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L’avis des libraires - 90ème chronique : Le chat qui venait du ciel

L'avis des libraires : 90ème chronique

Le chat qui venait du ciel de Takashi Hiraide

Félin, jardin, chagrin

Japon, 1988. Le narrateur et sa femme sont les locataires d'un pavillon, situé à deux pas d'une demeure ancestrale. Entouré d'un immense et splendide jardin, le terrain est également la terre d'asile d'un chat. Ce chat, adopté par une famille voisine, fait du pavillon sa résidence secondaire. Du jour où l'élégant minet, prénommé Chibi, s'installe sur les lieux, la vie du couple est métamorphosée pour toujours.


Le chat qui venait du ciel de Takashi Hiraide n'est certes pas une lecture facile : c'est un livre exigeant, contemplatif et poétique, imprégné par la culture nippone qui pourrait en déstabiliser plus d'un lecteur... Mais c'est aussi, avant tout, un roman qui parlera à tous les passionnés de la gente féline et de la Nature.

Les rapports de l'Homme à l'animal, de l'être humain au jardin, comptent parmi les thématiques centrales au roman : au fil des semaines, des mois, des saisons, le narrateur et son épouse vont s'éprendre de ce petit chat qui, bien qu'il ne leur appartienne pas, s’immisce à pattes de velours dans leur quotidien. On voit ainsi le lent attachement de ce couple pour l'animal plein de vie, de surprise et de facéties. Il leur est impossible de ne pas succomber à Chibi, tout comme il est impossible pour le lecteur de ne pas s'attacher à ce petit félin blanc moucheté « d'un gris noir légèrement nuancé de marron clair ». Le portrait qu'en tire l'auteur est si juste, si vivant, si touchant, qu'il rappellera à chacun un félin de son entourage - rien d'étonnant car l'oeuvre se révèle en partie autobiographique.

Idée intéressante, à l'origine, ni le narrateur ni sa femme ne se définissent comme des amoureux des chats - lui est indifférent aux animaux alors qu'elle les aime tous, sans distinction. Il remarque d'ailleurs, avec une pointe d'humour résolue que les travers de ces "amoureux des chats" sont bientôt les leurs : vanter la beauté, l'agilité, le caractère unique de son félin, en guetter le retour comme on le ferait pour un enfant. L'animal devient vite indispensable, compagnon unique et chéri. Rapidement, le couple se surprend à l'appeler "notre chat" - tout en sachant que ce n'est pourtant pas le cas.

Chibi, qui ne se laisse pourtant jamais attraper ni câliner, finit par prendre une place phénoménale. Le jardin devient ainsi leur terrain de jeu à tous les trois, le lieu de leurs retrouvailles, des allées et venues de leur voisin greffier.

Cette façon de s'éprendre d'un animal fier et indépendant, qu'on ne peut s'attribuer, est un sentiment que les amis des félins ne connaissent que trop ; ils se retrouveront assurément dans les descriptions de Hiraide, dont le style est presque méditatif. Il s'attarde longuement sur l'élégance du chat, son attitude, son rapport aux autres. L'édition de 2017 offre de plus de magnifiques illustrations signées Lan Qu qui a su à merveille s'approprier Chibi, les protagonistes et le fantastique jardin où se réunit ce petit monde.

Un petit monde idyllique, d'où jaillit la déchirure succédant à une séparation brutale...

Chronique de vie douce amère sur le quotidien, Le chat qui venait du ciel conte la parenthèse merveilleuse de ce couple, entre félin et jardin, qui illuminera leur existence : parenthèse qui prend fin avec les pertes successives. C'est là tout le drame de la beauté - sa nature éphémère. Le titre pourrait ainsi évoquer le sentiment de paradis bienheureux et prendre un double sens : le fameux ciel au sens divin ou la voûte céleste, métaphore de la vie, parfois assombrie. L'incipit est d'ailleurs une longue description du firmament, où flottent des lambeaux de nuages.

La disparition de Chibi coïncide avec le délabrement du parc ; de la confession du narrateur, « le jardin s'était transformé en un paysage sans charme » et il est « stupéfait de constater à quel point l’œil [est] capable de parer de couleurs un paysage ou bien de les lui ôter ». Une remarque qui laisse le couple - et le lecteur - dans un sentiment de mélancolie intense. Puis à l'abattement, la tristesse, succèdent le déménagement et les rencontres. Si la première partie évoque ces quelques mois de parfaite cohabitation, la seconde est une réflexion sur le deuil, la disparition, l'obligation d'avancer, encore et toujours, à défaut de s'en remettre. Un éternel renouveau, une évolution aussi forcée que salvatrice. L'Homme ne peut que suivre le temps qui passe.

Cette brève fable sacralise le lien de la culture japonaise avec le temps, la faune et la flore. Ce qui n'est plus reste dans le cœur, à défaut d'être éternel. C'est tragique, immuable, terriblement touchant et déprimant. Un peu trop sans doute, pour qu'on ne quitte ce livre délicat sans un certain vague à l'âme.

 

« Les animaux, les chats par exemple, ont chacun leur caractère, ce qui est plus intéressant que de les mettre tous à la même enseigne. C’est ça qui est remarquable, a-t-elle ajouté.

« Pour moi, Chibi est un ami qui me comprend, un ami qui a l’apparence d’un chat. »

Et l’observation exempte de sentimentalité est la meilleure façon d’aimer. Elle m’apprit que c’était une maxime énoncée par quelque penseur. Apparemment, ma femme notait sur un grand cahier les faits et gestes de Chibi au jour le jour. »

~ p 42

« Ce Chibi était une merveille : la robe blanche parsemée de taches rondes d'un gris noir légèrement nuancé de marron clair comme il est fréquent d'en voir au Japon, il était mince et élancé, et réellement tout petit. Ce qui le différenciait des autres chats, c'était précisément son extrême minceur, si petit et si frêle qu'on remarquait tout de suite ses oreilles pointues et mobiles à l’extrême. En dehors de cette particularité, on se rendait compte immédiatement qu'il n'était pas du genre à se frotter aux jambes d'un humain. [...]

L'attention qu'il portait aux choses se déplaçait avec une rapidité étonnante, caractéristique qu'il n'a pas perdue, même en grandissant. Était-ce le fait de jouer seul la plupart du temps dans l'immense jardin qui lui avait appris à réagir avec vivacité aux insectes et aux lézard. J'avais presque fini par croire qu'il était sensible aux métamorphoses invisibles du vent ou la lumière. Car s'il est courant d'observer ce trait chez les chatons, les réactions de Chibi étaient d'une acuité sans pareille. »

~ p 16-17

« La fréquentation des écrivains m'avait appris que rien ne vaut une vie de liberté. [...] Les êtres nobles ne songent pas à écarter les autres pour s'ouvrir un chemin. »

~ p 32-33

« Alors j'ai ouvert la fenêtre, j'ai fait entrer le visiteur que l'aube de l'hiver m'avait amené, et d'un seul coup, tout est revenu à la vie.

Ce fut notre premier hôte du jour de l'an. C'est ainsi que l'on nomme celui qui va de maison en maison pour présenter ses vœux. Curieusement, ce visiteur était entré par la fenêtre et n'avait pas prononcé les formules d'usage, mais avec ses deux pattes soigneusement posées l'une à côté de l'autre, c'était comme s'il savait la manière de saluer. »

~ p 39

« Ce travail qui n'en finissait pas, je me disais que mieux valait prendre le parti d'en rire, mais nous étions dans un profond abattement. Ce rire qu'un rien aurait pu provoquer était en train de se transformer en larmes. »

~ p 110

 

Le chat qui venait du ciel de Takashi Hiraide et illustré par Lan Qu, aux Editions Philippe Picquier, 131 pages, 13€.

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