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L’avis des libraires - 66ème chronique : Carmen

L’avis des libraires – 66ème chronique :

Carmen de Prosper Mérimée,

nouvelle illustrée par Benjamin Lacombe

Paysage espagnol, narrateur de pacotille & passion vénéneuse

Sous le soleil aride d'Andalousie, la belle Carmen déchaîne les passions. Le narrateur, un archéologue français anonyme, est témoin de l'amour et de la chute de Don José, éperdument épris de la jeune gitane... La littérature compte nombre de relations désespérées, d'amants maudits, d'êtres dépassés par leur passion. L'amour a pour tribu la vie, la mort et les sentiments étant irrémédiablement liés. Et les exemples sont nombreux : Roméo et Juliette, Heathcliff et Catherine, le Vicomte de Valmont et la présidente de Tourvel, Cyrano et Roxane, Chloé et Colin, Cécilia et Robbie... Sur le papier, plus encore que dans la vie, on aime se plaire, s'éprendre, se déchirer, se revenir. Et rarement mots ont été plus sensuels et cruels que ceux de Prosper Mérimée lorsqu'il dépeint la relation toxique de Carmen et Don José.

Même sans jamais avoir lu sa nouvelle ou entendu le célèbre opéra de Bizet, tout le monde connaît cette (anti)-héroïne culte. Carmen, c'est la tentation en jupons, symbole de la femme fatale, venimeuse et voluptueuse. Carmen, c'est l'érotisme flamboyant, la beauté du Diable, la joueuse insatiable, l'amante versatile, l'insaisissable personnalité d'une manipulatrice. Cruelle, elle sait pourtant se montrer compatissante et attentionnée, pour mieux trahir par la suite. Si elle est odieuse, détestable parfois, elle n'en reste pas moins, de sa propre affirmation « toujours libre », libre de ses choix, de son corps, de sa vie ; avec elle, Mérimée a dressé l'un des portraits féminins les plus complexes et les plus sauvages qui soient.

Carmen mènera à sa perte Don José Lizarrabengoa, homme droit dont la volonté et l'intégrité vont s'émousser au contact de la belle gitane. Cette déchéance spirituelle provoquera, irrémédiablement, la chute : soldat dégradé, fugitif, voleur, criminel, tueur... jusqu'à commettre l'irréparable.


« Je suis las de tuer tous tes amants ; c'est toi que je tuerai. »

~ p 105 / Don José à Carmen.

La nouvelle de Mérimée n'est jamais si belle, si intense, si tragique que lorsque Don José conte son histoire au narrateur. L'amour et le désespoir y sont omniprésents, de même que le désir et la passion destructeurs que la jeune femme fait naître en lui.

C'est là tout mon problème avec Carmen : la nouvelle est excellente oui, mais pas dans son ensemble. Elle est hélas entrecoupée par des parenthèses interminables, par ce narrateur absolument ennuyeux dont on se serait volontiers passé. S'il permet de retarder l'apparition de la belle gitane – suscitant du même coup la curiosité du lecteur – il nous empêche surtout de nous focaliser sur l'essentiel : Don José et Carmen... Tout comme Carmen obsède Don José, elle est la source de la fascination du lecteur, celle qui le pousse à poursuivre sa lecture dans cette vision fantasmée de l'Espagne, où errent des amants maudits et meurtriers façon Bonnie, Clyde & Castagnettes. La nouvelle de Mérimée est souvent frustrante, cette tendance à digresser – particulièrement sur le dernier chapitre qui n'aurait jamais dû exister ! - casse le romanesque échevelé qu'il s'est employé à créer durant la moitié de son intrigue.

Pourquoi vous parler, dès lors, de cet ouvrage qui ne m'a pas spécialement conquise ? La raison est simple : après avoir laissé son empreinte sur les sublimes Notre-Dame de Paris, Alice au Pays des Merveilles et Les Contes Macabres, le prodige Benjamin Lacombe collabore une fois de plus avec les Éditions Soleil ! Ainsi, il nous offre, dans la collection Métamorphoses, une version sublimement illustrée de l'histoire de Mérimée, où transpercent toute la passion, le désespoir et la cruauté propres à Carmen. Notre tentatrice n'est jamais aussi sublime et vénéneuse que sous le pinceau de Lacombe – exemple flagrant lorsqu'il illustre un canari* pris dans les toiles d'une araignée, métaphore de Don José captif des charmes de Carmen. Tout comme ce fut le cas pour sa vision des œuvres de Poe et Hugo, les deux univers, où Thanatos et Éros sont déjà implicitement liés, s'imbriquent à la perfection.

Mérimée a écrit la passion la plus destructrice de tous les temps, Lacombe l'a transcendée.



*surnom donné par Carmen à Don José



« […] Carmen avait l'humeur comme est le temps chez nous. Jamais l'orage n'est si près dans nos montagnes que lorsque le soleil est le plus brillant. »

~ p 81

« Tu aimes donc Lucas ? lui demandais-je.

- Oui, je l'ai aimé, comme toi, un instant, moins que toi peut-être. À présent je n'aime plus rien, et je me hais pour t'avoir aimé. »

~ p 109 / échanges entre Don José et Carmen.


Prosper Mérimée & Benjambin Lacombe : Carmen aux Éditions Soleil. 174 pages. 32€50


Article abrégé publié dans le Pays Briard le 30.01.18


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