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L’avis des libraires - 55ème chronique : Le Messie du Darfour d'Abdelaziz Baraka Sakin

L’avis des libraires : 55ème chronique

Le Messie du Darfour d'Abdelaziz Baraka Sakin

Ma lecture masochiste, entre massacre & messie

Alors que le Soudan est déchiré par la guerre, Abderahman fait la rencontre de Shikiri et Ibrahim, enrôlés de force dans l'armée. Violée et torturée, unique rescapée de sa famille, elle demande à Shikiri, dont elle devient la femme, de l'aider dans sa vengeance. Chacun à leur façon, les trois amis seront confrontés aux abominations et aux leaders ambigus qui jaillissent des entrailles du chaos. Lauréat du Prix du Livre d'humour de résistance 2016, du Prix LITTÉRATURE MONDE 2017 et du Prix du Livre engagé de la Cène Littéraire 2017, Le Messie du Darfour, signé Abdelaziz Baraka Sakin, a très largement fait parler de lui ! De tous les ouvrages découverts cette année, celui-ci est sans nul doute l'un des plus difficiles qu'il m'ait été donné à lire.

Sakin, lui-même rescapé du Darfour et réfugié politique depuis 2009, couche sur le papier des scènes d'une violence quasi insurmontable : il ne se passe pas 10 pages sans que le lecteur ne soit confronté aux viols de femmes et de fillettes, aux massacres d'enfants et de vieillards, aux guets-apens les plus sordides, au désespoir des hommes. Sur 200 pages, c'est une succession épuisante qui malmène les nerfs, porte sur le cœur, laisse une sensation proche de la nausée. Si l'humour, notamment dans son traitement de la religion, rejaillit parfois, ce n'est qu'une brève accalmie avant de replonger dans l'horreur constante.

Ne pas épargner le lecteur, le confronter au pire, est un choix qui dans bien des cas peut s'avérer payant. Toutefois, l'intrigue perd vite de sa puissance, desservie par l'absence de personnages attachants auxquels se raccrocher. Certes, on peut louer le non manichéisme dont fait preuve l'auteur mais le véritable handicap du livre reste le manque d'empathie pour ses protagonistes : Abderahman aurait pu être cette walkyrie fière qui répand sa justice, Shikiri ce mari affectueux prêt à tout mais très vite, ils peinent à exister. Leur rôle se cantonne à être des réceptacles aux drames et aux atrocités, et lorsqu'ils se rebellent, devenant des machines à tuer désincarnées, l'évolution ne les rend guère plus attachants. Au vu du potentiel d'une héroïne telle qu'Abderahman (une jeune femme d'une grande beauté, balafrée par l'ennemi, qui s'est choisie un prénom d'homme et ne vit que pour sa vengeance), on ne peut que s'offusquer d'un tel gâchis. Seul Ibrahim parvient à se rendre quelque peu sympathique et il est hélas souvent relégué du côté des sous-intrigues.

Dès lors, le lecteur n'a qu'une impression : être plongé dans un long cauchemar vide dénué de sens, une orgie barbare dont il ne souhaite que s'extraire. Au fond, c'est peut-être là l'objectif de Sakin mais il est très difficile d'y adhérer malgré des qualités d'écriture indiscutables.

Autant conclure vite. Le Messie du Darfour est loin d'être un roman à mettre entre toutes les mains : c'est un ouvrage rude et cruel, à l'image du conflit sur lequel Abdelaziz Baraka Sakin est venu puiser son encre sanglante.

« Passer une nuit dans le désert est un désert en soi, qui s'insinue dans l'être comme le serpent des légendes. »

~ P 28

« Les gens comprirent plus tard que l'amour et la haine coulent dans les mêmes veines, arrosent les mêmes champs, ils comprirent que celui qui aime est pareil à celui qui hait : l'homme ne peut distinguer le bon du mauvais, il est capable de baiser à main du diable en pensant qu'il s'agit des lèvres de la bien-aimée. »

~ P 195

Le Messie du Darfour d'Abdelaziz Baraka Sakin aux éditions Zulma. 204 pages. 18 euros.


Article paru dans le Pays Briard le 07.11.2017

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