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L’avis des libraires - 89ème chronique : Ma vie pas si parfaite

L'avis des libraires : 89ème chronique

Ma vie (pas si) parfaite de Sophie Kinsella

L'impératrice de la chick-lit est de retour !

It-girl accomplie, Katie est toute dévouée à son travail. Malgré ses maigres économies et sa boss insupportablement parfaite Demeter, elle parvient à donner l'illusion d'une existence épanouissante. Aussi, lorsque sa patronne la licencie, Katie se retrouve seule et fauchée. Pas le choix : la voilà partie, direction le Somerset et la ferme familiale ! Loin de Londres, Katie s'investit à fond dans le plan de son père et sa belle-mère, Biddy : sortir le domaine de la ruine et en faire un endroit tellement hype qu'il attirera tout le gratin britannique. Et son plan de gite/camping tendance cartonne ! Un peu trop sans doute, car elle ne tarde pas à se retrouver face à de vieilles connaissances, dont une certaine Demeter... La revanche a sonné !


Ah la chick-lit... Souvent méprisée, rarement défendue, régulièrement stéréotypée, elle se paie pourtant le luxe de caracoler fréquemment en tête des ventes ! Ce sous-genre de la comédie sentimentale se traduit par Littérature pour poulettes, terme dédaigneux que ses auteur(e)s ont depuis longtemps détourné à leur avantage. Car oui, la chick-lit, derrière les mélimélos sentimentaux de leurs héroïnes qui se baladent sur 12 centimètres de talons sans vaciller, couchent avec des mecs friqués et dépensent la moitié de leur salaire en shopping, s’avère bien moins futile qu’il n’y paraît.

Né dans les 90's, il avait en effet le mérite de s'éloigner des guimauves Harlequin pour offrir un style pétillant, fun et décomplexé, romantique sans (presque aucune) niaiserie. Les intrigues sont souvent écrites par les femmes et POUR les femmes, avec un ton léger et libérateur. Parmi les reines de la chick-lit, citons Helen Fielding et son célèbre Journal de Bridget Jones, Lauren Weisberger (Le diable s'habille en Prada) mais encore India Knight (Nos amis les hommes)... Les françaises ne sont pas en reste, qu'il s'agisse de Jacinthe Canet (Bora-Bora's Bitches), Alix Girod de l'Ain (De l'autre côté du lit) ou Stéphanie Pélerin et son diptyque Ivana.

Et puis, il y a l'impératrice du genre. Il y a Sophie Kinsella. Une saga au succès planétaire avec L'Accro du Shopping ainsi qu'une multitude de romans écrits en parallèle (dont les meilleurs comptent Samantha bonne à rien faire et Très chère Sadie) lui ont valu une réputation bien établie. Kinsella manie les codes de la chick-lit avec brio, les tord, les casse, sans jamais se montrer dédaigneuse pour ce genre qui l'a rendu célèbre : mieux, elle profite de ces romances badines pour souligner des travers de la société.

Son petit dernier en date, Ma vie (pas si) parfaite, est sorti en 2017. Je suis passée à côté l'année dernière, si bien que j'ai rattrapé ce regret de lectrice ce mois-ci à l'occasion de la sortie poche.

Avec plaisir qui plus est car Ma vie (pas si) parfaite est un très bon Kinsella. Il réunit les éléments forts de ses précédentes œuvres : une héroïne gaffeuse et attachante ; les petits travers féminins ; le défi de concilier vie personnelle épanouie et carrière enrichissante ; la rencontre avec l'Amour (celui qui donne des papillons dans le ventre) ; la difficulté à assumer ses origines sociales et son milieu professionnel...

Katie, c'est la fille de la campagne, celle qui rêve de s'établir dans la capitale anglaise, de mener une existence digne d'Instagram - elle compense une réalité plus terne (appartement exigu, colocs cauchemardesques, compte en banque avoisinant les zéros) par de magnifiques photos volées au détour des rues, dans des endroits chics, des cafés hors de prix, des éléments d'une vie accomplie à laquelle elle ne peut prétendre mais qu'elle ambitionne et qui l'obsède. Et elle projette cette vie idéale sur sa patronne, Demeter.

C'est le talent phare de Kinsella : partir de stéréotypes pour établir des personnalités plus riches, plus profondes, qu'il n'y paraissait au premier abord. Derrière un sourire ultra-bright innocent peut se cacher des ambitions de loup ; sous les airs de boss infernale une multitude de doutes ; malgré le charme tapageur d'héritier brillant, une blessure ancienne qui peine à se refermer... L'intrigue est ainsi divisée en deux parties distinctes - la première est une plongée dans le monde londonien, la seconde un retour aux sources salvateur dans le Sommerset - ce qui permet d'approfondir largement les personnages de ces univers.

Katie porte sur le gratin britannique le regard que nous mêmes glissons, tantôt envieux tantôt admiratif, à ces êtres riches, beaux, habitués à la vie mondaine, qui exhibent leurs existences géniales au détour des réseaux sociaux. C'est aussi cette pression que nous nous mettons pour correspondre à l'image attendue, quitte à taire une part de notre personnalité.

Kinsella profite de ce dernier roman pour tourner les récentes lubies bourgeoises en dérision : le bio avant tout ; l'authenticité et le pittoresque alliés au confort citadin ; le zen tout en restant cramponné au WiFi ; le retour à la nature mais sans se départir de son téléphone dernier cri... Une tendance légèrement hypocrite que l'auteure a magnifiquement cernée ! On peut regretter qu'elle ne soit pas encore allée plus loin mais ce n'est clairement pas le thème du livre. Non, ce qu'elle dénonce prioritairement avec cet ouvrage, c'est le poids des réseaux sociaux, leur impact sur notre quotidien et la façon dont ils érigent un filtre de perfection mensonger autour de nous. Ce factice dont nous dépendons, qui nous rend malheureux, jaloux voir amers et tristes. Un rappel crucial ici : ce n'est pas la réalité. L'un des échanges entre Katie et Demeter apparaît en guise de moral, dans les derniers chapitres : Pourquoi croyais-tu à mon baratin puisque tu savais que ce que tu racontais n'était que de l'esbroufe ? A leur façon, toutes deux ont renvoyé une image artificielle, et aucune n'a pensé à mettre cette vision idéalisée de l'autre en cause.

Sans conteste, Sophie Kinsella n’avait pas été si pertinente et percutante depuis Samantha bonne à rien faire, onze ans plus tôt : narré dans le style fluide et efficace propre à son auteure, Ma vie (pas si) parfaite est drôle, touchant, inspiré, romanesque… Et infiniment plus malin qu’il n’y paraît.

 

« Vivre à Londres, c'est comme vivre dans un décor de cinéma, depuis ses ruelles à la Dickens jusqu'à ses hautes tours scintillantes, en passant par ses places secrètes et ses jardins cachés. À Londres, on peut être qui on veut. »

~ p 16

« Sa réponse m'enchante. Cette rencontre avec Alex – et nos rires sur le toit – est comme une porte qui s'ouvre. Vers quelque chose de différent. Une sorte de... Oh, je n'en sais rien. Une nouvelle existence, peut-être. Je sais qu'il ne s'agit que d'un déjeuner. Mais tout de même. Toutes les relations amoureuses commencent par un simple quelque chose. L'histoire de Roméo et Juliette a commencé par un simple coup de foudre.

OK. Comparaison nulle. »

~ p 58

« Incroyable comme on peut changer une personne intelligente en imbécile crédule juste avec les mots bio, authentique et Gwyneth Paltrow. »

~ p 164-165

« Je lui montre du doigt un corbeau qui vient de s’envoler d’une branche.

— Regardez ! Vous l’avez vu ?

— Non, concède-t-elle en tendant le cou. C’était quoi ?

— Un spécimen très rare. Le grand… vantard à crête. (J’ai failli dire : Le grand Demeter à crête.) Proche de la fauvette mais beaucoup plus sauvage. La femelle, en particulier, est une prédatrice, sans pitié. En un mot : nuisible.

— Vraiment ?

Demeter a l’air fascinée.

— Oh oui !

Je poursuis sur ma lancée.

— Une créature funeste. Vicieuse et égoïste. Elle liquide les oisillons femelles pour éliminer la future concurrence. Elle a un très bel aspect, un plumage brillant. Mais elle est sournoise. Très prétentieuse, aussi.

— Comment un oiseau peut-il être prétentieux ?

— Tout son art consiste à se lisser les plumes, je dis après réflexion. Avant de crever les yeux des autres oiseaux.

— Quelle horreur !

— Son but est d’atteindre le sommet. Tout accaparer. Elle se fiche que les autres oiseaux de la forêt doivent lutter pour survivre. Mais quand leur moment est venu, ils se vengent.

— Comment ? fait-elle, captivée.

— Par toutes sortes de moyens, je conclus avec un sourire mielleux.»

~ p 197


« On le surnomme Alex Aller Simple, parce qu'une fois qu'il est parti, il ne rebrousse pas chemin. Il ne pose pas les pieds deux fois au même endroit. J'en ai vu des filles brillantes et intelligentes attendre, pleines d'espoir. Elles savaient au fond d'elles-mêmes qu'il ne reviendrait pas. »

~ p 186

« — J’ai regardé ton compte Instagram, me dit-elle ensuite, pensive. Tu projettes une image de ta vie bien différente.

Je rougis. Je n’ai rien posté sur mon compte depuis des mois.

— Tu sais bien ! C’est l’effet Instagram.

— Oui ! De la frime avant tout. Difficile à gober, non ?

Vous savez ce qu’elle sous-entend ? Je vais vous expliquer. Elle veut dire : Pourquoi croyais-tu à mon baratin puisque que tu savais que ce que tu racontais n’était que de l’esbroufe ? Bonne remarque.

Comme j’ai eu plein de temps pour y réfléchir, je sais pourquoi. Je voulais que Londres soit plein de princesses à l’image de Demeter, avec des vies idéales. »

~ p 289

 

Ma vie (pas si) parfaite de Sophie Kinsella aux Editions Belfond, 480 pages, 21€.


Article paru en version abrégée dans le Pays Briard le 31.07.2018

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