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L’avis des libraires – 123ème chronique : La mort s'invite à Pemberley

L’avis des libraires – 123ème chronique

La mort s'invite à Pemberley de P.D. James

Les Darcy mènent l'enquête...

Six ans après les événements d’Orgueil et Préjugés, Elizabeth et Fitzwilliam Darcy coulent des jours paisibles au domaine de Pemberley, avec leurs deux enfants. Ce bonheur vacille à la veille du bal d’automne. La famille Darcy est menacée par un terrible crime et non des moindres : un meurtre impliquant l'abject George Wickham, le mari de Lydia, la jeune sœur d'Elizabeth. Cette situation tendue laisse éclater les vieilles rancunes et la suspicion au sein de Pemberley.


C’est une vérité universellement reconnue que Jane Austen est une source d'inspiration intarissable pour de nombreux auteurs. Beaucoup se sont mis au défi d'écrire des ouvrages inspirés de son œuvre, parfois avec mérite, d'autres sans grand talent, souvent d'une façon totalement oubliable. De tous les livres d'Austen, celui à avoir connu le plus de variations, tant sur les écrans qu'en séries ou en romans dérivés, n'est autre qu'Orgueil et Préjugés. Des plus connus au format papier, citons Le Journal de Bridget Jones d'Helen Fielding, une transposition contemporaine jouissive ; la comédie horrifique sanglante Orgueil et préjugés et zombies de Seth Grahame-Smith ; et enfin notre roman du jour, La mort s'invite à Pemberley de P.D. James, une suite policière. James compte parmi les écrivains britanniques les plus appréciés et prolifiques de l'histoire du polar, au même titre qu'Agatha Christie ou Arthur Conan Doyle. Elle est aussi une immense fan d'Austen et a donc abordé, malgré sa carrière foisonnante, son sujet avec beaucoup de modestie : La mort s'invite à Pemberley est en effet son tout dernier roman qu'elle considérait comme un plaisir ultime, tout en ayant bien conscience du caractère un peu vain d'un tel projet. Elle s'estimait en droit, à bientôt quatre-vingt ans, d'allier une unique fois ses deux passions (l'univers austenien et le polar) – une envie qu'on ne saurait lui reprocher du reste ! Cette suite criminelle n'est pas dépourvue d'atouts, bien au contraire. La langue est soignée, allant parfois jusqu'à évoquer celle d'Austen, elle est dépourvue de toute modernité et parfaitement ancrée dans son époque. Les descriptions de Pemberley et des alentours, ainsi que la mythologie autour des Darcy sont plus que plaisantes à découvrir, notamment la figure d'un arrière-grand-père misanthrope aux tendances d'ermite. P.D James se targue également d'une critique frontale de la société de l'époque (notamment sur la condition féminine), doublée d'un parallèle entre les évènements historiques dramatiques qui ébranlent l'Europe et le quotidien privilégié de la propriété. L'auteure a également disséminé ça et là des références aux autres œuvres de Jane Austen qui ne pourront que ravir les fans. Mais, reconnaissons-le : plus que tout cela, il y a surtout la joie intacte de redécouvrir Elizabeth et Darcy à présent qu'ils sont mariés, heureux et parents ainsi que de retrouver la pléthore de personnages secondaires qui s'illustraient à leurs côtés. Sans oublier le plaisir (un peu sadomasochiste sans doute), de voir le ravissant démon qu'est Wickham exécuter son retour en force dans l'intrigue, aussi séducteur, charismatique et retors que l'on pouvait s'y attendre. Pourtant, La mort s'invite à Pemberley aurait de quoi décourager plus d'un lecteur : l'intrigue manque cruellement de rythme, si bien que l'on frôle l'ennui plus d'une fois. L'intérêt n'est vite rehaussé que par les apparitions de Wickham et les brèves fulgurances de Darcy, lesquelles sont hélas fort rares. Malgré le potentiel évident de cette suite, on peut regretter cette lenteur, ce classicisme poussif où s'engonce l'histoire. Plus impardonnable : le manque de causticité. Sitôt le premier chapitre expédié, l'auteure oublie régulièrement l'ironie mordante, l'impertinence à peine voilée dont son modèle savait faire preuve lorsqu'elle croquait moqueusement la bonne société anglaise si vaniteuse et férue de ragots. Elizabeth est hélas le principal personnage à en pâtir, renvoyant une image rigide, terne et quelque peu effacée qui ne colle absolument pas avec l'héroïne originale. A titre personnel, j'avoue également me sentir peu concernée par les déboires de la noblesse britannique et les « difficultés » de leur vie de château, surtout lorsque ceux-ci sont opposés à des évènements beaucoup plus sombres. La condescendance vouée aux domestiques frôle également l'insulte, ceux-ci étant tous présentés sans exception comme des êtres fidèles dénués de personnalité, souvent limités intellectuellement, incapables d'aspirer à autre chose qu'à la servitude. Les deux seules femmes dotées d'un esprit vif, qui souhaiteront échapper à cette condition sociale le paieront au centuple. Surprise : la seule personne à leur témoigner de l'affection sera... Wickham ! Comme quoi, un libertin cynique dénué de principe peut s'avérer au final plus ouvert sur certains points que des protagonistes réputés moraux... La mort s'invite à Pemberley n'est pas un échec, pas plus qu'une réussite - il s'avère tout simplement correct. Il s'agit là de l'ultime caprice d'une auteure talentueuse et sans doute est-ce suffisant pour ne pas lui en tenir rigueur outre mesure. Il est toutefois permis de douter quant à son public cible : les fans de Jane Austen lui seront sans doute plutôt hostiles, les inconditionnels de P.D James ne retrouveront guère la tension habituelle de ses ouvrages... Il est donc à réserver aux amateurs de polar conventionnel. Les autres se tourneront plus volontiers vers l'adaptation de la BBC : cette mini-série efface le rythme apathique de l'ouvrage original et est de plus portée par un casting talentueux (Matthew Rhys, Anna Maxwell Martin, Matthew Goode, Jenna Coleman, Eleanor Tomlinson, James Norton). Un joli tour de force plus touchant et efficace en tous points que son alter-égo livresque, à découvrir sans tarder.

 

~ La Galerie des Citations ~

« Les fiançailles d’Elizabeth, malgré leur éclat, avaient été accueillies avec moins de plaisir que celles de Jane. Elizabeth n’avait jamais été populaire ; en fait, il arrivait aux plus perspicaces des dames de Meryton de soupçonner que Miss Lizzie se moquait d’elles derrière leur dos. Elles lui reprochaient aussi d’être sardonique, et sans être tout à fait certaines de la signification de ce mot, elles savaient que ce n’était pas une qualité souhaitable pour une femme, car elle faisait particulièrement horreur aux messieurs. Les voisines à qui la perspective de cette glorieuse union inspirait plus de jalousie que de satisfaction pouvaient se consoler en faisant savoir à qui voulait l’entendre que l’orgueil et l’arrogance de Mr Darcy conjugués à l’esprit caustique de son épouse feraient de leur vie conjugale un tel enfer que le domaine de Pemberley lui-même et dix mille livres de rente par an ne constitueraient pas un dédommagement suffisant. »

~ p 15

« Ils semblaient ne pas avoir conscience de la présence des auditeurs qui attendaient. En cet instant d’intimité qui les enfermait dans un monde auquel les autres n’avaient pas accès, ils parurent s’oublier dans leur amour commun de la musique. Observant les reflets de la bougie sur leurs deux visages captivés, leurs sourires lorsque le problème fut résolu et que Georgiana s’apprêta à jouer, Elizabeth sentit qu’il ne s’agissait pas d’une attraction éphémère née de la proximité physique, ni même d’une simple passion partagée pour la musique. Indéniablement, ils étaient amoureux, ou peut-être sur le seuil de l’amour, cette période enchanteresse de découverte mutuelle, d’attente et d’espoir. »

~ p 55-56

« Le sol ameubli par les feuilles mortes assourdissait leurs pas, et Darcy n’entendait guère que le grincement de l’attelage, le souffle rauque des chevaux et le cliquetis des rênes. Par endroits, les branches formaient au-dessus de leurs têtes un épais tunnel voûté qui s’écartait parfois pour laisser entrevoir la lune, et dans cette obscurité cloîtrée, le vent n’était plus qu’un faible murmure agitant les frêles ramures comme si elles servaient encore d’habitat aux oiseaux gazouillants du printemps.

Comme chaque fois qu’il entrait dans ce bois, les pensées de Darcy se portèrent vers son arrière-grand-père. Le charme que ce George Darcy depuis longtemps disparu trouvait à ce lieu résidait sans doute en partie dans sa diversité, ses sentes secrètes, ses vues inattendues. Ici, dans son refuge retiré gardé par les arbres, où les oiseaux et les petites bêtes pouvaient s’approcher de sa maison sans crainte, il lui était permis de croire que la nature et lui ne faisaient qu’un, respirant le même air, guidés par le même esprit. Dans son enfance, quand il venait jouer dans le bois, Darcy s’était toujours senti singulièrement proche de son arrière-grand-père et il avait compris très tôt que ce Darcy dont on ne parlait guère, qui avait renoncé à ses responsabilités à l’égard du domaine et du château, était un sujet d’embarras pour sa famille. »

~ p 73-74

« [...] le jeune homme dormait comme un enfant, le souffle si faible qu’on aurait pu le croire mort. Avec son visage propre, ses cheveux sombres répandus sur l’oreiller, sa chemise ouverte découvrant la ligne délicate de sa gorge, il ressemblait à un chevalier blessé, épuisé après la bataille. Les yeux fixés sur lui, Elizabeth fut assaillie par un tumulte d’émotions. Son esprit fut envahi de souvenirs si douloureux qu’elle ne pouvait les évoquer sans un sentiment de honte. Elle avait été si près de tomber amoureuse de cet homme. L’aurait-elle épousé s’il avait été riche au lieu d’être sans le sou ? Certainement pas, et elle savait à présent que ce qu’elle avait ressenti alors n’avait jamais été de l’amour. Ce bel homme, le chéri de tout Meryton, le nouveau venu séduisant dont toutes les filles raffolaient, lui avait témoigné de nombreuses marques de préférence. Tout cela n’avait été que vanité, un jeu dangereux auquel ils avaient joué tous les deux. »

~ p 103

« Cela fait plusieurs siècles déjà que nous avons admis que les femmes ont une âme. N’est-il pas grand temps d’admettre qu’elles ont également un cerveau ? »

~ p 138 / Avelston

« Il n’est jamais aussi difficile de féliciter une amie pour son bonheur que lorsqu’on le juge immérité. »

~ p 168 / Charlotte accepte peu le bonheur conjugal d'Elizabeth

« Je n’ai jamais approuvé les agonies qui n’en finissent pas. Dans l’aristocratie, c’est de l’affectation ; dans les classes inférieures, ce n’est que prétexte pour se dérober au travail. [...] Les gens devraient prendre la décision de vivre ou de mourir et faire l’un ou l’autre avec le moins de désagrément possible pour autrui. »

~ p 170 / Le tact habituel de Lady Catherine


« Vêtu de linge propre, rasé et coiffé, Wickham l’accueillit comme s’il était chez lui et accordait une faveur à un visiteur vaguement importun. Darcy se rappela qu’il avait toujours été lunatique et reconnut le Wickham d’autrefois, séduisant, plein d’assurance et plus enclin à savourer sa notoriété qu’à regretter son déshonneur. »

~ p 186

« Ne songeons plus au passé que lorsqu’il nous apporte du plaisir, et contemplons l’avenir avec confiance et espoir. »

~ p 313 / Elizabeth

 

P.D. James​, La mort s'invite à Pemberley aux Editions Fayard, 380 pages, 20€. Egalement disponible aux Editions Le Livre de Poche, 408 pages, 7€60.

Article paru en version écourté dans le Pays Briard le 30.04.2019

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