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L’avis des libraires - 131ème chronique : Ce que murmure la mer

L’avis des Libraires : 131ème chronique

Ce que murmure la mer de Claire Carabas

La triste sirène

Toutes les sirènes le savent : s'éprendre d'un humain est proscrit. Pourtant, lorsque la route de notre princesse des abysses croise celle d’Yvon, un solitaire passionné, elle se sait condamnée à l'aimer. Le jeune homme disputant une course autour du globe, l'occasion est trop belle : la sirène décide de suivre son navire et, au fil de la traversée, noue avec lui un lien indescriptible... Mais que se passera-t-il lorsque la course touchera à sa fin ?


De tout temps, la mer, sa beauté, ses mystères et son indicible cruauté ont fasciné les Hommes. Elle a fait coulé beaucoup d'encre, cette divine dangereuse. Écrivains, peintres, musiciens, nombreux sont ceux à avoir trouvé dans ses flots l'inspiration...

Hans Christian Andersen y a puisé l'un de ses écrits les plus célèbres et les plus tragiques, La Petite Sirène. De cette histoire, Claire Carabas a tiré son propre conte, poétiquement intitulé Ce que murmure la mer.

Sortie en 2017, la seconde parution des Éditions Magic Mirror est à l'image de sa maison d'éditions : enchanteresse. Claire Carabas a su insuffler à son roman toute la magie, le vague à l'âme et la violence du conte d'Andersen, tout en laissant flotter sur l'ensemble une touche de modernité bienvenue.

Si l'intrigue est portée par une sorte de mélancolie cotonneuse, l'auteure insuffle une véritable tension et des enjeux majeurs - son univers, dense, est aussi féerique que redoutable. Le monde marin s'y dévoile, de ses plus beaux atours et ses plus sombres recoins : des palais de nacre aux jardins d'anémones en passant par l'antre de la sorcière à queue de murène établi sur une montagne d'immondices, des ports pollués de nos villes aux icebergs dérivants sur les immensités glacées... Pour le meilleur comme le pire, la romancière transmet toute la fascination éprouvée pour ces contrées océanes ; elle n'en exclut ni la grandeur ni la sauvagerie et offre à quiconque s'aventure sur ses lignes un périple inoubliable.

Si l'univers est un atout certain, ses héros ne sont pas en reste. Ils s'avèrent déchirants et complexes, terriblement vivants. Yvon est un marin asocial, marqué par les drames, qui ne trouve du réconfort qu'au large des côtes. Quant à notre héroïne anonyme, elle ambitionne à une plus grande liberté, loin de l'étouffant carcan de la couronne : elle entend mener sa vie et ses amours comme elle l'entend, aussi déterminée qu'immature, un caprice d'adolescente devenu le but de son existence, qui la mènera à affronter les aspects les plus obscurs de sa personnalité. Deux êtres opposés, sublimes et solitaires, décalés dans leur monde respectif. L’alternance de points de vue permet de s'identifier aux deux personnages, de comprendre leurs doutes, leurs dilemmes, leurs failles, de s'investir à leurs côtés. Le lecteur voit ainsi s'esquisser leur couple et le drame qui se joue en arrière-plan ; le marin et la sirène semblent incapables de se comprendre, de se trouver et finalement, de nouer la relation amoureuse à laquelle tous deux aspirent en secret.

Carabas tisse patiemment, inéluctablement, une véritable tragédie shakespearienne autour de son duo principal. L'angoisse monte crescendo, page par page, alors que la détresse de la sirène et l'incompréhension d'Yvon gagnent en intensité. Pourtant, aucun des personnages n'est réellement à blâmer pour son sort : tous deux sont les victimes de sentiments qui les dépassent. Elle est captive de son amour passif ; lui de sa trop grande retenue, de sa gentillesse platonique.

La fine analyse des caractères est magnifiée par la plume exceptionnelle de l'auteure ; son style est ciselé, poétique, très imagé, d'une grande force évocatrice... Elle maîtrise à la perfection l'art narratif, qu'il s'agisse des tourments intérieurs de ses protagonistes ou de certaines scènes scènes glauques à souhait - les passages mettant en avant la sorcière-murène sont réellement sordides. Cette vision de La Petite Sirène est clairement aux antipodes du classique Disney et s'adresse donc à un public plus mature...

Son œuvre retranscrit l'esprit même d'Andersen, évoque le fantastique moderne teinté de spleen cher au réalisateur-scénariste Neil Jordan, possède la musicalité d'une balade celtique tout en restant personnelle et unique. Maîtrisé de bout en bout tant par les protagonistes, le rythme, la narration et la plume, ce court roman de moins de 300 pages est une véritable réussite.

Ce que murmure la mer a la profondeur et la dualité de l'océan : lyrique, merveilleux, oppressant, tragique, cruel, mystérieux, déchirant... Claire Carabas, conteuse à la plume de sirène, nous délivre une plongée vertigineuse au romantisme désespéré, dont l'écume à l'amertume des larmes. Bouleversant et envoûtant.

 

~ La galerie des citations ~


« Je suis la dernière fille du roi des océans.

Depuis la nuit des temps, les légendes de ma glorieuse famille fascinent tous ceux qui les écoutent. Personne, même sur la terre, ne peut ignorer notre nom. Notre puissance s'étend jusqu'aux profondeurs qui vous resteront à jamais inconnues et sur des immensités que vous ne savez pas imaginer. »

~ La sirène


« J'ai perdu quelque chose de moi en mer que je ne parviens pas à retrouver. J'écoute ce que murmure la mer. Je sens qu'il y a quelque chose à comprendre. Mais j'ai beau tendre l'oreille, boire ses rumeurs, je ne parviens pas à saisir le sens de son chant. »

~ Yvon

« C'est le milieu de la nuit. Je sors du rêve de mon voyage en mer. Je n'aime pas les réveils. Ils me plongent dans une solitude affreuse. Cette fois, le songe ne se dissipe pas tout a fait. Il y a dans ma vie, un mystère aussi passionnant que celui que je rejoins, la nuit. Je n'en reviens pas de cette rencontre. Une telle histoire, j'aurais pu la rêver. »

~ Yvon

« Le chat est revenu. Je l'ai trouvé qui se prosternait devant elle. Il ne la quitte pas. Il se frotte à ses jambes. Il lui lèche le bout des doigts avec dévotion. Il s’étale sur ses genoux, miaule. Il l'implore du regard. Il la vénère. Il ne s'est jamais comporté ainsi avec moi.Même avec une gamelle, je ne parviens pas à la détourner d'elle. Je les considère l'un et l'autre avec envie. Elle qui en si peu de temps, a su gagner l'affection de ce gredin de Blé-Noir. Lui qui en profite ! »

~ Yvon

« Yvon ! Te n'ai connu ton nom qu'après avoir perdu ma voix. Mais longtemps, sans même le connaitre, je l'ai porté au fond des eaux. Nous avons vu ensemble, nous avons pleuré les mêmes larmes. Nos sels se sont mêlés. J'ai trop souffert déjà. N'est-ce rien ? Ce que j'ai donné : mes jambes, et ma voix et l'estime des miens, n'est-ce rien tout cela ? Ces distances parcourues, ces heures à t'espérer. Ne t'ai-je pas mérité ? Que dois-je encore donner avant que ce ne soit assez ? Vagues, prenez moi ! Coulez-moi comme une pierre si lui ne me veut pas ! Dévorez-moi toute entière. Effacez-moi des mémoires et des murmures du monde. Je veux qu'on m'oublie sur terre et sous les mers. Je n'ai plus de direction et plus de cap, nul refuge et nul espoir. J'implore que la tempête m'emporte et qu'on ne me retrouve pas. »

~ La sirène

« Le savoir est une arme comme l'est le silence. »

~ La sirène

« "Pourquoi ?"

Pourquoi ? Parce qu'il ne faut pas trahir l'amour que l'on promet. »

~ La sirène

 

Ce que murmure la mer de Claire Carabas, paru aux Éditions Magic Mirror, 244 pages, 18€.


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard du 25.06.19

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