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L’avis des libraires - 156ème chronique : Loin

L’avis des Libraires : 156ème chronique

Loin d'Alexis Michalik

Roman d'histoires et d'Histoire

Lorsqu'Antoine découvre une carte postale signée par son père, disparu deux décennies plus tôt, il ne peut s'empêcher d'y voir un signe : faisant fi de son naturel pragmatique et de la routine où il végète depuis quelques années, le jeune homme part sur les traces paternelles accompagné de sa cadette, Anna, et de son meilleur ami, Laurent.

Ce qui ne devait être qu'une courte excursion européenne les emmènera beaucoup plus loin qu'ils ne l'avaient prévu...


Au fil de cette dernière décennie, Alexis Michalik s'est imposé comme l'une des figures majeures de la scène culturelle française, initiant un nouveau souffle, une certaine modernité, se démarquant en sa qualité d'artiste exigeant et populaire, sans élitisme. Il concrétise ce coup de maître avec Edmond, pièce à l'impact incroyable qu'il a lui-même magistralement transposée en film l'année passée. Michalik endosse tous les rôles avec l'adresse d'un caméléon multi-tâches : dramaturge émérite, acteur talentueux, réalisateur congratulé... Et, tout récemment donc, romancier en herbes.

Loin, son premier roman, est une fresque de 600 pages narrant les péripéties d'un trio un poil dysfonctionnel, parti en vadrouilles autour du globe en quête du père promis. Trois jeunes gens aux tempéraments radicalement différents : le trop sage et trop lisse Antoine, sans passion ni rêve ; la révoltée Anna qui s'acharne à brûler la vie par les deux bouts ; l'aventurier Laurent, apprenti journaliste parti à la découverte du monde par crainte d'affronter son passé et son identité. Ce long périple leur permettra de se redécouvrir, de se recentrer sur leurs envies, leurs rêves, leurs passions, leurs objectifs ; il transformera chacun en profondeur, tout comme le lecteur évoluera à leur rythme, de chapitre en chapitre, de pays en pays.

Les personnages sont très attachants parce qu'ils sont tout à la fois imparfaits, humains et authentiques. A ce titre, ils s'avèrent souvent agaçants, lassants ou injustes envers les autres, sans que l'affection qu'on leur porte n'en soit entachée. On aime ces (anti)héros voyageurs comme on porte dans son cœur ses amis, avec leurs qualités, leurs défauts et la singularité de leur caractère. On prend plaisir à voir Antoine, Anna et Laurent se métamorphoser en fil de leur périple, remettre en question leur quotidien - et nous avec. On les aime parce qu'ils nous contraignent à nous interroger, à réfléchir. La manœuvre est habile et le résultat est là : difficile d'être hermétique à ce trio, ses moments de grâce et ses fêlures, de la relation frère-sœur complexe qui unit Antoine et Anna, à la bromance fusionnelle des deux hommes et enfin, à l'opposition teintée de séduction qui irradie dès les premières pages entre la jeune femme et le reporter. Et puis, autour d'eux, il y a cette galerie impressionnante d'êtres aux antipodes, croisés au hasard des rencontres, n'apparaissant souvent que quelques pages mais laissant un souvenir indélébile.

Evidemment, les personnalités fouillées des personnages bénéficient de la plume, toujours aussi éloquente, de Michalik. Car oui, si l'écriture d'une pièce ou d'un scénario s'éloigne de la rédaction d'un roman, force est de constater que le dramaturge excelle tout autant qu'à son habitude. Le style est fuselé, limpide, brillant, jamais avare en bons mots. Il est aussi sensoriel et immersif, ce qui rend ce tour du monde d'autant plus mémorable.

Loin est non seulement un récit initiatique fort mais aussi une véritable réflexion sur les relations avec autrui, la quête identitaire, les racines, le sens du voyage... Pour présenter ses idées savamment distillées, il choisit comme écrin un formidable roman d'aventures, chargé d'Histoire et de péripéties. L'histoire intime de nos protagonistes rejoint la grande Histoire - souvent peu glorieuse, douloureuse, amère, celle qui véhicule frustrations et souffrances, que nos manuels ne narrent pas ou éclipsent sciemment. Un périple à travers les décennies passées pour revenir à une quête contemporaine et toujours furieusement d'actualités : celle de soi. Le livre encourage tant à s'intéresser à son héritage familial et les conséquences qui l'accompagnent, qu'à se distancier de ses gênes. Nous ne sommes pas nos aïeuls mais des êtres à part entière, définis par nos choix, nos expériences, nos affinités. Loin parle certes du passé mais se tourne résolument vers l'avenir.

Au-delà des thèmes brassés ci-dessus, c'est aussi un cri contre la routine, les carcans imposés, la monotonie, l'absence de prises de risques. Pas étonnant, donc, que la dernière question assénée par Michalik soit la suivante : « Comment avoir l'audace de prétendre être en vie si l'on vit sans oser ? »

Pour autant - et en dépit de toutes les qualités énumérées ci-dessus - il reste un problème majeur dans cette oeuvre : la résolution de l'intrigue paraît précipitée, pour ne pas dire bâclée. Comme si le dénouement n'était pas un aboutissement en soi, que leur parcours prévalait sur la fin, que l'auteur avait mis tout son génie dans les 500 premières pages pour nous abandonner en cours de route... En découle une conclusion frustrante qui survint beaucoup trop abruptement pour convaincre.

En définitive, ce roman dense et riche, s'il reste mineur dans la carrière de Michalik, inaugure le meilleur quant à la suite de sa carrière d'auteur - dans les librairies ou sur les planches.

 

« Pourquoi le voyage ?

C'est une question, comme toutes les questions, à la fois particulière et générale, individuelle et absolue, universelle et quotidienne. [...] J'avance, tout de go, ma théorie personnelle : le voyage est une fuite en avant. L'homme a fui un territoire dans l'espérance de cieux plus cléments ailleurs, l'homme a fui certains mammouths trop agressifs, certaines tribus trop belliqueuses, certaines femmes trop pressantes, que sais-je ?

L'homme, lâche par définition, a conquis le monde par accident. »

~ Laurent

« Deux diables ensemble font un trop grand tapage, deux anges s'ennuient, mais un ange et un diable ont une source inépuisable de dialogue. »

~ Laurent évoque son amitié avec Antoine

« Personne n'aime les héros, Antoine. Ils nous renvoient à notre propre lâcheté. Qu'un seul marche et on le laissera mourir. »

~ Laurent

« Puis, l'idée la plus absurde qu'il ait jamais eue lui traversa l'esprit. Mais comme la plupart des idées absurdes, elle était également poétique et sublime. »

~ Sergueï

« Il avait alors compris qu'aucun peuple n'est entièrement mauvais, et aucun homme entièrement perdu. »

~ Abbas

 

Loin d'Alexis Michalik, paru aux Éditions Albin Michel, 656 pages, 22€90.


Article paru en version abrégée dans le Pays Briard le 14.01.2020

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