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L’avis des libraires – 109ème chronique : La grande-mère de Jade

L’avis des libraires – 109ème chronique :

La grand-mère de Jade de Frédérique Deghelt

Recherche Mamie désespérément

Lorsque Jeanne, surnommée Mamoune, risque d'être envoyée en maison de retraite, sa petite fille Jade débarque à l'improviste. Son plan ? Sauver sa grand-mère ! Direction la Ville Lumière. Commence alors une cohabitation savoureuse entre l'octogénaire savoyarde et la journaliste parisienne...


De mémoire de lectrice, rarement portrait de personnes âgées n'aura été si émouvant, si profond. La grand-mère de Jade, quatrième roman signé Frédérique Deghelt, est une merveilleuse surprise : le récit est doux, mélancolique, inspiré, cultivé, positif, pétillant... A l'image de cette Jeanne, cette montagnarde qui a fait des livres ses amants et cache soigneusement à son entourage une passion dévorante (jugée honteuse) pour la littérature. Cette autre femme, la lettrée, qu'elle a pris grand soin de camoufler durant des décennies, va se réveiller au contact de Jade. Réunies par leur amour des mots, les deux femmes vont apprendre à se connaître, s'élever ensemble et s'aider.

Auprès de Jade, au delà de la tendresse évidente qu'elles éprouvent l'une pour l'autre, c'est tout une symbiose culturelle qui va se dévoiler entre la grand-mère et la petite-fille. Symbiose qui, bien entendue, va avoir un impact grandissant sur leur vie. L'affirmation du caractère de Mamoune, le courage de faire des choix difficiles pour Jade. Chacune, à travers l'autre, va revendiquer son droit à mener sa vie comme elle l'entend.

Littérature, choc des générations, tendresse et réflexions sont à l'honneur dans cette fable contemporaine. On y parle pèle-mêle de la condition féminine, du poids des années, du regard des autres, des différentes formes d'amour, des liens familiaux, du salut par la lecture, des aspirations professionnelles et personnelles...

La grand-mère de Jade est avant tout un sublime portrait de femmes, non pas d'une seule, mais d'un duo - Jeanne et Jade. Toutes les deux sont très attachantes et l'alternance de point de vue permet de s'immiscer dans leurs pensées, leurs rêves et leurs doutes.

En filigrane, un message, plus grave, apparaît derrière les lignes pour se dévoiler à la toute fin : ne jamais craindre de prendre soin de ceux qu'on aime, sous peine de le regretter pour toujours.

Il faut saluer la prose de Frédérique Deghelt, laquelle use d'une plume exceptionnelle, pleine d'émotions et de justesse, qui diffuse ses bons mots comme les effluves d'un parfum à la violette... L'auteure ne tombe jamais dans le pathos, ni le mélodrame. Au contraire, elle a fait de son univers le monde idéalisé de l'une des plus belles relations qui soient : celle d'une grand-mère avec sa petite-fille. A chacun de rendre ce monde possible, aussi beau qu'entre les pages d'un roman.

Je suis passionnément tombée amoureuse de ce récit intemporel au féminin, de cette Jeanne exceptionnelle qui, à bien des égards, me rappelle ma propre grand-mère ! Fugacement, entre ces lignes, j'ai aperçu mon rapport à ma propre Mamoune dans les liens qui se tissaient entre Jeanne et Jade ; j'y ai vu nos discussions interminables sur la culture ; je me suis remémorée le plaisir d'un thé et d'une part de gâteau maison partagés ; je me suis souvenue de la joie des découvertes communes, en se baladant dans les rues, en allant au cinéma, en traînant devant les boutiques ; j'ai retrouvé cette emprunte olfactive si présente dans nos souvenirs comme la plus ancienne Madeleine de Proust - la mienne a le parfum d'ambre et de poivre rose... Surtout, j'ai retrouvé ce sentiment d'attachement si puissant qu'il pourrait me faire traverser la France entière, sans une seconde d'hésitation... Je me suis totalement identifiée, comme beaucoup je le crois, à Jade. Là où de nombreuses autres lectrices, un peu moins jeunes, s'entrapercevront en Jeanne.

La grand-mère de Jade est un formidable hommage à nos aînées, à nos grands-mères, à ces dames discrètes aux yeux secrets, celles qui disent peu mais comptent beaucoup.

 

StartFragment~ La galerie des citations ~EndFragment


« Au fond, qu'est-ce que Jade savait de Mamoune ? Pas grand-chose. Elle l'adorait depuis sa plus tendre enfance cette grand-mère au parfum de rose ou de violette suivant les jours et l'humeur. Elle ressemblait à la bonne fée de Cendrillon avec ses tresses blanches remontées en chignon et ses yeux très clairs. »

~ P 12

« Pourquoi changer de visage ? Avant, il me semble qu'on était né jolie fille ou joli garçon ou encore gentil ou courageux... Quand la vaillance prenait le pas sur la beauté, elle racontait dans le discours des voisines les imperfections du visage ou du corps. Mais au fond, on acceptait assez bien son sort. Laid ou beau, jeune ou vieux, on pouvait rire, être là sans déranger. Peut-être que ce souvenir de tolérance me conte l'injustice de ma situation que je n'ose dénoncer. »

~ P 21-22 / Réflexion de Mamoune sur la chirurgie esthétique

« Son âge s'était comme dissous dans l'amour qui émanait d'elle. Mamoune était éternelle. »

~ P 26 / Jade

« On dit les octogénaires ou les octos, dernière coquetterie d'une race nouvelle que je trouve lâchement complice de ses fioritures verbales. Réussir sa vieillesse, c'est trouver une seconde jeunesse. Quel désarmant paradoxe ! Rajeunir ou disparaître, voilà le choix. »

~ P 36 / Mamoune

« Les livres furent mes amants et avec eux j'ai trompé ton grand-père qui n'en a jamais rien su pendant toute noter vie commune. »

~ P 41 / Mamoune

« Parfois j'en viens à me demander à quoi servent les souvenirs qui reviennent avec tant d'acuité quand on perd la mémoire de la veille. Ils sont comme des vols d'oiseaux migrateurs. Ils ne préviennent pas de leur retour. On en saisit chaque détail avec émotion quand il passe. Et puis c'est fini. »

~ P 154 / Mamoune

« Je garde comme un précieux souvenir ces amis qui ont été un temps à mes côtés, bien que je n'aie rien vécu avec eux. Ils ont rejoint ceux qui ont disparu de ma vraie vie. Et je serais bien en peine de distinguer maintenant ceux que j'ai aimés dans les livres sans leur parler de mes amis réels. Sont-ils moins importants que les autres ? Pourquoi les imaginer morts alors que je peux retrouver ces personnages de papier et me glisser à nouveau dans les pages de leurs aventures ? Je crois qu'ils ont traversé ma vie sans distinction. Mais ils n'auraient plus aujourd'hui cette saveur de la première fois, de la bonne réponse qu'ils ont apportée à ma vie quand je leur demandais. Ils ont comme perdu ce pouvoir qui leur a donné naissance dans ma mémoire comme de vrais êtres vivants. »

~ P 204 / Mamoune

« [...] je crois que dans la vraie vie on a toutes les chances de passer à côté, pour peu qu'on n'y prenne pas garde. Et voilà, moi qui me sentais vouer à l'exil, à l'aventure, je me suis retrouvée dans un couple à deux balles, avec appartement à crédit. Tout y était garanti cent ans, surtout l'ennui ! »

~ P 214 / Jade

« Ce qui me manque ce n'est pas ce que je crois être encore et ne suis plus, c'est ce que je ne suis pas devenue. »

~ P 296 / Mamoune

« Il fallait partir pour aimer ou l'inverse, elle avait oublié. Des proverbes de tous les pays lui revenaient en mémoire. Vivre dans la peur, c'est vivre à moitié, prendre la rue du plus tard, c'est arriver à la place du jamais. Dire non à ses désirs profonds de vie, c'est dire oui à ses aspirations de mort. On ne regrette jamais que ce qu'on n'a pas choisi. On regrette la chance qu'on a laissé passer... »

~ P 377 / Jade

 

Frédérique Deghelt : La grand-mère de Jade aux éditions Babel ou aux éditions J'ai lu. 391 pages, 8€50 / 288 pages, 6€90


Article paru en version écourtée dans le Pays Briard le 22.01.19

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