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L’avis des libraires - 80ème chronique : Le club des veuves qui aimaient la littérature érotique

L'avis des libraires : 80ème chronique

Le Club des veuves qui aimaient la littérature érotique de Balli Kaur Jaswal

Club atypique pour amatrices de romance épicée

« Encore une accusation... Il valait mieux être un dangereux criminel poursuivit par la justice qu'une Indienne qui avait fait du tort à sa famille. Dans le cas d'un véritable crime, au moins la peine avait-elle une durée précise, ce n'était pas comme cette éternelle culpabilisation familiale. »

~ p 41 / Nikki


Nikki est une londonienne d'origine pendjabi, libre et engagée. Elle peine à trouver sa voie et végète dans un boulot sans avenir. En dépit d'études prometteuses, elle reste indécise : malgré la pression qu’exercent sur elle sa mère et sa sœur ainsi que la culpabilité qu'elle ressasse quant à la mort de son père, la jeune femme ne parvient pas à s'investir professionnellement...

C'est alors qu'elle tombe sur une petite annonce déposée par Kulwinder, à la tête d'une association féminine sikke : "recherche animatrice pour atelier d'écriture".

Nikki saute sur l'occasion, pensant trouver là un boulot tranquille qui lui permettra d'arrondir ses fins de mois. Mais elle comprend bien vite que ces femmes ont des idées beaucoup plus épicées en tête qu'elle ne le pensait au premier abord... La voilà embarquée dans un club de littérature érotique clandestin !


Il y a beaucoup, beaucoup à dire sur l’ouvrage de Balli Kaur Jaswal. Lire Le Club des veuves qui aimaient la littérature érotique revient à découvrir plusieurs excellentes histoires combinées en une. Une chronique de vie familiale autour de Nikki et des siens ; une histoire d’amitié ; une comédie un peu délurée ; un drame féministe ; des aventures franchement lascives ; un thriller inattendu... Le tout saupoudré d’une pointe de romcom, sentimentale sans niaiserie ! Difficile de ne pas succomber aux intrigues entremêlées qui glissent sous la plume de Jaswal. Tout sonne étonnamment juste et l’auteure se faufile d’un genre à l’autre sans la moindre fausse note, sans la moindre rupture de ton. Son roman est construit à la perfection, haletant et intriguant, cohérent surtout. De bout en bout, elle conserve cette plume unique, pétillante, vive, féroce parfois. Par l’intermédiaire de Nikki, nous découvrons un groupe de veuves, de tout âge, majoritairement analphabètes. Un groupe qui ne fera que s’étendre et grandir, toujours plus, mue par une volonté assumée de raconter leurs fantasmes cachés, de se remémorer leurs émois passés ou de rêver à de futures nuits torrides. Par leurs récits, elles se réapproprient leurs désirs, leur corps, la plus élémentaire des libertés - une liberté qui surprend Nikki, comme le lecteur, car elle balaie d’emblée tous les clichés qu’on peut imaginer sur cette petite communauté. Des portraits de femmes forts, non idéalisés mais terriblement touchants, vivants et réalistes. L’évolution de ces personnages ainsi que de notre protagoniste, Nikki, est une ode au corps, à l’émancipation et à la féminité.

Avec résolution, l’auteure écarte les stéréotypes sur les Anglo-Indiens et apporte une réflexion poussée sur le mariage arrangé, les communautés repliées sur elles-mêmes, la vie à Southall (quartier londonien caractérisé par sa culture sud-asiatique)... Elle attire également le lecteur sur ses problèmes récurrents : le harcèlement et l’intimidation appliqués par une minorité extrémiste, les difficultés rencontrées dans certaines unions non heureuses, les tracas de l’intégration, la notion d’honneur omniprésente, la pression familiale (et surtout patriarcale), la vénération de certaines mères pour leur progéniture mâle (dont le club se moque d’ailleurs à plusieurs reprises), la problématique du divorce - entièrement liée au déshonneur... Et bien d’autres encore.

Si Jaswal a préféré s’attarder sur les problèmes que la communauté rencontre en son sein, cela ne l’empêche pas, de temps à autre, de rappeler le racisme et de la condescendance auxquels les Anglos-Indiens font régulièrement face au Royaume-Uni. Vous l’aurez compris mais les échanges entre Nikki et les veuves ne manquent ni de piquant ni d’humour, l’ensemble de l’intrigue se voulant résolument féministe. Pour autant, le livre porte bien son titre car il nous dévoile, à plusieurs reprises, les histoires narrées durant leurs séances : des moments littéraires voluptueux à souhait ! Car Balli Kaur Jaswal maîtrise autant l’art de la comédie que de l’érotisme : sans vulgarité ni surenchère, stimulante et inventive, force est de constater que l’auteur comprend mieux les rouages du désir que la plupart des écrivains actuels qui s’en érigent le porte-parole. On parle ici de caresses passionnées, d’étreintes saphiques, d’embrassades à la dérobée sur un toit, de pulsions assouvies au moyen d’objets particuliers… De quoi pimenter le quotidien du club - et bien sûr, des lecteurs ! Avouons-le franchement, Le Club des veuves qui aimaient la littérature érotique est excellent : tour à tour engagé, drôle et intense, il questionne en permanence le lecteur sur ses préjugés, sa sexualité, ses objectifs… Une fiction aussi atypique que réussie. Notre unique regret : ne pas pouvoir nous mêler, nous aussi, à ses femmes d’exception, le temps d’un atelier d’écriture un peu particulier.


« Le sexe et le plaisir sont pourtant instinctifs, non ? Les analphabètes peuvent parfaitement avoir une sexualité satisfaisante. Toi et moi, on est habitués à en percevoir les raffinements parce qu'on l'a apprise, comme les autres fondamentaux - lire, écrire, utiliser un ordinateur et j'en pense. Pour les veuves, le sexe précède toutes ces connaissances. »

~ p 156 / Nikki

« Je t'ai donné tout le bonheur que je n'ai pas pu avoir. Tu aimais ton mari, ton mariage. Tant mieux pour toi. J'ai survécu au mien. »

~ p 175 / Arvinder à Preetam, sa fille

« Quelqu'un au temple m'a dit qu'il existe une loi en Angleterre contre les maris qui font ça à leurs femmes contre leur gré. Leurs propres femmes ! Pourquoi un homme est-il puni s'il fait ça ? Parce que les Anglais n'accordent pas la même valeur que nous au mariage.

- C'est répréhensible parce que c'est mal, même s'ils sont mariés. C'est un viol. »

~ p 180 / Conversation houleuse entre Tarampal et Nikki

« Le garçon de Lisbonne ne parle pas vraiment anglais. Mon intellect a besoin d'être stimulé autant que le reste de ma personne. »

~ p 220 / Texto d'Olive à Nikki

« Ton corps est une galaxie tout entière, un consentement. Je t'explore de mes lèvres, plein de reconnaissance pour ma soif étanchée, et quand j'atteins ton jardin interdit, ma soif devient ta faim. »

~ p 250-251 / Récit de Gurlal lors d'une réunion du club

« [...] Certaines de ces femmes ont passé toute leur vie d'épouse à se demander ce qu'était le plaisir. D'autres regrettaient l'intimité qu'elles avaient connue et voulaient simplement revivre ces expériences. »

~ p 312 / Nikki à sa mère

Article paru dans le Pays Briard le 29.05.2018.

Balli Kaur Jaswal, Le Club des veuves qui aimaient la littérature érotique aux Éditions Belfond. 352 pages. 21€

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