premiers ébats, on subit de délicats changements corporels, on cherche à s'émanciper du moule ou au contraire à ne surtout pas se distinguer par crainte d'exclusion sociale, on se rebelle contre le cadre familial, la scolarité, la bien-pensance... Bref : les tribulations courantes, l'initiation à la vie d'un ado, toujours autant d'actualité.

En cela, le roman reste dans l'air du temps mais il vaut surtout pour le choix de sa narration : un carnet truffé de dessins (humoristiques ou non) en phase avec les émotions de notre héroïne et cette superbe analyse de Led Zeppelin à travers les yeux d'une adolescente insolente mais attachante, qui trouve dans la musique une véritable expression de ses sentiments. Les choix musicaux de la jeune fille, qui naviguent entre sa passion du groupe, Gainsbourg, les Stones, les Beatles ou Bowie, laissent en tête un medley détonant de ces grands génies, remémorent le vide laissé par la disparition de la plupart.

Teen Song est une chronique de vie sympathique, sans faux-semblant, aigre-douce, irrésistiblement mélomane, résolument électrique qui se découvre avec une playlist de circonstance dans les oreilles. Il reste toutefois moins mémorable que Troubles, lequel aborde l'adolescence sous un angle beaucoup plus abrupt et pessimiste, plus poétique aussi.


Ici, la plume se veut plus lyrique, creusant l'écart entre la banalité des éléments racontés, l’âpreté des drames quotidiens et la souveraineté des mots. Troubles est relaté par Camille, protagoniste ô combien troublant dont on peine à distinguer la nature – le prénom est épicène, les choix grammaticaux ne permettent jamais d’identifier clairement un genre, le désir semble affluer par moments pour les garçons comme les filles, le discours tenu est mixte… Camille, fascinante entité narratrice, sombre, souvent mélancolique, au style percutant, qui se mêle aux autres plus par habitude ou par amitié pour Fred que par réelle envie d’intégrer la foule lycéenne. Camille vivote, boit, fume, réfléchit beaucoup – traîne un regard désabusé sur le monde, sur la jungle lycéenne où les rumeurs sont poisons et les moqueries, légions. Reste dans le cadre pour se fondre dans la masse, sans jamais y parvenir tout à fait. Trop perspicace, trop artiste, déjà. Et lorsque le besoin de respirer à nouveau se fait sentir, de s’abriter contre le monde, les parents, le système éducatif, le salut vient des salles obscures : l'ouvrage est éminemment cinéphile, dresse une galerie de longs-métrages quasi-parfaite, entre Wong Kar-wai, Xavier Dolan, Jean-Jacques Annaud, Francis Ford Coppola, David Lynch, Ang Lee ou encore Stephen Frears. Dans les discours et les débats de l’adolescent(e), on voit encore l’immuable dualité prendre forme, entre Eros et Tanathos, l’Amour et la Mort. La faucheuse rôde autour des ados écorchés vifs de Troubles, on sent sa présence néfaste frôlée le petit groupe, présage funeste qui hante la trame. Rien n’est simple, ni l’affection farouche, ni le deuil, encore moins le désir. Ici, la tentation est dévorante, omniprésente dans le choix des films découverts par Camille, dans ses discussions avec Fred ; elle est d'ailleurs assimilée par deux fois à l’ours, une métaphore qui figurera dans le prologue comme l’épilogue. La boucle est bouclée. Le roman est étrangement contemplatif, planant, entre les effluves de weed et les relents de bière. On s'invite entre ses courts chapitres comme à une rave party à laquelle on a été convié sans trop savoir par qui et pourquoi. Comme plusieurs signaux d’alarme, le sang s’invite souvent à la fête. Jusqu’au dénouement, lequel explose en une déflagration violente, inattendu et terrible, laissant coi face à la brutalité de la scène décrite. Troubles est une plongée bouleversante au sein d’une adolescence perdue, en mal de repères, désabusée, en combat permanent contre les limites, qui fraye avec le danger sans en percevoir l’aura funèbre. Court roman coup de poing qui traite de harcèlement, de mal-être, de famille et d’amitié, de tous ces troubles qui s’invitent dans une cour du bahut et qui font mal, sans que l’on n’ait vu poindre leur commencement. Tragique et terriblement réaliste, une mise en garde qui se passe de moralisation.


Si Troubles semble plus abouti que Teen Song, plus grave et plus actuel, les deux ouvrages se dévorent d'une traite, profondément addictifs et justes. Ils soulignent également à merveille combien l'Art peut être un exutoire, bénéfique, au quotidien – la musique dans un cas, le cinéma dans l’autre. Claudine Desmarteau est une prodigieuse conteuse sur cette période de transition, souvent douloureuse mais terriblement enrichissante : elle appose aux maux des ados des mots à l’authenticité bluffante et évoque l’apprentissage de la vie passé au vitriol, sans concession ni mélo. Magistrale et fracassante romancière.

 

« Ouais c'est ça je vais devenir sourde. Mais pas BOUCHÉE. Je les trouve bouchés, mes parents. Ils bossent et regardent la télé. Ils lisent pas, ils vont pas au cinéma, ils écoutent pas de musique. Ils râlent. Et ils vieillissent.

Si c'est pas un avenir bouché, ça... »

~ p 14 / Teen Song

 

« On est allés au cinéma voir La Belle Personne. En fait je peux pas vraiment dire ce que j'en pense parce que j'ai pas vu grand-chose. Mais j'ai l'impression que j'ai pas raté grand-chose non plus. Je trouve que ça sonne faux, comme film. J'y crois pas une seconde au beau prof sexy joué par Louis Garrel. J'ai jamais eu de prof qui ressemblait à Louis Garrel. Par contre ma prof de maths, c'est le clone de Michèle Alliot-Marie »

~ p 103-104 / Teen Song

 

« Je ne sais pas vraiment si j'ai besoin de croire en Dieu. Un jour j'y crois et le lendemain plus du tout. Tout ce que je sais, c'est que j'ai besoin de musique pour vivre. Je m'en fous, de savoir si elle a été inspirée par Dieu ou son collègue Satan. [...]

J'ai appris plein de choses intéressantes sur ce groupe que j'adore. Des trucs drôles, tristes, fascinants, inquiétants, pas très reluisants, parfois. Mais ça fait partie de leur histoire. Jimmy et les autres, c'est pas des dieux. Pas des diables non plus. Juste des hommes mortels qui ont tout donné à leur passion. Je me dis que cette passion dans leur musique, c'est une sorte de foi. Et qu'on peut avoir foi en quelque chose qui n'est ni Dieu ni Satan. »

~ p 185-186 / Teen Song

 

« Elle court elle court, la rumeur. Relayée à la vitesse de l'éclair par radio ragots. Inutile de ramer comme un malade à contre-courant. Les efforts entrepris pour éteindre le feu de la rumeur sont interprétés comme autant de signes suspects. La rumeur est un ballon de baudruche. Tout le monde souffle dedans. Chacun y injecte ses miasmes et ses aigreurs. Elle enfle, elle explose ou se dégonfle. Elle est incontrôlable. Elle a des émissaires. J'en connais quelques-uns, quelques-unes. Je les évite comme la peste. »

~ p 74 / Troubles

 

« Les films de Lynch sont comme des rêves. Il est perché, ce réalisateur. On dirait qu'il s'éclate à jouer avec notre cerveau. Pendant qu'on s'échine à raisonner de manière logique, ses images touchent des zones reculées de notre matière grise pour y laisser une empreinte tenace, une impression très troublante de malaise. Le mystère Lynch est opaque et il ne faut pas compter sur lui pour nous filer les clés. »

~ p 108 / Troubles

 

« C'est un bonbon à l'arsenic, Les liaisons dangereuses. »

~ p 142 / Troubles

 

« Il n'y a rien que j'aime plus que d'être dans une salle de cinéma, dans le noir, à l'abri du monde. J'ai le sentiment que là, il ne peut rien m'arriver. Que je vais me nourrir par les yeux. Oublier le moche. Apprendre. Sans juger, sans rien risquer. »

~ p 169 / Troubles

 

Claudine Desmarteau, aux Editions Albin Michel :

*Teen Song. 190 pages. 12€50.

*Troubles. 192 pages. 12€. A partir de 15 ans.

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