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L’avis des libraires - 72ème chronique : Un dangereux plaisir de François Vallejo

L’avis des libraires - 71ème chronique :

Un dangereux plaisir de François Vallejo

Tarte aux fraises, passion grenat & cuisiner flamboyant

Rien ne destinait Élie Élian à devenir un gourmet. Un grand chef, encore moins. Né dans une famille où manger n’est qu’un besoin rudimentaire, il découvre l’extase culinaire par une voisine et sa tarte aux fraises. C’est décidé, il sera cuisinier ! Mais la route vers la grande restauration va s’avérer plus difficile qu’il ne le pensait...


Qu’écrire sur Un dangereux plaisir qui n’a pas déjà été dit ? Après avoir séduit la critique et enthousiasmé le public, l’ouvrage de François Vallejo sort enfin au format poche. L’occasion pour moi, après avoir suivi le conseil avisé d’une cliente et amie, de rattraper mon retard.

Pour ceux qui ignorent tout de Vallejo, le style surprend, cueille dès les premières pages : il est vif, sans fard, familier sans vulgarité, s’autorise quelques élans poétiques parfois. Une langue singulière, à l’image de son héros : Élie Élian. Voilà un talent brut qui évolue, expérimente sans cesse : simple, précieux, surfait, authentique... Le personnage évolue au fil de ses apprentissages gustatifs. Dans un Paris hors du temps, où pèse pourtant les références historiques d’une époque troublée, il naît gamin malingre pour mieux découvrir les joies de la (bonne) nourriture. Magicien des saveurs en devenir, aux goûts et à l’odorat sur-développés, Élie est doté d’un instinct culinaire étonnant. Dès lors commencent les pérégrinations les plus inattendues, picaresques à souhait, où se mêlent bientôt le plaisir des plats à celui de la chair.


« […] la cuisine commune où se jouait sa vie jusqu’à ces derniers jours, ce délire créatif pour une femme, cette fringale sexuelle entre eux, ce besoin maladif de se toucher, de se goûter, de se manger. La veuve l’a initié à tenir une vraie cuisine, en même temps qu’à livrer tout de sa peau et de l’intérieur de son corps, même ce qu’il en ignore, à une femme. La conscience s’impose, maintenant qu’il est privé d’elle, qu’il a vécu, sans s’en apercevoir, sans en souffrir, une période d’enfermement complet. La permission de sortie à la fin de chaque nuit compte à peine. Il ne sait plus ce qu’est le jour. »

~ p 96


Au cours de son périple, il croisera une foule de personnages secondaires complexes : Jeanne Maudor, une veuve à la sexualité aussi dévorante que son appétit ; Agathe, une adolescente jalouse et teigneuse ; un protecteur averti en la personne de M. Raubur ; un couple de restaurateurs louches, les Jaland ; le juge Gau, fin gastronome ; sans oublier le duo d’escrocs Pisan et Desloges, qui comptent parmi les personnages les plus réussis du roman. Quand à notre protagoniste, il reste un gourmet candide qui ne vit que pour l’art culinaire et grandit à travers lui : il apprend sur la vie et le monde à travers ses fourneaux, sans aucune aspiration politique, aucune revendication sociale… C’est ce qui le définit tout entier et empêche d’accorder à notre héros une réelle profondeur, de le rendre attachant : la plupart du temps, Élie ne fait que subir l’Homme et ses désirs, agit parfois avec maladresse, souvent avec beaucoup d’égoïsme, voué tout entier à sa passion dévorante.


« Il pense une dernière fois à ce solitaire qui a fait de lui un imbécile instruit, l’a conseillé sur la meilleure façon de mener son affaire, de présenter ses menus, de parler aux clients aussi. Il oublie qu’il ne l’écoutait plus guère, que M. Raumbur aimait moins ses plats, leur richesse excessive, la personnalité qu’il se fabrique en ce moment. Factice, un mot entendu une fois, pas très clair pour Élie […]. »

~ p 209


Le roman ne pourrait porter meilleur titre car l’intrigue tourne avant tout sur le plaisir et ses conséquences, dans deux aspects les plus primitifs et les plus primordiaux : le sexe et la nourriture. La sexualité y apparaît d’ailleurs comme un acte presque cannibale – la fin, volontairement ambiguë, laisse d’ailleurs planer un sérieux doute sur ce côté anthropophage… Avec Un dangereux plaisir, Vallejo invente le roman initiatique gastronomique : on y parle essentiellement de la faim, l’appétit, la gourmandise… Chaque ligne se veut sensorielle. En compagnie d’Élie, on connaît l’effet dévastateur de la faim, on ressent l’odeur des plats jusqu’aux tréfonds de nos tripes, on savoure le bonheur d’un plat savamment exécuté pour nos papilles. Cette identification extrême, menée par cette prose corporelle, rappelle par instant les descriptions odorantes maniées par Patrick Süskind dans Le Parfum. Moins féroce, plus positif, mais tout aussi déroutant, à n’en pas douter.

Au final, j’ai dévoré Un dangereux plaisir, l’ai vécu comme une expérience sensitive unique et un fantastique exercice de style – sans jamais parvenir toutefois à m’attacher aux personnages. A goûter, page après page, tel un plat dont on énumérerait une à une les saveurs, sans vraiment parvenir à toutes les distinguer. Certaines nous plaisent, d’autres moins. Un plat imparfait à mon goût mais d’une grande richesse.

« Il lui a fallu toutes ces années pour comprendre l’essentiel : l’essentiel, c’est que les autres n’ont pas faim de toi. Ce doit être le secret à découvrir, à ton âge, te rendre appétissant ; appétissant malgré eux ; les forcer, tous, à avoir la dalle de toi. »

~ p 46

« Qu’est-ce qu’elle a de particulier, cette femme ? Une voisine, parmi d’autres voisines, il la connaît, des petits mots par-ci par-là, ça ne va pas plus loin ; pas plus d’argent que ses parents ; des enfants plus nombreux, c’est tout, mais des enfants qui ont droit à des tartes aux fraises. La plus grande révélation pour Élie Élian, d’autres plus ou moins pauvres ne se privent pas d’un régal ; une voisine, une femme, une mère est capable de comprendre vos envies depuis la fenêtre du deuxième étage. Il est éperdu d’admiration pour elle et son art de confectionner une tarte aux fraises. »

~ p 22-23

François Vallejo : Un dangereux plaisir aux Éditions POINTS. 336 pages. 7,60 €


Article paru dans le Pays Briard le 20.03.18

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