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L’avis des libraires – 127ème chronique : Les Victorieuses

L’avis des libraires – 127ème chronique :

Les Victorieuses de Laetitia Colombani

Une victoire en demi-teinte...

Avocate quadragénaire, Solène a tout sacrifié au profit de sa carrière. A la suite d'un événement traumatisant, elle perd totalement pied et est incapable de retourner à son cabinet.

Lorsqu'on lui conseille de faire du bénévolat, c'est une Solène dubitative qui répond à l'annonce « cherche volontaire pour mission d’écrivain public » ! Elle découvre alors le Palais de la Femme, un foyer hébergeant des pensionnaires en difficulté - une bâtisse dont l'histoire est indiciblement liée au parcours d'une victorieuse oubliée, Blanche Peyron...


En 2017, Laetitia Colombani avait ému la France entière avec son best-seller La tresse. Ce livre engagé d'à peine 230 pages, entrelaçant les destins de trois femmes, est un petit bijou qui, loin du simple effet de mode, est amené à marquer durablement les esprits. Cette réussite lui a d'ailleurs valu une adaptation très pertinente en album jeunesse (magnifiquement illustré par Clémence Pollet) ainsi que la promesse d'une transposition au cinéma.

Deux ans plus tard, Colombani nous revient avec Les victorieuses, son nouveau roman. La recette est plus ou moins la même que dans La Tresse : entremêler les parcours de deux figures féminines qui, à première vue, n'ont aucun point commun. Entre Blanche Peyron, ancienne mondaine dévouée à l'Armée du Salut et Solène, avocate brisée, ce lien qui les raccroche l'une à l'autre, à travers les époques, se trouve être de pierres - il s'agit du Palais de la Femme. La première va dévouer le grandiose immeuble à l’accueil des femmes dans le besoin, un projet titanesque mis en oeuvre dès le XXème siècle. La seconde, elle, va fréquenter les lieux en tant qu'écrivain public et se lier à ses locataires complexes.

Les victorieuses est un ouvrage prometteur à plus d'un titre : le parcours de Blanche Peyron et son exceptionnelle force de caractère méritaient d'être mis en lumière, de même que Le Palais des Femmes, institution encore trop méconnue. D'un point de vue purement fictif, Colombani met également en exergue des personnages aux profils très différents, de par leurs origines, leurs convictions, les coups du sort ou les traumatismes qu'elles ont dû affronter : Sumeya, Cvetana, Salma, la Renée, Binta, Lily, Iris... Toutes se révèlent exceptionnelles, attachantes.

L'écriture de l'auteure, toujours aussi ciselée, se prête particulièrement à l'exercice de ces portraits, sur le fil, justes et pudiques, brefs et marquants. Le roman se dévore d'une traite, en l'espace de quelques heures, sans que le lecteur ne manifeste aucun signe de lassitude. Il se lit vite et bien, une lecture sans temps-mort mais sans grand enthousiasme non plus.

En effet, Les Victorieuses est loin d'être exempt de défauts. Il peine à trouver son souffle, à se révéler réellement passionnant et n'est guère aidé en cela par son héroïne, Solène. Cette dernière fait bien pâle figure au milieu de toutes ces dames au destin foudroyant ; elle n'est ni particulièrement touchante ni réellement intéressante à suivre, elle n'est que le réceptacle des tragédies qui se jouent autour de sa personne sans qu'on ne parvienne à s'identifier à elle.

A l'inverse de La tresse, le dernier Colombani tombe dans les écueils tant redoutés lorsque l'on traite pareilles thématiques : surcharge de pathos, larmoyant à souhait, tire-larme maladroit, bien-pensance à l'extrême, ton volontiers moralisateur, protagoniste parfois idéaliste jusqu'à la niaiserie... Comble du matraquage politiquement correct : l'auteure n'oublie pas d'ajouter une touche guimauve à son dénouement, histoire d'achever le tout sur une sorte d'happy-end forcé. Cette sentimentalité niaise laisse une impression de mauvais goût, surtout après les horreurs qui se sont succédées, chapitre après chapitre, période après période, à travers le monde entier et sur plus de 200 pages !

Tout comme Reste avec moi d'Ayọ̀bámi Adébáyọ̀, le livre n'est pas inintéressant car il défend des valeurs fortes, conte une histoire qui mérite d'être narrée, s'investit dans une dénonciation percutante du sort réservé au beau sexe... Pour autant, le mélodrame conformiste est un obstacle qu'il est difficile de contourner.

Une déception en demi-teinte, donc.

 

StartFragment~ La galerie des citations ~EndFragment


« Elle rêvait à en secret de devenir écrivain. Elle s'y voyait déjà, assise à un bureau sa vie durant, un chat sur les genoux comme Colette, dans une chambre à soi telle Virginia.


Lorsqu'elle avait révélé son projet à ses parents, ils s'étaient montrés plus que réticents. Tous deux professeurs de droit, ils considéraient d'un œil méfiant les vocations artistiques, ce chemin à part, méconnu, éloigné des sentiers battus. Il fallait choisir un métier sérieux, reconnu par la société. C'est cela qui comptait.


Un métier sérieux. Peu importe qu'il vous rende heureux. »

~ P 22-23

« Un peu de poudre aux yeux, un peu de Buckingham, dans une vie abîmée, comme on verse du sucre dans un mauvais café. Cela ne change pas le goût, mais le rend plus facile à supporter. »

~ P 80

« Elle ne s'installe pas à son ordinateur ; l'outil ne lui semble pas approprié. Il est des lettres qu'on écrit à la main. Et qu'on dicte avec le cœur.


C'est sans doute la tâche la plus difficile qui lui ait été confiée. Elle n'avait pas saisi jusqu'alors le sens profond de sa mission : écrivain public. Elle le comprend seulement maintenant. Prêter sa plume, prêter sa main, prêter ses mots à ceux qui en ont besoin, tel un passeur qui transmet sans juger.

Un passeur, voilà ce qu'elle est. »

~ P 114

« Vivane est une rescapée, comme Cvetana. La guerre, elle l'a faite elle aussi - pas besoin d'aller en Serbie. La sienne a duré vingt ans, près d'ici, dans un joli pavillon entouré de rosiers. Son ennemi était bien emballé ; il avait les traits de son mari. Le champ de bataille, c'était son corps à elle, un corps battu, maltraité, frappé à la longueur de journée. »

~ P 142

« Les médias l'évoquent rarement, le viol des femmes sans-abri n'est pas un sujet présentable. Pas assez chic pour passer dans le journal de vingt heures, lorsque la France est à table. Les gens n'ont pas envie de savoir ce qui se passe en bas de chez eux, lorsqu'ils ont fini de dîner et vont se coucher. Ils préfèrent fermer les yeux.

Dormir, rêver. Un luxe que les femmes sans-abri ne peuvent s'octroyer. Dehors, elles sont autant de proies. La misère n'oppose pas de limite à l'horreur. »

~ P 174

 

Les Victorieuses de Laetitia Colombani aux Editions Grasset, 224 pages, 18€


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard le 28.05.19

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