top of page
  • Photo du rédacteurChloé

L’avis des libraires - 96ème chronique : Philippe d'Orléans - Frère de Louis XIV

L'avis des libraires : 96ème chronique

Philippe d'Orléans - Frère de Louis XIV d'Elisabetta Lurgo

L'homme complexe sous le masque de la futilité

Un faire valoir de l'Histoire...

Je vous dois une petite confidence : dès que j'ai pu poser les yeux sur les livres d'Histoire, j'ai nourri une forte fascination pour les figures obscures qui les peuplent. Les méconnus, les méjugés, les maudits presque voués à l'oubli ou laissant une image biaisée derrière eux. Certains tenaient à peine quelques lignes quand d'autres de leurs contemporains prenaient des paragraphes entiers. D'autres étaient résumés à leurs mœurs, réduits à un unique trait de caractères. Philippe d'Orléans rentre hélas dans toutes ces catégories.

Longtemps cantonné au rôle de bouffon excentrique (Le Roi Soleil de Kamel Ouali) ou pervers débauché (Vatel de Roland Joffé), il n'est épargné ni par la culture, ni par la plume acérée de supposés "biographes". C'est cette injustice qui pousse Elisabetta Lurgo à prendre la plume et à narrer sa vision de Monsieur, le frère du Roi - une vision basée sur des recherches minutieuses, éminemment plus proche du véritable Philippe que celle véhiculée, entre autre, par Saint-Simon ou Madame de Lafayette.


Prince ahuri ou prince incompris ? Car Monsieur, s'il ne fut pas exempt de défauts, a surtout souffert des médisances. Aussi, tout au long de ces 300 pages, Lurgo s'attache-t-elle, avec objectivité, à décrire sa personnalité haute en couleurs... Et si complexe !

Il est vrai que l'Histoire a retenu de lui bien peu de choses : fêtard invétéré, excentrique, fanatique de mode, dépensier, débauché aux mœurs dissolues, soumis au désir de ses favoris... Certes, ces traits font partis de la personnalité de Philippe. Mais il demeure néanmoins bien plus que tout cela. Loin des clichés, Lurgo dresse le portrait d'un homme sensible, intelligent, stratège financier, fils aimable, amant exalté, père attentionné, passionné par les projets qu'il entreprenait... S'il est passionné par la mode et les cérémonies, son goût en ce domaine est toujours très sûr.

Enfant, le prince est apprécié de tous, souriant et plein d'esprit, un esprit qui épate volontiers la galerie malgré son jeune âge. En grandissant, Philippe devient un jeune homme compatissant, loin de son aîné que la politique a rendu implacable : sa générosité a fait de lui le mécène et le protecteur de nombreuses personnes, religieux, courtisans ou petit personnel. Il est donc apprécié par les Parisiens, davantage même que le Roi Soleil... Il est également un ami fidèle : ainsi, il continue à rendre visite à Madame de Montespan, en pleine disgrâce, bien après que cette dernière ait désertée le lit royal. Cerise sur le gâteau, Monsieur apparaît tout en subtilité : il est pieux mais non dévot, cultivé mais noceur, donne son cœur aux hommes mais sa confidence aux femmes, réprouve la chasse et la guerre mais fait montre d'un grand courage sur le champ de bataille... Dans les tranchées, il se joint aux soldats, les encourage, leurs accorde quelques pièces - quelques heures plus tôt, il chargeait contre l'ennemi parmi eux. Autant le dire : Lurgo met en lumière des talents insoupçonnés chez Monsieur. Elle souligne également son importance à la cour, lui qui est le créateur de cette fameuse étiquette régissant l’ensemble de la vie versaillaise ! Cette vie doit tourner autour du roi et cela, Philippe s'y engage corps et âme.


Le Roi Soleil et le Prince Étincelant

Comme souvent, c'est ce curieux lien fraternel qui interpelle le plus lorsque l'on évoque Philippe et Louis. Le cadet est beaucoup plus émotif que le monarque absolu, plus sensible, plus capricieux, curieusement plus solaire. En un mot : plus accessible. Les moments les plus touchants du livre rappellent d'ailleurs à quel point Monsieur est l'humanité de son frère, le seul avec qui ce dernier montre (un peu) son véritable visage... Adolescents, ils chahutent volontiers, immatures, ignorants toutes les convenances lorsqu'ils se trouvent en tête à tête dans les appartements royaux : ils restent des enfants et des frères, contraints de grandir trop tôt lors de cette terrible Fronde.

Ce tourbillon émotionnel est sûrement la plus grande faiblesse de Philippe : Monsieur est captif de ses trop grands sentiments, il ne les mesure jamais et, combinés à sa naïveté, ils le rendent aussi attachant que problématique. La passion emportée qu'il voue au Chevalier de Lorraine ou la dévotion qu'il accorde à son aîné en témoignent d'ailleurs.

De fait, Lurgo évoque beaucoup Louis XIV : rien de plus normal car cette relation a gouverné entièrement la vie de Philippe. Il aime profondément son aîné (ce que le roi lui rend bien par ailleurs), quitte à sacrifier, sans en avoir pleinement conscience, toute ambition susceptible de lui faire de l'ombre. Philippe s’est toujours vu comme un allié et non un rival : il va donc, logiquement, tout mettre en œuvre pour que l’éclat du Roi Soleil demeure intact. Ce que beaucoup confonde avec de la faiblesse est décrit ici comme une abnégation sans borne : Monsieur n’est pas faible, il aime simplement son frère au-delà de sa personne.


Monsieur méjugé Le destin de Monsieur ressemble à une tragi-comédie où les paillettes côtoient une décrédibilisation bien réelle : Philippe a été humilié pour son manque d’ambition ou plutôt, son manque de goût pour les complots de lèse-majesté. L’auteure le souligne elle-même : « Un frère de roi rebelle, on le blâme ouvertement mais, en secret, on le contemple bouche bée ; un frère de roi soumis et obéissant, on le complimente de vive voix, on le méprise tout bas ». Ses contemporains ne le comprennent pas ; les nôtres le traînent dans la boue pour son orientation sexuelle - si Philippe s'est marié deux fois, a eu plusieurs enfants, il est clair qu'il n'a jamais aimé aucune femme. Ses passions sont toujours exclusivement masculines, un tort aux yeux de nombreux historiens prisonniers d'un conservatisme pudibond... Là encore, Elisabetta Lurgo l'affirme : « Son homosexualité l'a figé dans les coulisses de l'histoire, jusqu'à devenir sa seule marque d'identité. Elle a entraîné le mépris des érudits et la réprobation des historiens ou, dans le meilleur des cas, leur indulgence moralisatrice. »

Ajoutons à cela les pertes successives qui jalonnent sa vie, sa passion mal vue pour le Chevalier, les doubles-trahisons que lui inflige sa première épouse Henriette et les babillages parfois médisants de la Palatine, sa seconde femme plus vindicative qu’il ne le sera jamais… Et vous avez là un petit aperçu du malheur de la manière dont le sort joua à Monsieur un bien vilain tour.

Ultime rebondissement qui tendrait même à renforcer le caractère vain de son existence, le magnifique château de Saint-Cloud, sa résidence fastueuse et comble de sa fierté, a été détruit durant la guerre franco-allemande de 1870… De Saint-Cloud ne reste qu'un jardin et des souvenirs, magnifiques, que même les médisances populaires n'auront su ternir.


Une biographie sympathique La biographie d'Elisabetta Lurgo est très complète et le travail de recherches effectué tout simplement remarquable ! Surtout, elle présente le mérite de ne diaboliser aucune des personnalités qui la jalonnent. Philippe d'Orléans, bien sûr, se voit esquisser un portrait tout en finesse mais il n'est pas le seul.

Le Chevalier de Lorraine, également victime de l'ire de ses contemporains, est ici épargné : la plupart du temps, il se révèle moins antipathique que ce que l'on pouvait craindre ; souvent, Lurgo nous laisse volontiers dans le flou - le Chevalier reste une personnalité trouble et ambigue, peu de sources fiables s'accordant à son sujet.

Louis XIV et Anne d'Autriche apparaissent comme sincèrement attaché à Philippe, malgré leurs discordes.

Quant à la Palatine, jamais avare de mots cinglants, elle souligne l'affection qu'elle porte à son mari, affection que ce dernier lui rend par ailleurs.

Si elle possède des qualités, cette biographie reste néanmoins difficile d’accès : la plume n’est pas des plus fluides, les citations surgissent à chaque page (nécessitant une attention permanente des lecteurs) et l’auteure revient parfois dans sa chronologie pour présenter un nouvel aspect de son développement. A réserver aux passionnés donc.

Les autres, s'ils souhaitent discerner d'avantage la personnalité complexe du duc d'Orléans, pourront se tourner vers l'excellent ouvrage de Philippe Erlanger (uniquement disponible d'occasion), une biographie truffée d’anecdotes passionnantes qui se lit comme un roman.

 

« [Philippe d'Orléans] est de nature porté à aimer sa famille et ses amis. Mais, tout comme son frère, il est presque malade d'égocentrisme, comme on peut logiquement s'y attendre d'un homme à qui tout est permis et tout est pardonné. Il est intelligent, mais il peut également se montrer d'une naïveté presque irresponsable, voir irritante. Surtout, il ne parviendra jamais à contrebalancer sa plus grande faiblesse : la facilité avec laquelle il se fait "gouverner" par les gens qu'il "honore de son amitié", comme on le dit à l'époque. Il se laisse entraîner par eux dans des querelles infimes, inspirées par des jalousies et des convoitises auxquelles il n'a pas la force, ou peut-être la volonté, de s'opposer. Puisque, au demeurant, il aime presque tout le monde, il semble se bercer de l'illusion que tous l'aiment de la même manière. Il ne sera jamais capable, et cela est tout à fait étonnant, de faire la distinction entre les attachements sincères, les amitiés de commande et les supercheries de ceux qui profitent bel et bien de sa générosité innée. »

~ p 32-33

« Mais tandis que Louis XIV aime par-dessus tout son métier de roi, Philippe n'aime guère l'exercice du pouvoir, au sens politique du terme : il n'a point le goût de diriger le royaume, il s'attache de bon gré à obéir à son frère. [...] Ce manque d'ambition et d'énergie, chez un fils de France, les précepteurs ne le comprennent pas ; les princes et les courtisans, encore moins. Alors, il leur faut trouver une raison à ce dont le sens leur échappe. »

~ p 41-42

« Elisabeth-Charlotte, fine observatrice, remarque elle aussi cette attitude chez Louis et Philippe : "Il était intéressant de les voir ensemble : ils se raillaient mutuellement avec agrément et esprit, sans se fâcher jamais". »

~ p 62

« Sans doute [le mariage d'Henriette-Anne et Philippe] fut-il un désastre complet, mais un désastre dont les responsabilités sont bien partagées entre les deux époux. C'est l'histoire d'un mariage malheureux, qui tourne au drame et s'achève par un coup de théâtre digne des meilleures tragédies historiques. »

~ p 72

« Evidemment, Françoise d'Aubigné, profondément dévote, ne peut aimer Monsieur ; de son côté, le duc d’Orléans ne lui fait pas sa cour et ne cherche pas à la ménager. Madame relève que la marquise "se fait un plaisir de régenter tous les membres de la famille royale, excepté Monsieur". »

~ p 187

« Lorsqu'il avait été question du mariage de Philippe d'Orléans, Louis XIV n'avait pas hésité à lui procurer des alliances étrangères ; l'attitude soumise de son frère le garantissait de toute surprise désagréable. Mais il a vite fait de mesurer son neveu. Philippe de Chartres brûle d'ambition : n'ayant pas le choix, il se montre obéissant, mais supporte très mal la contrainte et, à l'évidence, il trépigne pour se faire une place au soleil et s'acquérir de la gloire. Louis XIV apprécie ses qualités mais il ne peut que s'inquiéter face à ce neveux à l'esprit trop vif : il serait dangereux de lui procurer une alliance avec des princes étrangers, qui pourrait, au fil du temps, encourager de trop grandes ambitions. »

~ p 240-241

« Au fil du temps, les habitudes et les goûts de Philippe changent peu. Alors que son frère, à partir des années 1690, se tourne vers une plus grande dévotion et se résout, enfin, à la monogamie, imposant un style plus sérieux à la Cour, Monsieur semble toujours le même [...].

Saint-Cloud et le Palais-Royal demeurent des palais de délices, débordant de vitalité, où Philippe d’Orléans donne de magnifiques réceptions et organise des fêtes féeriques. Dans ses jardins, tous ceux qui se pressent pour voir la fête et les invités sont autorisés, en fin de soirée, à profiter des friandises qui y sont servies. Monsieur aime, comme toujours, la grandeur, le jeu, les fêtes, les cérémonies, les banquets, la musique, la comédie. Sur ce point, il fait preuve d'une grande indépendance vis-à-vis de son frère : il est le maître chez lui. Il s'entoure de femmes brillantes et surtout d'une pléiade de jeunes hommes, qu'il comble de faveurs. Il adore la conversation et les facéties, même un peu grossières. Les Parisiens apprécient beaucoup sa gaieté. »

~ p 275

« Le jeune Philippe d'Orléans accorde sa confiance à tous les officiers qui faisaient partie de l'entourage de Monsieur : avec un respect pour les sentiments de son père qu'il n'est pas donné de rencontrer si souvent à l'époque, il permet au chevalier de Lorraine de garder ses appartements au Palais-Royal et à Saint-Cloud. Il lui offre même de continuer à lui verser sa pension : "J'hérite de tout bien de Monsieur, ainsi ce sera toujours lui qui vous la donnera. Philippe d'Orléans refuse l'argent, "disant à monsieur le duc d'Orléans qu'il demeurerait dans sa maison pour lui faire sa cour plus souvent, mais qu'il n'accepterait point la pension, et qu'il n'oublierait jamais toutes les grâces qu'il avait reçues de Monsieur". On est souvent meilleur qu'on ne le dit. »

~ p 301

 

Philippe d'Orléans - Frère de Louis XIV d'Elisabetta Lurgo, paru aux Editions Perrin, 392 pages, 24€.


Article paru en version courte dans le Pays Briard le 25/09/2018

  • Google Maps
  • Facebook
  • Goodreads
  • Allociné
  • TV Time
  • Instagram

Envie d'une escapade au Pays des Merveilles ?

Suivez le lapin blanc 🐰🐰🐰

Email

bottom of page