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L’avis des libraires - 136ème chronique : Le châtiment des flèches

L’avis des libraires : 136ème chronique

Le châtiment des flèches de Fabien Clavel

L'Histoire magyare par le prisme de la Fantasy

Petit avant-propos

(N'hésitez pas à le passer pour accéder à la chronique)

Avant d’entamer cette chronique, il me semblait intéressant de vous dire comment Le châtiment des flèches s’est frayé un chemin dans ma pile à lire...

Intéressant puisqu’il s’agit d’une occasion inespérée (si ce n’est la seule) d’évoquer avec vous l’opéra-rock István, a király. Signée Levente Szörényi, János Bródy et Miklós Boldizsárpar, cette production majeure de la culture hongroise, créée dans les années 80, connaît un immense succès. Au fil du temps, elle n’a cessé d’évoluer et de se moderniser, restant toujours d’actualité, renouvelant perpétuellement l’engouement autour d’elle. Son aura est ainsi restée intacte à travers les décennies – pour preuve, en 2019, elle est toujours à l’affiche du célèbre Budapesti Operettszínház avec, dans les rôles titres, Kocsis Dénes et Dolhai Attila.

Le musical raconte l’opposition entre István et Koppány, l’avènement du roi et l’évangélisation des magyares : le contraste entre les cousins est souligné par leurs différents styles musicaux (István s’illustre sur des morceaux pop, Koppány via du rock) mais également par leurs différences vestimentaires – du blanc immaculé et des costumes sages pour le jeune chrétien et ses disciples ; du noir et du cuir ouvert sur une peau huilée pour les païens.

Je suis extrêmement admirative du travail effectué sur cet opéra-rock et je me prends parfois à fredonner certaines musiques, notamment Szállj fel szabad madár, l’hymne de révolte lancé par Koppány à ses partisans.

Si vous avez l’occasion de voir le spectacle à Budapest ou de l’écouter tout simplement, n’hésitez pas, il vaut largement qu’on s’y intéresse.

Pour ma part, en 2015, j’étais tombée éperdument amoureuse de cette œuvre et j’ai aussitôt débuté des recherches à son sujet, espérant en apprendre davantage.

Cela étant, j’ai vite déchanté : rares sont les textes à se pencher sur István, a király dans nos contrées. Par chez nous, très peu sont de toute façon consacrés à ce roi, à l’Histoire magyare ou à la Hongrie d’une façon générale.

Pourtant, malgré le manque d’informations abyssal qui entoure cette culture en France, j’ai eu la surprise de constater que l’un de mes concitoyens s’était également pris d’une affection toute particulière pour ce musical et ses thématiques historiques. Il avait, de surcroît, trouvé l’inspiration parfaite pour un roman de fantasy atypique. Voici donc comment a débuté ma découverte du Châtiment des flèches

 

Dans une Hongrie médiévale magique et sauvage, le roi István s’oppose aux tribus païennes, notamment celle de son cousin, le Duc Koppány.

Le jeune monarque entend, avec l’appui du Vatican, unir son pays et convertir ses sujets à une unique religion. Mais la puszta continue de lui résister : cette lande étrange, au cœur du royaume magyare, appartient aux esprits ancestraux et aux chamanes dont les pouvoirs semblent illimités....


Féru de fantasy, créateur prolifique à l’univers sombre et dense, Fabien Clavel a choisi, pour Le Châtiment des flèches, un cadre des plus surprenants. Ainsi, le romancier français nous emporte sur les terres hongroises de l’an mil alors écartelées entre l'ambition d’évangélisation du jeune souverain István et la volonté d’indépendance des tribus païennes, représentées par le charismatique Koppány.

La fantasy historique est un exercice délicat, souvent confus – à notre Histoire complexe s’ajoutent des éléments merveilleux, lesquels devront parfaitement s’imbriquer dans une réalité révolue. Si le genre est méconnu, il a eu par le passé quelques jolis succès, notamment les sagas Téméraire de Naomi Novik et Le Talisman de Nergal d’Hervé Gagnon. Si l’on peut émettre quelques réserves, nul doute que l’ouvrage de Clavel penche davantage du côté de la réussite que de l’échec !

Premier défi relevé et non des moindres : retranscrire la culture de l’époque, les enjeux d’un siècle, les conflits internes, moraux, politiques, sociaux et religieux… Mais, surtout, établir la rupture d’un peuple, entre les rebelles dévoués aux anciens cultes et les magyares fraîchement convertis. Peu de pays peuvent se targuer de s’être érigés dans la paix et le royaume des Árpád ne fait guère exception : pourtant, l’auteur parvient à rendre leur Histoire nébuleuse particulièrement limpide. Le roman se veut accessible à tous, néophytes compris, et il y arrive fort bien. Les personnages et leurs motivations sont clairement établis, de même que leurs parcours. Par leur intermédiaire, on suit ainsi l’évolution du pays, sur une période s’étendant du couronnement d’István à la fin de son règne.

Pour ce qui est de la dimension imaginaire, Clavel a trouvé la parade idéale : miser sur le folklore religieux et la mythologie magyare, l’un affrontant l’autre. Sont ainsi évoqués des oiseaux fabuleux, des chamanes vengeresses, des spectres meurtriers, des reliques saintes à la puissance inestimable, une couronne aux aptitudes protectrices… Ces éléments légendaires s’incorporent de façon tout à fait convaincante à la trame. Ainsi, l’aspect magique n’est-il pas en reste dans cette intrigue soigneusement documentée.

Si le récit s’avère si immersif, c’est surtout par l’amour que voue l’écrivain à la Hongrie : une véritable tendresse émane de son écriture pour ces contrées sauvages et rudes, magnifiques et indociles. Il partage avec son duo principal, István et Koppány, la passion de la puszta. Cette lande, véritable terre sacrée, est au cœur du récit. Sa vision, exprimée par le chef dissident, est d’ailleurs l’une des plus belles descriptions qu’il nous ait été donnée de lire – d’une manière générale, soulignons que Clavel excelle particulièrement lorsqu’il s’agit de brosser la beauté des paysages ou le carnage des combats.

Car oui, malgré une certaine poésie, Le Châtiments des flèches reste avant tout une grande fresque cruelle et belliqueuse. Très violent, barbare et pessimiste, le livre retrace la fin d’un monde, la naissance d’une nouvelle ère, la fusion incertaine entre le passé et le présent. L’auteur l’affirme dans sa postface : il voit dans la Hongrie contemporaine la contradiction d’un pays jadis scindé entre les aspirations opposées d’István et de Koppány, jamais réellement remis de cette sombre guerre. Clavel évite la facilité, réfutant tout fanatisme au jeune roi, insufflant au duc rebelle davantage de personnalité que celle d’un arriéré mal dégrossi. Sa grande force est de ne jamais prendre parti entre les chrétiens et les païens. Il ne condamne pas, ne juge pas le parcours de ces ennemis unis par le sang mais séparés par leurs convictions. Cette absence de manichéisme est rafraîchissante – d’autant plus qu’elle fait défaut à de nombreux classiques de la fantasy.

Autour de ces figures majeures, on trouve des personnages fictifs captivants et ambigus : la sorcière Duna, progéniture maudite de Koppány, et l’archer Farkas, nomade solitaire et taciturne, réputé pour ne jamais manquer sa cible. Ces deux protagonistes, libérés de toute authenticité historique, sont les plus passionnants à suivre... Ce qui n’est hélas pas le cas d’István.

En effet, c’est là un point négatif majeur : Clavel peine à se distancer du caractère mythique du roi et à lui insuffler suffisamment d’épaisseur pour en faire autre chose qu’une figure sainte. C’est d’autant plus regrettable que, sur d’autres personnages tels que Gisela, Sarolta et surtout Koppány, il parvient à prendre le recul nécessaire à toute fiction. Peine perdue, István, malgré son rôle prépondérant, ne parvient jamais à être attachant ou intéressant. Enfin, si la première partie s’avère passionnante, la seconde riche en répercussions dramatiques, la troisième est plus laborieuse : elle accuse un certain manque de rythme et d’intérêt, privée de certains personnages emblématiques, et parvient péniblement à offrir un dénouement satisfaisant.

S’il accuse un certain manque de souffle dans sa conclusion, Le Châtiment des flèches est sans aucun doute une merveilleuse invitation à découvrir l’Histoire et la culture hongroise. Fabien Clavel nous offre ici une chevauchée mémorable dans les steppes magyares qu’il serait mal avisé de refuser.

 

~ La Galerie des Citations ~


« [Il] l'avait aimée comme on aime le feu ; on admire ses flammes, on vient s'y réchauffer mais on n'y met pas la main de peur de se brûler. »

~ Géza sur son épouse Sarolta

« Un fils qui regarde mourir son père assiste en réalité à deux évènements distincts.

D'abord, il voit la disparition de l'homme qui l'a porté entre ses bras puissants dans sa petite enfance, qui l'a soulevé quand son corps de nourrisson pesait moins qu'une plume, celui dont la voix sévère le faisait trembler quand elle tonnait, en colère, et sourire quand elle devenait chaude et rassurante. Il surprend la fin d'une force qu'il croyait éternelle, la chute d'un géant, la retraite d'un héros.

Ensuite, le fils contemple sa propre mort. Il distingue, dans les traits fatigués de son père, l'homme qu'il deviendra et qui mourra quand le temps sera venu. Déjà il se prépare à n'être plus rien. »

~István prend la pleine mesure de son deuil

« Il existe, dans la langue magyare, une expression : faarc, face de bois. Elle désigne un homme qui masque totalement ses émotions et sait rester parfaitement impassible en toute circonstance. Il semblerait que ce terme avait été forgé pour Koppány. On ne pouvait rien lire, rien deviner sur ses traits absents, comme effacés. »

~ première confrontation entre István et Koppány

« Lorsqu'on déclare qu'il n'y a qu'un seul dieu, on a vite fait d'affirmer qu'il n'y a qu'un seul maître. »

~ Koppány

« Le soleil cognait si fort que le paysage en devenait blanc. Le fleuve lui-même s'était transformé en une myriade de reflets scintillants, un lit de diamants. A l'endroit où le Garam se jetait dans la Duna, des tourbillons d'étincelles moirées se perdaient en infinis méandres, comme si toute la lumière avait été rassemblée là : une rivière de feu pâle. »

« Pendant tout le temps où l'homme regarda la femme, la femme regarda l'homme. Il y avait entre eux une sorte de connivence de la steppe, mélange de parfums, d'attitudes, de coloration de la peau sous le soleil et des iris délavés, quelque chose de rêche et sec en apparence. La puszta modelait les âmes et les corps, les transformant à jamais. Elle imprimait sur eux une marque indélébile que les initiés remarquaient au premier coup d’œil.

Ces deux êtres se reconnurent. »

~ Farkas se confronte à Sarolta

« [...] il ne comprenait pas la haine dont les prédicateurs chrétiens poursuivaient les corps, en particuliers féminins. Devant leur courbes délicieuses, ils ne voyaient que des tas de vers, des sacs d'excréments. Ils haïssaient la vie et glorifiaient la mort. Dans leurs bouches, le désir devenait luxure, la nourriture devenait débauche, la pensée même se faisait péché. On aurait dit des esprits maléfiques détruisant tout ce qu'ils touchaient. »

~ Koppány

« Ce pays était beau, toujours changeant et pourtant éternel. A peine croyait-on connaître une saison que la suivante arrivait dans une parure nouvelle, étonnante. La Plaine était une femme aux tenues extravagantes et qui faisait tourner sans cesse la tête aux hommes. Pour les séduire, elle ne se laissait jamais saisir complètement, on l'admirait de loin, amoureux et fier, irrité mais ravi. Koppány songeait à ces hommes qui vivent auprès d'une femme et sont trop orgueilleux pour voir clair en leur cœur. Ce n'est que trop tard, quand tout est fini, qu'ils comprennent qu'ils ont aimé et il ne reste plus pour eux qu'un amer regret. Il avait aimé la Grande Plaine et la Transdanubie, mais il les avait négligées.

Dans son esprit, ses quatre femmes prenaient les couleurs des saisons. Duna figurait le printemps et ses promesses de bonheur, les bourgeons à venir et si vite en allés. Bolgárka avait le rayonnement de l'été, Enikő la fougue tempétueuse de l'automne. Quant à Picur, c'était la froide morsure de l'hiver, et la terre préparant sa germination prochaine. »

~ Koppány affronte ses souvenirs et ceux des femmes qui ont partagées sa vie

 

Fabien Clavel, Le châtiment des flèches aux Éditions Pygmalion : 377 pages, 19€90. Existe aussi au format poche aux Éditions J'ai Lu : 443 pages, 8€20

Article paru dans le Pays Briard le 23.07.2019

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