Chloé
L’avis des libraires - 117ème chronique : Saga Aristote
L’avis des libraires - 117ème chronique
Saga Aristote de Jean-Pascal Ansermoz :
Philosophie féline
Aristote est un félin philosophe, mystérieux et imprévisible. Il rêve, il médite et, surtout, il observe : son quartier, son humain, ceux qui pénètrent son quotidien... D’histoire en histoire, œil averti et coussinet de velours, ce chat érudit nous narre à travers ces pages de doux fragments de vie.
En littérature comme ailleurs, il y a des rendez-vous inattendus qu’il ne faut pas manquer : ce fut mon cas avec la saga Aristote, signée Jean-Pascal Ansermoz. Imaginez ma réaction en m’apercevant que je n’étais pas la seule à avoir un chat prénommé Aristote, à discerner en lui un héros de roman et à l’ériger confident principal de mon vague à l’âme !
Certes, mon Ari et celui du livre ont quelques différences… Après tout chaque matou est unique ! Le mien, fourrure d’ébène et yeux dorés, est branché Bowie, Xavier Dolan et Oscar Wilde ; celui d’Ansermoz, tigré et altier, est plutôt Nat King Cole, Audiard et Pierre Dac. Il n’empêche que tous deux, de leur regard infiniment sage et secret, semblent percer à jour l’âme humaine, ses joies et ses tracas, dans ce sens analytique inné typiquement félin – une clairvoyance partagée par bon nombre de chats ayant acceptés l’Homme comme animal de compagnie…
J’avoue souvent rechigner à m’impliquer longtemps dans un même univers – j’ai les suites en horreur et la lassitude facile. Or, la série compte déjà quatre recueils de nouvelles (Les moustaches d’Aristote, Patte bleue et autres histoires de quartier, La logique des poissons, Mon cœur amoureux) ainsi qu’une anthologie autour des contes, Une histoire de fleurs. Pourtant… La coïncidence était trop belle, trop inespérée pour que je puisse passer à côté. Et je ne remercierai jamais assez le hasard pour avoir mis cet Aristote de papier sur ma route.
En se glissant dans la peau d’un petit fauve observateur, l’écrivain dresse de brefs moments saisis au hasard d’une existence. Une vie qui pourrait être la mienne, qui est peut-être la vôtre, tant il y a dans ces nouvelles un sentiment d’universalité. Genre, âge, nationalité, sexualité, destinée… Tous les personnages sont radicalement différents ! Une mère célibataire, un couple gay en plein road-trip, un petit garçon épris de nature, une fillette qui refuse d’avancer au milieu d’une foule pressée, une grand-mère qui relate ses mémoires, un père qui fait de son mieux, un cocker fan de Platon, un couple qui cherche à recoller les morceaux, des amoureux qui se cherchent, un escroc inoffensif féru de pains aux raisins, des adultes souvent perdus face aux coups du sort… Les intrigues, très courtes, excèdent rarement la dizaine de pages. Elles se révèlent pourtant terriblement efficaces, sincères, qu’elles soient hilarantes, contemplatives, douces-amères ou tristes. Ansermoz n’a pas son pareil pour tracer à grands traits des personnalités flamboyantes ; pour leur donner une histoire, un passé ou un futur ; pour déboussoler son lecteur ; pour manier l’art de la chute ; pour, enfin, disperser entre ses lignes des éclats de sagesse… Jamais moralisateur, il glisse au détour de ses surprenantes conclusions, morale, philosophie et réflexion.
Durant les quatre premiers ouvrages, les nouvelles sont intercalées par des chapitres concis centrés sur Aristote ou son humain – des tranches de vie souvent drôles, toujours pertinentes, qui font mouche à chaque fois. Ces passages sont d’excellentes thérapies à la morosité et tiennent une place centrale au cœur des recueils.
Quant à l’anthologie de contes façon Ansermoz, adressée aux petits comme aux grands et magnifiquement illustrée par Cécile Eyen, on ne peut qu’encourager les parents et les professeurs à se la procurer. Voilà de quoi philosopher joliment avec les enfants sur des contes atypiques !
Fine et intelligente, poétique aussi, la plume de Jean-Pascal Ansermoz est transcendante. On ne peut que saluer la perspicacité, le style et l’imagination de son auteur qui, cinq tomes plus tard, parvient encore à nous surprendre et à nous émouvoir.
Ciselés comme une griffe, soyeux telle la fourrure, les récits relatés feront écho dans le cœur du lecteur en un doux ronronnement de bien-être. Une saga douce et chaleureuse, qu’on quitte à pattes feutrées.
~ 5 nouvelles & 1 conte de
Jean-Pascal Ansermoz à chat-vourer : ~
Le garçon qui aimait les fleurs
Patte bleue
Les cartes postales
Les ailes d'un ange
Reste-t-il du temps pour se presser ?
Le vent qui se sentit seul
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Jean-Pascal Ansermoz : Les moustaches d’Aristote, Patte bleue et autres histoires de quartier, La logique des poissons, Mon cœur amoureux et Une histoire de fleurs aux Éditions BoD. Entre 60 et 150 pages, de 10 à 15€
Article paru en version écourtée dans le Pays Briard le 19.03.19