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L'avis des libraires - 115ème chronique : Un certain Paul Darrigrand

L'avis des libraires - 115ème chronique

Un certain Paul Darrigrand de Philippe Besson :

Éros & Thanatos

Deux ans après son magnifique « Arrête avec tes mensonges », Philippe Besson reprend le fil de ses souvenirs et narre un second fragment de sa jeunesse. Celui de l'année 1988-89, celui où il va rencontrer Paul, celui où il va tomber gravement malade... Pour survivre, Besson va affronter l'amour et la mort en l'espace de quelques mois. Commence alors le plus rude des combats entre un cœur condamné et un corps meurtri.


« Arrête avec tes mensonges » fut sûrement l’un des plus beaux livres de 2017 et sans aucun doute le plus émouvant qu’ait signé Besson à ce jour. Cette biographie a été la consécration, des éloges critiques à la reconnaissance publique. C’était une délivrance couchée sur papier, belle, lyrique et brutale. Face à un tel coup d’éclat, difficile d’imaginer une suite. Difficile surtout d’imaginer qu’un autre livre de Besson – fiction ou biographie – puisse égaler la maestria d’ « Arrête avec tes mensonges ». Mais l’auteur fait visiblement parti de ces créateurs qui parviennent à réitérer l’exploit, à créer la surprise, tout en restant fidèle à leur art, à leur univers. Quand le public se dit, « il ne pourra pas aller plus loin » ; que le chroniqueur part de l’idée qu’il sera « fatalement déçu » ; Besson semble répondre par la plume. Un certain Paul Darrigrand n’est pas le coup magistral qu’avait asséné son prédécesseur dans le cœur du lecteur : il en est l’écho, le rappel de la douleur et de la passion ressenties lors de l’opus originel. Dès les premiers mots, les premières phrases, on retrouve le jeune narrateur devenu étudiant – pas encore écrivain, bien loin de la célébrité donc... L’ombre de Thomas, le grand amour du premier volet, plane encore sur le narrateur, tout comme elle est encore bien vivace dans l’esprit du lecteur. Puis vint la rencontre avec un autre homme. Un autre amour, tout aussi complexe et malheureux : un éphèbe aux boucles brunes, à peine plus âgé, marié, aux yeux et au sourire quasi indéchiffrables. Le certain Paul Darrigrand du titre. La partie une est un terrain conquis, on retrouve les ferveurs amoureuses de Besson comme on retrouve un vieil amant, on voit la relation naître, s’épanouir, se consumer. La seconde est plus dure, plus violente, le style y est chirurgical : la maladie, les lourds traitements, les espoirs de guérison trop vite déçus, la peur de l’entourage, la résignation de soi… On le sait, Besson a survécu puisqu’il nous délivre ce moment poignant entre la vie et le trépas – moment qui lui aura inspiré l’un de ses très bons romans, Son frère. Mais l’angoisse, la douleur sont bien là, palpables, elles suintent à travers les phrases chocs, les images et les figures. Le lecteur y est happé avec l’impression suffocante qu’il subit chacune des épreuves endurées par l’auteur. L’identification est totale, authentique. On ressort de ce combat éreinté et éprouvé ; il faudra du temps pour laisser derrière soi le parcours de Philippe, pour passer à un autre roman, un autre écrit : il imprègne l’esprit bien après que la lecture soit achevée, obnubilant, entêtant, comme un film dont on se repasse mentalement les moments les plus forts. L’amour et la mort fusionnent dans ce court ouvrage, culminent dans ces 211 pages inoubliables. Eros et Thanatos sont implicitement liés : le cœur meurt mais le corps ne se rend pas. Bien que, comme il l’affirme lui-même : « Je mets beaucoup de mauvaise volonté à être sauvé. » En dépit de son penchant autodestructeur, Philippe Besson est un battant, un homme qui aime et qui guérit – toujours malgré lui, dans les deux cas. Et puis il y a ce style, ce rythme, héritiers de Marguerite Duras et Hervé Guibert. La patte que l’on reconnaît entre toutes. La plume demeure inchangée, le déroulement est toujours aussi magistral. De quoi rêver à une trilogie, à une saga complète ; de quoi réclamer une nouvelle dose de génie, comme un opiomane en manque de bons mots, de grandes histoires ou de splendeur tout simplement. Lire un nouveau Besson, c’est courir le risque d’un coup de foudre, encore une fois, violent et irrépressible.

 

~ La galerie des citations ~

« De nouvelles photos sont venues s'y empiler, avec les années.

A chaque ajout, je me disais : ce sera bien de les regarder, un jour. Mais à chaque ajout, je repoussais le moment, ayant compris que la nostalgie fait plus de mal que de bien. Et puis, un jour, il n'y a plus eu de photos ajoutées, parce que désormais les souvenirs tiennent dans des téléphones portables, mais la boîte est restée, perchée en haut d'une armoire. »

~ p 11-12 / Philippe Besson

 

« Nous sommes peut-être en train de jouer la comédie, de mimer l'ennui ou l'indifférence alors que nous nous consumons au-dedans. »

~ p 14 / Philippe Besson

 

« Dans plusieurs de mes livres, plus tard, je raconterai des rencontres de ce genre : le type qui se plante là, face à l'autre, et lui balance, l'air de rien, son désir, le type qui emploie des mots presque ordinaires tout en sachant que celui à qui il les destine entendra tous les sous-entendus. Je raconterai ces fulgurances, ces immédiatetés, la nécessite implacable. On y décèlera quelque fois un procédé romanesque, une facilité, on m'objectera que ça n'existe pas, dans la vraie vie, pareille brutalité et moi, je ne répondrai rien alors, je ne répondrai pas à l'objection, je me contenterai de me souvenir de Paul Darrigrand, ce jour-là de l'automne 88. J'aurai un léger sourire. »

~ p 35 / Philippe Besson

 

« Non, nous ne parlons presque jamais de ce qui arrive. Éventuellement, nous évoquons notre passé intime, par petites touches, ce sont des conversations impressionnistes ; une peinture pointilliste de Seurat. »

~ p 44 / Philippe Besson

 

« Au cours de ma vie, je connaîtrai des endroits qui me plairont infiniment, me marqueront profondément, le front de mer de Cambria, à mi-chemin entre Los Angeles et San Francisco, avec ses rochers de grès rouge, la baie de Baracoa, à Cuba, où trônait un paquebot accidenté et rouillé, les lacets de la campagne toscane, en automne, mais rien n'aura la force de cette évidence.

Parce que l'amour de l'île, c'est le souvenir des jours heureux et le regret des jours heureux.

Et qu'est-ce qui peut battre ça ? »

~ p 67-68 / Philippe Besson sur l'île de Ré

 

« Et moi, je fais tout entrer dans ce sourire : le souvenir de sa peau dans la nuit, les baisers affamés, les corps en lutte, et finalement repus, épuisés, l'apparition matinale, le froid qui pique sur la terrasse, les mots, on savait que ça arriverait, on fait gaffe, la connivence coupable, la collusion magnifique des salauds. »

~ p 80 / Philippe Besson

 

« Une vraie saleté, l'infériorité en amour.


Je veux dire d'abord : être dans la dépendance. Quêter un regard, une attention, un geste, même anodin. Espérer des rendez-vous, des retrouvailles. Se réjouir d'une pauvre manifestation de tendresse comme un clochard sourit au passant qui jette une pièce dans sa soucoupe. Obéir à ses foucades, ses empêchements. Admettre que ses contingences l'emportent forcément. Croire à ses mensonges, au moins à ses arrangements avec la vérité. Se soumettre à son bon plaisir. Consentir à ses silences. Se remémorer ses rares paroles, en traquer le sens caché, en être rétrospectivement ravi ou mortifié. Le savoir ailleurs loin, avec une autre, en crever.


Je veux dire aussi : être aimé moins qu'on aime, susciter moins d'émoi que celui qu'on éprouve pour l'autre, moins d'attente, moins d'impatience et peut-être ne pas susciter d'attente du tout, plaire quand on est là mais ne pas manquer quand on n'est pas là, être une récréation quand on voudrait être une histoire. Souvent, je penserai : il m'aime, oui, probablement, mais pas assez. Parfois, je penserai : il ne m'aime pas du tout. »

~ p 96-97 / Philippe Besson

 

« C'est irrésistible, l'intelligence. »

~ p 100 / Paul Darrigrand

 

« [...] moi, je sais que ce silence me convient, que je l'ai voulu comme une barrière de protection. C'est comme des barbelés, le silence, ça empêche les intrus d'approcher. »

~ p 169 / Philippe Besson

 

« Certes, je m'étais épris d'un homme inaccessible et j'avais flirté dangereusement avec la mort. Mais je pouvais dire aussi que j'avais été amoureux et que j'étais encore en vie. »

~ p 208 / Philippe Besson

 

« Il ne m'a pas demandé comment j'allais. Mais il a dit qu'il avait de mes nouvelles par les livres (je me souviens de cette expression, j'ai de tes nouvelles par les livres, je l'ai imaginé les achetant peu après leur publication, les lisant vite, trop vite sans doute, y cherchant à son corps défendant une trace de ce que nous fûmes l'un à l'autre, la débusquant quelquefois, sans savoir si cette découverte était une douleur ou un baume). »

~ p 210 / Philippe Besson

 

Philippe Besson : Un certain Paul Darrigrand aux Éditions Julliard. 211 pages. 19 €

Chronique parue en version écourtée dans le Pays Briard le 05.03.19

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